Politique

« La position financière du pays ne permet pas de répondre à ses engagements de fonctionnement et d’équipement »

Mohamed Achir est enseignant d’économie à l’Université de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, il revient sur la décision du gouvernement d’abandonner la planche à billets instaurée en octobre 2017. Selon lui, l’abandon de cette démarche va donner lieu à des gels de certains projets publics et à ne pas honorer certains crédits d’entreprises. Contrairement aux assurances du porte-parole du gouvernement Bedoui, M. Achir met en garde quant à la position financière interne très fragile du pays.

Que doit-on retenir de la décision de recourir à la planche à billets ?

D’abord, il y a lieu de souligner que la planche à billets ou la décision de recourir au financement non conventionnel relève de la souveraineté monétaire de l’État. Cela étant dit, la décision doit être légitimée par des élus (parlement) et doit aussi être prise après concertation et en coordination avec les autorités monétaires et financières en l’occurrence la Banque d’Algérie et le Conseil national de la monnaie et du crédit.

Ce que nous constatons, c’est qu’au début, la prise d’une telle décision a été strictement exécutive, c’est-à-dire que c’est l’Exécutif qui a pris cette décision sans pour autant enclencher un débat national souverain sur sa portée, bien qu’elle soit une démarche structurelle puisqu’elle touche toute la structure de l’économie nationale. Ceci d’une part.

D’autre part, lorsque l’exécutif a pris cette décision, il a soumis un projet de loi modificatif devant le Parlement pour neutraliser la Banque d’Algérie en termes de prises de décision et son autonomie vis-à-vis de l’Exécutif en matière de financement monétaire de l’économie.

Aujourd’hui, tout comme l’ancien exécutif qui a pris la décision de recours au financement non conventionnel, sans débat et sans la moindre étude d’impact, il n’appartient pas au gouvernement Bedoui de prendre la décision d’abandon de la planche à billets. Pour la simple raison que c’est une décision strictement structurelle et qui relève de la souveraineté monétaire de l’État, et nécessite une large adhésion et une délibération du Parlement, etc.

Le recours à la planche à billet a-t-il servi à quelque chose ?

La décision du financement non conventionnel a été catastrophique pour l’économie nationale. Elle a permis au Trésor d’imprimer des financements à hauteur de 6 500 milliards de dinars (55 milliards de dollars) dont une partie a été affectée au Fonds national d’investissement (CNI), une autre pour compenser le déficit public (2 000 milliards DA) et d’autres montants ont servi à régler les crédits des entreprises publiques. La Banque d’Algérie a parlé de la stérilisation d’environ 1 800 milliards de dinars, un montant qui n’est pas encore injecté dans le circuit économique.

Le gouvernement a déclaré que l’abandon de la planche à billets s’expliquait par les montants importants des réserves de change. Est-ce le cas ?

Cet argument n’est pas du tout cohérent parce que les réserves de change sont en baisse importante. Les montants restants à la fin de cette année pourraient nous permettre de couvrir quelque 15 mois d’importations. L’État n’a plus cette capacité de monétisation des réserves de change qui a été appliquée lorsqu’on avait jusqu’à 200 milliards de dollars de réserves de change. Il faut dire que la planche à billets a déjà été appliquée indirectement à travers la monétisation des réserves de change. C’est-à-dire que lorsqu’on a beaucoup de devises qui entrent au pays ça nous permet de créer beaucoup de dinars. Dans ce cas-là on maîtrisait l’inflation parce que l’offre dinars a été maintenue par le niveau important des réserves de change. Aujourd’hui, on n’est pas dans cette situation, et on ne peut pas réellement monétiser les réserves de change du fait qu’elles vont suffire à peine à couvrir 15 mois d’importations.

Quels sont les risques encourus par cette décision d’abandon de la planche à billets ?

Il faut s’attendre à des gels de certains projets publics, et même à ne pas honorer certains crédits d’entreprises. Les commandes publiques sont réalisées par des entreprises publiques, notamment les grands projets comme les voies ferrées, les routes et des infrastructures de la santé et de l’éducation. Donc, un tel gel aura un impact sur le règlement de ces engagements vis-à-vis des entreprises.

L’État a-t-il les moyens pour faire face à ces risques ?

La position financière interne du pays ne permet pas de répondre à ses engagements de fonctionnement et d’équipement. Il faut avoir un prix du baril de pétrole supérieur à 85 dollars déjà pour équilibrer le budget de l’État. Donc, je ne vois pas avec quels moyens l’Exécutif va-t-il financer les engagements de l’État. Et puis, les responsables n’ont pas à prendre une telle décision d’abandon de la planche à billets, sans présenter au préalable un bilan de ce financement non conventionnel. Ils doivent nous fournir le rapport de la commission installée auprès du Premier ministre à l’effet de suivre l’émission des financements non conventionnels. On est en droit de se demander où est cette commission ?

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