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L’affaire Khider : retour sur un crime d’État impuni

Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, alors que les tensions s’exacerbaient entre les différentes factions du FLN, Mohamed Khider quitte le pays pour ne plus jamais y revenir. Alors secrétaire général et trésorier du parti, Khider contrôle les fonds de celui-ci et refusera de les « restituer » à Benbella, installé à la tête du pays par l’armée des frontières qui venait de renverser le GPRA.

Khider expliquera, dans un premier temps, cette « confiscation » des fonds du FLN par des « tripatouillages » dans la caisse du parti lors de son précédent voyage et par l’illégitimité du pouvoir en place. Plus tard, alors que le conflit entre lui et le régime de Benbella empirait, il expliquera son geste en rappelant les objectifs pour lesquels le « trésor » avait été rassemblé, c’est-à-dire « l’indépendance de l’Algérie et l’instauration d’un État démocratique ».

« La porte de l’ambassade d’Algérie à Madrid »

Le premier objectif ayant été atteint, mais le second reporté par l’accession de l’armée des frontières au pouvoir, Khider préfère s’exiler, d’abord en Suisse, puis en Espagne, pour se consacrer et consacrer le « trésor du FLN » au renversement du régime de Benbella.

Cette affaire du « trésor du FLN », qui mènera à l’assassinat de Mohamed Khider, le 3 janvier 1967 à Madrid, est l’élément central autour duquel s’articule le livre « L’affaire Khider, histoire d’un crime d’État impuni », dont l’auteur n’est autre que Tarik, fils de Mohamed Khider qui l’a écrit pour, dit-il, « dissiper les malentendus en levant le voile sur des vérités occultés ». Il y raconte la jeunesse, le parcours de militant et l’assassinat politique de son père, impuni jusqu’à ce jour.

Le livre tente de montrer le grand nationaliste et militant démocratique sous un angle nouveau, en apportant des informations détaillées, précises et richement documentées. Le récit nous éclaire sur le véritable usage que Khider fera des fonds du FLN, c’est-à-dire le soutien de l’opposition démocratique qui s’était élevée contre Benbella et ensuite, contre Boumediène ; l’enquête menée par les autorités espagnoles suite à l’assassinat, et qui mènera à « la porte de l’ambassade d’Algérie à Madrid » ; ou encore sur les opérations d’« intox » et de « dénigrement » que mènera le pouvoir algérien contre Mohamed Khider et même sa famille. L’auteur, par ce livre, veut corriger « une histoire frelatée, qui a occulté les vrais héros, pour célébrer les grandes canailles ».

Tarik Khider raconte dans son livre comment l’assassinat, perpétré de sang-froid, par un Algérien, Youcef Dakhmouche, qui a « consciencieusement mitraillé » Khider, restera impuni jusqu’à nos jours, malgré les conclusions accablantes de l’enquête menée par les autorités espagnoles.

Pour l’auteur, l’implication dans l’assassinat de Rabah Boukhalfa, attaché culturel à l’ambassade d’Algérie à Madrid ne fait aucun doute. Mais celui-ci ne sera même pas interrogé devant la cour, malgré les tentatives de la justice espagnole de l’y convoquer, car protégé par l’immunité diplomatique.

L’auteur rapporte la déclaration qu’a faite Ait Ahmed, un mois après l’assassinat : « Le crime est signé. Nous avons la certitude, sur la base d’informations recueillies en Algérie et au-dehors, que l’assassin est Dakhmouche Youssef, un truand, un faux-monnayeur, affairiste louche, qui fut arrêté en Algérie en 1966 pour contrefaçon. En juin de la même année, un officier de la Sécurité militaire le fit libérer après avoir conclu un marché avec lui. L’homme qui conclut ce marché et recruta Dakhmouche dans son propre service n’est autre que Rabah Boukhalfa, actuellement attaché culturel à l’ambassade d’Algérie à Madrid ».

Acharnement sur le mort

Le récit de Tarik Khider ne s’arrête pas à la date de l’assassinat de Mohamed Khider, ni aux concluions de l’enquête espagnole, car l’affaire se prolonge au-delà de l’assassinat. Enterré au Maroc, Khider continuera à subir l’acharnement du pouvoir algérien et sera même privé du drapeau algérien qui flottait au-dessus de sa sépulture, car il sera retiré par les autorités marocaines à la demande express d’Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères.

Tarik Khider raconte : « Un mois plus tard, Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, introduit par voie diplomatique une curieuse demande auprès des autorités marocaines : faire enlever le drapeau algérien qui flottait sur la tombe de Mohamed Khider ! Avec tact, des représentants du Palais royal rendent visite à Mme Khider pour l’informer de la requête du gouvernent algérien, tout en s’excusant de devoir l’exécuter ».

Un legs précieux

Quant à l’affaire du trésor du FLN, elle ne connaîtra son dénouement qu’après la disparition de Boumediene. Le fonds est remis aux autorités algériennes par la cession de la Banque Commerciale Arabe (BCA), fondée par Mohamed Khider avec le trésor du FLN et qui était alors sous le contrôle de ses héritiers, à l’État algérien.

En contrepartie, le pouvoir s’engage à « clarifier officiellement cette affaire des Fonds et à réhabiliter Mohamed Khider de toutes les accusations d’escroquerie portée contre lui ». L’accord ne prévoyait pas la reconnaissance par le pouvoir algérien de la responsabilité de l’État dans l’assassinat de Khider mais aucune de ces promesses ne sera tenue.

Il faudra attendre 1993 pour que l’État algérien rende un premier hommage à Mohamed Khider, lors d’une cérémonie en son hommage, organisée à Biskra, par l’Organisation nationale des Moudjahidine, à l’initiative du Président du Haut Comité d’État, Ali Kafi.

Un récit familial

Le livre est aussi intéressant par les témoignages des intimes de Khider qui montrent, pour la première fois, les liens familiaux qui liaient Mohamed Khider et Hocine Ait Ahmed, beaux-frères depuis leurs mariages avec les sœurs Toudert. La double union aura lieu en 1953, au Caire, en présence, notamment, de Allal Fassi, Yasser Arafat, Salah Ben Youssef.

Les conséquences de ce double mariage reviennent tout au long du livre dont une partie est même entièrement consacrée à ce « combat des épouses ». Celles-ci se consacreront au soutien de leurs maris, lors de leur séjour en prison puis sur l’île d’Aix, elles participeront aussi aux campagnes de récolte de fonds pour la Révolution. Après l’indépendance et suite à l’avènement du conflit entre leurs maris (Ait Ahmed et Khider), d’une part, et le pouvoir (Benbella et Boumediene), d’autre part, les sœurs Toudert subiront de nombreuses pressions et verront même leurs enfants, Tarik Khider et Jugurtha Ait Ahmed, nés la même année, menacés.

« L’affaire Khider » est un livre d’Histoire précieux qui fait resurgir deux affaires oubliées, celles de l’assassinat politique de Mohamed Khider et du « trésor du FLN ». Le récit, en s’appuyant sur une documentation riche et sur de nombreux témoignages de membres de la famille, d’amis et de collaborateurs de Mohamed Khider, rappelle à notre mémoire un nationaliste « idéaliste », qui aura mené une vie jalonnée de luttes et qui, même après sa mort, continuera à servir son pays, l’ayant doté, de son vivant, d’une banque de commerce extérieure domiciliée à Zurich et qui, jusqu’à nos jours, contribue à l’économie algérienne.

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