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La gauche algérienne ne répond plus

La gauche algérienne ne répond plus

En panne d’idées, la gauche algérienne est devenue inaudible. Elle n’est pas en mesure de proposer et de mener à bon port une sortie de crise avec une vision de gauche.

Commençons par évacuer les vrais prétextes et faux alibis qui justifient la faiblesse du débat politique en général, et l’absence d’une parole de gauche en particulier. En Algérie, comme ailleurs, la qualité du débat politique dépend de plusieurs facteurs : un pouvoir et des institutions ouverts au débat, une « élite » ouverte sur le monde, un État de droit favorisant et protégeant la liberté de pensée et d’expression, particulièrement quand celle-ci est à contre-courant des idées dominantes.

Inutile de dire que ces conditions ne sont pas réunies en Algérie. Le pouvoir algérien se méfie du débat qui risque de remettre en cause ses assises et sa légitimité. La liberté de création et d’expression fait régulièrement l’objet de coups de semonce qui rappellent à tout un chacun la fragilité de sa situation. Personne n’est à l’abri, qu’il s’agisse d’un ancien général indiscipliné, d’un mauvais journaliste ou d’un blogueur talentueux.

La crise des années 1990 a aussi laissé des traces. L’urgence et la nécessité de survie ont imposé des reclassements et des positionnements hétéroclites. Avec ce résultat inattendu : le parti le plus populaire du pays, le FIS – pas nécessairement le meilleur, les partis nazi et fasciste ayant été aussi très populaires -, s’est retrouvé en opposition frontale avec les courants se présentant traditionnellement de gauche et affirmant défendre les intérêts des plus humbles.

Urgence et politique de survie

Toujours durant les années 1990, les courants de gauche ont abandonné le terrain social pour se focaliser sur les questions liées au pouvoir. Ils se sont mis au service d’un pouvoir qui avait besoin de brasser large pour affronter le danger le plus imminent, la menace d’un État islamique. En adoptant cette attitude, les courants de gauche ont fermé les yeux, ou validé, toutes les dérives du pouvoir en place : violations des droits de l’Homme, libéralisation sans règles de l’économie, déliquescence institutionnelle et morale, etc.

Le réveil a été brutal. L’avènement du président Abdelaziz Bouteflika a trouvé la gauche face à ces mêmes questions : socialement minoritaire, doit-elle assumer la rupture avec le pouvoir, avec les risques que cela comporte, ou rester collée aux « institutions », gage de protection, avec la possibilité de conserver un minimum d’influence « de l’intérieur » du système ?

Rester dans la proximité du pouvoir mène à des situations caricaturales. La plupart des courants de gauche continuent, par exemple, à soutenir l’UGTA.

Au nom du dogme selon lequel il faut coûte que coûte préserver l’unité des travailleurs, ces courants ferment les yeux sur une gestion indéfendable. Soutenir Sidi-Saïd et combattre l’impunité des dirigeants décrédibilise tous les courants qui affichent cette attitude.

Il est tout aussi difficile de rester dans la proximité d’un pouvoir où, à l’économie, trônaient des personnages comme Chakib Khelil, Amar Ghoul, Mohamed Bedjaoui ; un pouvoir dont les icônes, les grandes figures politiques et le modèle de succès économique sont controversés . Difficile d’assumer de telles amitiés, aussi bien sur un plan politique que moral.

Des choix pas encore assumés

La paix revenue, la donne a changé. Fallait-il, pour la gauche, tenter de reconquérir le terrain social, tout en se maintenant sur le plan sociétal, devenu envahissant à cause de la bigoterie dominante, de l’islamisation rampante et des restrictions aux libertés ? La gauche n’a pas tranché. Elle continue de défendre « les acquis », de plaider la cause des travailleurs alors que les militants de cette gauche appartiennent, dans une écrasante majorité, à la classe moyenne.

Mais le handicap principal de la gauche est qu’elle ne se renouvelle pas. Elle n’innove pas. Elle vit dans le passé, quand ce n’est pas dans la nostalgie. Elle continue à parler de classe ouvrière quand plus de la moitié des travailleurs du pays sont dans l’informel. Elle évoque les beaux jours de la SNVI et d’El-Hadjar, en refusant de voir que ces expériences ont généré un engrenage de problèmes structurels dont le pays n’arrive pas à se défaire. La SNVI a absorbé, il y a trois ans, un nouvel apport de près d’un milliard de dollars. Pour la moitié de cet investissement, le Maroc produit 400.000 véhicules par an et il est en train de se doter d’une véritable base de sous-traitance industrielle.

Bien sûr, l’Algérie a avancé grâce à des mesures phares depuis son indépendance. L’école gratuite et obligatoire, l’accès à l’université ont permis un formidable accès au savoir et à la dignité. Une redistribution correcte des fruits du développement et la démocratisation de l’accès à la santé ont constitué d’autres choix phares qui ont permis un immense progrès social.

Impasses

Et ensuite ? Que propose la gauche ? Rien. Ou si peu de choses. À part critiquer le néo-libéralisme et le FMI, les idées de gauche sont d’une indigence dangereuse. Qu’il s’agisse de l’entreprise, des relations de travail, de la répartition du revenu, on retrouve les mêmes slogans répétés à l’infini par des « idéologues » qui confondent gauche et étatisation, patrimoine public et bureaucratie. C’est une gauche qui veut faire plier la réalité au dogme : la révolution agraire a mené à l’impasse non parce que c’était un choix contestable, malgré sa générosité, mais à cause de Chadli. Du coup, on cherche des prétextes, des bouc-émissaires – le FLN, la bureaucratie, Messaadia -, et on refuse de voir le fond des choses.

Cette pensée figée n’admet aucune évolution. Prenons le secteur de la santé par exemple. La « médecine gratuite » a permis à des millions d’Algériens d’avoir accès à une médecine de base prônée par de grands noms de l’Algérie des années 1960. Mais ensuite, la société a changé, les maladies ont changé et sont devenues plus complexes, le niveau de vie a évolué, les ressources financières ont explosé. Mais sur le plan organisationnel, c’est le statu quo. Résultat : pendant que les uns continuaient de défendre la médecine gratuite et de dénoncer la marchandisation de la santé, l’impasse du système de santé débouchait sur la légalisation d’une filière permettant aux Algériens de se soigner à l’étranger !

C’est quoi être de gauche aujourd’hui ?

Partout et de tout temps, être de gauche, c’est être partisan d’une politique soucieuse du bien-être du plus grand nombre, et notamment des plus vulnérables. Être de gauche, c’est privilégier l’intérêt collectif, la solidarité, l’entraide. Mais être de gauche, c’est aussi inventer de nouveaux modes d’organisation, performants sur le plan économique et social.

Cela ne signifie pas être un cacique de gauche. Vivre dans la nostalgie de l’ère Boumediène en occultant l’émergence d’une bureaucratie envahissante et inefficace mène à l’impasse.Confondre gestion bureaucratique et socialisme relève de la cécité politique, sans compter le volet autoritaire du personnage et le mépris dont il faisait preuve sur le terrain des libertés.

Être de gauche ne signifie pas non plus se limiter à palabrer sur les réseaux sociaux pour réinventer le monde. Il y a une différence marquée entre militantisme et activisme. Les réseaux sociaux sont le révélateur d’une crise de l’organisation partisane, et une alternative partielle à l’organisation traditionnelle. Elle ne l’efface pas.

Être de gauche, cela signifie-t-il soutenir l’État distributeur, et donc rentier ? Soutenir les créateurs d’emplois qui vivent aux crochets de l’État ? Ou faut-il plutôt combattre les fortunes qui se sont constituées à l’ombre du pouvoir ? Quand la pensée de gauche va-t-elle regarder de face les problèmes que constitue la surévaluation du dinar et l’impasse des subventions ?

Otage d’une pensée intégriste

En Algérie, la pensée de gauche est otage de trois courants. Le premier est celui des idéologues, qui nient le réel. S’il y a du trafic de carburant aux frontières, ce n’est pas parce que le prix est trop bas en Algérie, mais parce qu’il n’y a pas assez de gendarmes, ou pas assez de subventions chez les voisins.

Le second courant est celui des bureaucrates, qui continuent d’entretenir la confusion entre socialisme et bureaucratie. Le troisième courant a abandonné le terrain social pour s’investir dans le domaine sociétal.

L’hégémonie de ces courants sur ce qui est supposé être la pensée de gauche provoque des dégâts considérables. D’un côté, leur discours figé, parcellaire et archaïque, crédibilise celui des nouvelles droites, qui ont créé tout un vocabulaire pour se défendre. Les nouvelles droites ne parlent plus de capital, de bénéfices, de classe possédante, mais d’entrepreneurs, de création de richesses, de rentabilité, de croissance, de ruissellement, etc. alors qu’à gauche, on parle « d’acquis irréversibles ».

D’un autre côté, ces courants empêchent les autres de penser, de proposer, d’innover, d’avancer. En cela, ils ressemblent étrangement aux intégristes partisans d’Ibn Taymia, pour qui « toute innovation est création, toute création est hérésie et toute hérésie mène en enfer ».

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