L’Algérie et la France se dirigent-elles vers une rupture inéluctable ? Les deux pays sont en tout cas entrés dans un engrenage qui semble sans fin de réactions et de contre-réactions depuis que leur tentative de rapprochement, début avril dernier, a buté sur la détermination du courant extrémiste en France à empêcher toute détente.
Il y a encore quelques semaines, d’aucuns entrevoyaient la fin de la longue brouille de huit mois, déclenchée par l’alignement total de Paris sur le Maroc dans le dossier du Sahara occidental en juillet 2024. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s’est rendu à Alger le 6 avril pour une visite présentée comme l’amorce d’un retour à la normale.
Entre-temps, à Paris, un agent consulaire algérien est arrêté et incarcéré.
C’est le début d’un autre épisode de tensions, plus vives que les précédentes et qui donneront lieu de part et d’autre à des mesures inédites depuis les accords d’Évian et l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Une lueur d’espoir vite étouffé
À la mi-avril, Alger a procédé à l’expulsion de 12 agents consulaires français, soigneusement triés parmi ceux placés sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, désigné par les autorités algériennes comme le responsable de la nouvelle dégradation de la relation bilatérale. Une décision prise en riposte à l’arrestation d’un consulaire algérien dans le cadre de l’enquête sur l’enlèvement présumé du youtubeur Amir DZ. Le gouvernement français a réagi avec une mesure similaire, expulsant le même nombre d’agents consulaires algériens. Paris a aussi rappelé son ambassadeur en Algérie, Stéphane Romatet.
Moins d’un mois après ces développements, le 11 mai, Alger a demandé le rapatriement d’agents français affectés dans des conditions « irrégulières » et Paris a promis une réponse « immédiate, ferme et proportionnée ». C’est l’engrenage.
Les deux pays ont connu deux crises aiguës ces dernières années, en 2021 et en 2023. Mais aucune n’a autant duré que celle en cours ni n’a donné lieu à de telles mesures extrêmes. Cette fois, les choses semblent plus compliquées. D’abord à cause de l’objet même de la nouvelle discorde. L’arrestation et l’incarcération d’un fonctionnaire diplomatique n’est pas un fait anodin dans les relations entre États souverains. Pour l’Algérie, c’est une ligne rouge qui a été franchie, tandis que la partie française met en avant son incapacité, d’interférer dans une affaire de justice.
La relation France – Algérie otage de calculs électoraux
Les raisons qui rendent la crise en cours encore plus inextricable sont aussi à chercher en partie du côté de la situation politique intérieure en France née des deux scrutins électoraux de l’été 2024. En fin de règne et sans majorité au Parlement, le président Emmanuel Macron est sorti très affaibli des législatives qu’il a lui-même provoquées.
Le joueur clé sur l’échiquier politique français en ce moment, c’est l’extrême-droite, soutenue par la droite dure, soit précisément le courant qui ne veut pas d’une relation apaisée avec l’Algérie. Ce courant a déjà fait tomber un gouvernement, celui de Michel Barnier en décembre dernier.
Le rôle néfaste du lobby pro marocain
Deux alliés objectifs se retrouvent dans le projet de sape de la relation franco-algérienne. L’extrême-droite et sa nostalgie de l’Algérie française et la droite traditionnelle et son tropisme marocain. Pour qui suit de près l’évolution de la relation bilatérale ces dernières années, le rôle du lobby pro-marocain dans la dégradation actuelle n’est pas négligeable.
Au plus fort de la lune de miel entre Alger et Paris, et alors que rien n’allait entre Emmanuel Macron et le roi du Maroc, des personnages de la droite dure, et même de l’extrême-droite avaient insisté pour un « rééquilibrage » de la politique maghrébine de la France, alors jugée favorable à Alger au détriment de Rabat. Éric Ciotti, Rachida Dati et d’autres personnages ont plaidé publiquement pour la reconnaissance par la France de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental. Emmanuel Macron a fini par céder en juillet 2024 et la relation France – Algérie est plongée dans une crise sans précédent.
La crise en cours est rendue encore plus complexe par son utilisation pour les besoins des agendas électoraux de la droite et de l’extrême-droite. Cela est particulièrement vrai en ce moment pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, tout près de gagner la présidence des Républicains grâce, en partie, à sa posture anti-algérienne de ces derniers mois. Les observateurs ne se font pas d’illusions quant à une accalmie du discours anti-algérien à mesure que se rapproche l’échéance capitale de la présidentielle de 2027.
C’est en fait à une sorte d’effet albedo interminable que l’on assiste depuis quelques années : l’extrême-droite se nourrit du discours anti-algérien qui lui-même prend de l’ampleur à mesure que monte ce courant politique. À ce rythme, les deux pays ne font que repousser l’échéance de la rupture.
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