Débats et Contributions

La solution à la crise ne peut être que politique

CONTRIBUTION. Ceux qui veulent imposer une solution constitutionnelle par le biais de l’article 102, même édulcoré aux articles 7 et 8, à la crise mortelle que traverse notre pays, jouent avec le feu.

L’article 102 est, de fait, aboli.

Le peuple, qui s’est levé, par millions, depuis le 22 février 2019, a, de facto et de jure, rendu la Constitution caduque. En réalité, elle l’était depuis longtemps.

Désormais, tout ne peut plus être comme avant. L’article 7 a été déjà mis en œuvre, 7 vendredis consécutifs, par un référendum à ciel ouvert, par près de 24 millions de citoyens pacifiques et déterminés. Autant dire que l’ensemble du corps électoral a fait entendre sa voix.

La constitution de 1996 a été violée et triturée en novembre 2008 pour assurer au président de la République omnipotent des pouvoirs de monarque, un 3ème mandat, en attendant le 4ème, puis le 5ème., avec son maintien au pouvoir ad vitam aeternam. Le 6 mars 2016, ce texte fut encore dépecé, charcuté et retaillé pour lui aller comme un gant, par ses zélateurs, qui l’avaient maintenu au sommet, en dépit de l’AVC aux conséquence irréversibles qui l’avait frappé en 2013. C’est à cette date, et peut-être plus tôt, que le Conseil dit constitutionnel, aurait dû déclarer la vacance de la fonction suprême, en application de l’article 88, devenu 102 dans la mouture triturée la plus récente, qui stipule que :

Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. »

La réalité de l’empêchement n’avait pas à être vérifiée. Les images navrantes de M. Bouteflika, apathique, paralysé, aphone, traîné sur un fauteuil roulant, qui ont fait le tour du monde, humiliant les Algériens, constituaient la preuve irréfutable de son incapacité définitive.

Qu’importe ! Des témoins de mauvaise foi, comme, par exemple, le président français François Hollande, furent convoqués pour s’émerveiller de « l’alacrité » d’un personnage pathétique. Toutes les falsifications, tous les tripatouillages ont été utilisés par le cercle rapproché de l’ex président et par une multitude d’individus de tout acabit, y compris M. Lakhdar Brahimi, accouru, encore une fois, pour faire accroire que cet homme hors du temps et de l’espace, « jouissait de 100% de ses facultés ».

C’est dans ce contexte que les Algériens, médusés, virent apparaître les adorateurs du cadre qui déifièrent leur idole au point d’offrir un cheval à une image, ou de conférer des honneurs à une photo, en présence d’un ministre de l’intérieur servile, bombardé récemment Premier ministre. Un membre du gouvernement, et après lui l’actuel président de l’APN, ainsi que de nombreux thuriféraires intéressés et rampants jusqu’au déshonneur, assimilèrent M. Bouteflika au prophète Mohamed (SAAS).

La Constitution a été définitivement transformée en chiffon sans valeur par la désignation de l’actuel président à la tête du Conseil constitutionnel en dépit de l’article 183, alinéa 4 du texte qui dispose que « Le Président de la République désigne, pour un mandat unique de huit (8) ans le Président et le vice-président du Conseil constitutionnel ». Or, le personnage en place a déjà présidé cet organisme.

Selon les constitutionalistes les plus sérieux, nous nous trouvons en présence de l’aberration suivante : en tant qu’indu occupant de la fonction, le président du conseil dit constitutionnel n’était pas, sur le plan juridique « stricto sensu », en capacité d’accepter la démission de M. Bouteflika. En conséquence, il est fort probable qu’elle soit nulle et de nul effet.

On peut, par ailleurs, citer des dizaines de violations de la Constitution par ceux qui ne s’en prévalent que pour justifier des aberrations incompatibles avec la notion même de l’État de droit et la démocratie.

Les textes fondamentaux ou les usages séculaires des pays démocratiques se réfèrent tous au peuple comme source unique du pouvoir. La Constitution algérienne, qui n’a été, de tout temps, qu’un alibi pour les tenants du pouvoir, n’y déroge pas, puisque son article 7 stipule que « le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple ».

Cet article se suffit à lui-même et devient « reconstituant ». L’article 8 précise que « Le pouvoir constituant appartient au peuple.

Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne. Le peuple l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus.

Le Président de la République peut directement recourir à l’expression de la volonté du peuple ».

Il est évident que seul l’alinéa 1er de cet article vaut d’être retenu, puisque le peuple s’est exprimé par un référendum, informel peut-être, mais grandeur nature à travers tout le pays. Par ailleurs, les deux assemblées formant le parlement sont illégitimes dans la mesure où elles ont été désignées et non élues, dans des conditions frauduleuses par moins de 15% du corps électoral et que la pratique infamante de de la « chkara » pour acheter les sièges est de notoriété publique. La disqualification de ces institutions apparaît plus flagrante encore quand on sait que l’actuel président de l’APN, a usurpé sa fonction, en expulsant par la force son prédécesseur et en cadenassant les portes de l’édifice, donnant ainsi le spectacle ubuesque de pratiques frisant le gangstérisme. Le président de ce qui tient lieu de sénat, est illégitime, car il occupe ce poste depuis 2002. Il y a été parachuté par le président dont il fut de tout temps, un serviteur docile. Il symbolise, de surcroit, comme d’autres, un système à bout de souffle dont les Algériens ne veulent plus.

L’actuel gouvernement a été mis en place par des forces « extra constitutionnelles », dans l’opacité totale, car chacun savait que l’ex président était dans l’incapacité de le faire. La composition de cette équipe, la plus médiocre et la plus étrange depuis l’indépendance, a donné lieu à des commentaires sarcastiques en raison des CV de la plupart de ses membres. Le peuple y a vu une nouvelle provocation et l’a fait savoir par des slogans acerbes.

En exigeant, le 5 avril dernier, le renvoi des « 3 +1 B », les millions d’Algériens ne visaient pas seulement les personnes, qui, au demeurant, n’ont ni le charisme, ni l’envergure nécessaires pour inspirer l’engouement ou le rejet. Chacun sait que ces hommes ne sont là que par hasard, en vertu du bon vouloir du monarque déchu. En réalité, l’immense majorité demande la dissolution des structures qu’ils président, et le départ de ceux qu’ils associent à un système révolu.

De ce qui précède, il découle que la constitution et les organes qui en sont issus sont caducs.

Quelle voie alors, pour notre pays, qui ne peut plus se permettre l’immobilisme mortifère dans lequel il a été sciemment enfermé à ce jour.

La solution ne peut être que politique, conforme aux aspirations du peuple et de ce fait révolutionnaire.

Et elle ne peut provenir que de la seule institution en laquelle une majorité d’Algériens ont encore confiance, malgré les déceptions du passé.

L’armée a été toujours partie prenante du pouvoir depuis l’été 1962. Elle s’est directement impliquée, avec plus ou moins de bonheur, au moins à 5 reprises, à des moments cruciaux de la vie du pays.

Aujourd’hui, elle a l’obligation de s’engager encore une fois, une ultime fois, avant de retourner à ses tâches conventionnelles, celles de toutes les armées. Et d’accepter, une fois pour toute, la primauté du civil sur le militaire.

En ces jours décisifs pour l’avenir de la nation, l’armée a le devoir de décréter la suspension de la Constitution et la dissolution du parlement et du Conseil dit constitutionnel.

Elle a le devoir de désigner, sans délai, une présidence collégiale de 3 à 5 membres pour remplir le vide créé de fait depuis 2013, par la maladie puis la démission de l’ex président.

Le conseil présidentiel aura pour tâche première d’accepter la démission de Premier ministre actuel et de choisir une personnalité consensuelle, compétente, au passé national sans tâche, pour former un gouvernement resserré d’union nationale composé de technocrates en vue de de remettre le pays en marche et de rétablir la confiance tant à l’intérieur qu’auprès de nos partenaires étrangers.

Le Conseil présidentiel désignera ensuite une commission nationale indépendante, totalement indépendante, et largement ouverte sur la société civile dans toutes ses composantes, pour revoir la loi électorale afin de l’adapter aux exigences nouvelles de transparence, de démocratie et de modernité. Ladite commission se substituera totalement à l’administration dans tout ce qui a trait aux consultations électorales.

Il est important, dans ce contexte, de restituer le sigle FLN à tous les Algériens. Le parti du même nom, dont certaines voix souhaitent la dissolution, n’a plus le droit d’en user, pour couvrir les comportements ridicules et les intérêts de personnes au passé parfois sujet à caution.

Suivra alors l’élection d’une assemblée nationale constituante, qui rédigera une constitution à soumettre à référendum. Une telle constitution établira de façon réelle et définitive la séparation des pouvoirs et garantira l’exercice des libertés individuelles et collectives. Le président qui sera élu dans la foulée n’aura plus le pouvoir de modifier la constitution à sa convenance.

L’étape suivante consistera à renouveler les assemblées locales actuelles et de donner aux élus du peuple le pouvoir réel et effectif de gérer des collectivités qui seront soustraites à l’hégémonie d’une administration tentaculaire propice aux lenteurs, à la confusion et à la corruption.

La proposition selon laquelle il conviendrait d’entamer la mise en place de cette seconde République par l’élection préalable d’un président est vaine, dans la mesure où elle ne pourrait se faire que dans le carcan de l’actuelle constitution, –devenue caduque– et dans le cadre de pratiques qui doivent être bannies à jamais.

Les grandes lignes de cette feuille de route sont analogues à celles qui ont déjà été formulées par certains acteurs de la vie politique et associative, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux qui bouillonnent d’idées pertinentes.

Il conviendra d’en affiner certains aspects. Mais il faudra surtout laisser aux Algériens le soin de prendre en charge leur propre pays. Ils n’ont plus besoin de tuteur, quel qu’il soit.

Se pose alors la question de savoir quels sont les femmes et les hommes qui auront à mener à bien la tâche de remettre sur la voie un pays dévasté par au moins 20 années de gestion chaotique. Ils seront accueillis favorablement par a majorité. D’abord parce qu’ils ne seront là que pour servir, et non pour se servir, dans des organes transitoires et éphémères. Les institutions pérennes qu’ils auront à mettre en place instaureront la démocratie qui permettra à tous les Algériens de s’investir dans la gestion de la chose publique.

Ne pourront pas faire partie des structures de la transition toutes les personnes, quelles qu’elles soient, liées à un titre ou à un autre, à la gabegie et à la corruption qui ont tant fait de mal au pays. Il est des visages et des noms qui sont devenus des symboles de la corruption, de la gabegie, de la servilité, de l’indignité de l’incompétence, de l’arrogance, en un mot, de la décadence de l’Algérie.

Les membres des organismes de la transition, seront tenus de rendre compte de leurs missions à son terme.

Notre jeunesse est impatiente de servir. Notre université regorge d’économistes, de spécialistes et d’experts dans tous les domaines. Notre diaspora est constituée de compétences de niveau mondial dans tous les secteurs, qui ne demandent qu’à servir le pays, mettant à fin à l’exclusion aberrante et injuste et dont elles ont été l’objet dans les textes pris en découlement de la Constitution de 2016. Ces dispositions devront être levées au plus vite par le futur gouvernement, pour permettre à notre pays de bénéficier des compétences, de l’expertise et de l’enthousiasme de ses enfants expatriés.

De nombreux noms circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Mais peu importent les noms. Il existe tant de compétences, tant de bonnes volontés, tant de personnalités intègres et expérimentées que nous n’avons que l’embarras du choix.

On peut citer, pour faire partie de l’in ou l’autre des 3 organes proposés, sans que la liste ne soit ni contraignante ni exclusive : Djamila, Bouhired, Maitres Mustapha Bouchachi et Mokrane Ait Larbi, Karim Tabou, Sofiane Djilali, Mohsen Bellabès, Mme Benabbou, M. Benbitour, Mme Amira Bouraoui, etc, etc.

Chaque wilaya pourrait proposer des représentants. Il y a suffisamment de place et surtout de travail pour l’ensemble des fils de l’Algérie, pour redresser le pays et réaliser le rêve des chouhadas et des fils de Novembre.


*Abderrahmane Meziane Cherif est Fondateur de l’Association des Anciens condamnés à mort de la Guerre de Libération nationale


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