Économie

L’Algérie a-t-elle raté le virage de la transition énergétique ?

Le spécialiste en énergies renouvelables et consultant, Tewfik Hasni, fait le constat de la faible part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique nationale. Il explique pourquoi l’Algérie n’exploite pas son énorme potentiel dans le solaire.

Quelle est aujourd’hui la part des énergies renouvelables (EnR) dans la politique de consommation de l’énergie en Algérie ?

Aujourd’hui, la part des EnR dans la génération électrique ne dépasse pas les 400 MW sur une capacité de génération électrique avec du gaz qui approche les 22 000 MW et qui a tendance à augmenter de 14 000 MW.

L’usage de l’énergie pour notre pays se répartit en 20 % pour l’électricité et 80 % pour la chaleur (principalement le gaz naturel). Les EnR représentent moins de 1 % de la consommation électrique, soit 0,2 % de la consommation énergétique globale.

L’Algérie a-t-elle déjà raté le virage de la transition énergétique ?

L’Algérie ne peut et ne doit pas rater le virage de la transition énergétique. Le terme sécurité énergétique veut dire que nous devons assurer l’indépendance énergétique pour nous et les générations futures, mais aussi par une efficacité énergétique.

Ceci veut dire aussi que nous devons arrêter le gaspillage dans la consommation des ménages qui a atteint un sommet entraînant un niveau de subventions de l’ordre de 15 milliards de dollars par an. Il est clair que ceci ne peut se résoudre que par un débat ouvert à tous les acteurs sans exclusive.

Nous avions tous pensé que la volonté politique avait été affirmée. En effet, la création d’un ministère de la Transition énergétique semblait le confirmer. Cependant, le manque de cohésion au niveau gouvernemental comme l’affirme le ministre de la Transition énergétique nous a surpris. Ceci ne peut se résoudre qu’en revenant au grand débat.

Que faut-il revoir dans la politique énergétique pour réduire le gaspillage de l’énergie ?

Nous pensons avoir cerné les points importants, à savoir mettre fin au gaspillage, cela ne peut se faire qu’en révisant modérément les tarifs de l’électricité pour les faire évoluer en 4 ans jusqu’au niveau de 8 DA/Kwh, soit 2000 DA/an par habitant.

Il faut avancer rapidement sur les subventions ciblées qui devraient toucher 30 % de la population. Il faut aussi augmenter l’efficacité énergétique dans les bâtiments par des normes de construction et en imposant l’intégration de chauffe-eau solaires et de chargeurs de véhicules électriques.

Par ailleurs, la taxe carbone aux industriels va aussi s’imposer. La taxe carbone est le moyen trouvé par les pays développés pour pénaliser l’usage des énergies fossiles et par la même financer le développement des EnR. Elle s’appliquera aussi aux carburants. Il faudrait aussi avoir des tarifications variables pour les pointes de consommation et la nuit.

Le potentiel algérien en énergie solaire est énorme mais il reste infiniment sous-exploité. Pourquoi ?

On ne comprenait pas pourquoi nous n’arrivions pas à expliquer que le potentiel le plus important en Algérie était le solaire thermique, c’est-à-dire la chaleur du soleil. Cela représente 40.000 millions de tonnes équivalent pétrole par an (40 000 MTEP/an).

Le pétrole, c’est 50 MTEP/an, le gaz 85 MTEP/an, le gaz de schiste 20 MTEP/an. Nous avons fini par découvrir que c’était à la fois le lobby pétrolier qui voyait la compétitivité du gaz faiblir par rapport au solaire thermique alors que le photovoltaïque intermittent ne représente pas une alternative énergétique pour ce lobby.

L’institut Fraunhofer avait démontré que même à 2 $/MMBTU, le gaz avait perdu de la compétitivité avec le solaire thermique et le photovoltaïque combinés. L’autre facteur était bien sûr le problème du changement climatique qui a été accentué par la crise sanitaire.

Ceci avait tari les financements dédiés aux hydrocarbures pour être orientés au profit des EnR. Le lobby électrique était en conséquence menacé. Le lobby du nucléaire a été celui qui a bloqué toute exportation d’électricité verte (EnR) vers l’Europe. Ceci au nom de l’indépendance énergétique des pays du Nord.

Cette stratégie finira aussi par bloquer la production d’hydrogène de notre pays qui serait compétitive avec celle des pays européens. Ceci toujours au nom de cette indépendance énergétique qui reste un faux argument. En effet, l’Europe ne pourra jamais assurer son indépendance énergétique dans le futur.

Le monde post-Covid ne peut absolument pas être appréhendé avec précision. De grands cabinets conseils qui menaient des études dans ce cadre ont mis les clés sous la porte.

La crise multidimensionnelle peut reproduire les conditions d’une crise mondiale entraînant des guerres ouvertes. Nous ne pensons pas arriver à cela, les signaux apaisants semblent le prouver. C’est le cas du dialogue USA-Iran. La cause à la base reste la sécurité énergétique.

Dans la même logique, on voudra réorienter les livraisons énergétiques de la Russie vers l’Europe et empêcher qu’elles aillent en Chine. Dans tout cela l’Algérie n’a pas la dimension voulue en réserves gazières compétitives pour se positionner dans cette bataille.

À quoi attribuez-vous l’absence de projets dans le domaine des EnR?

Il nous faut, comme nous l’avons toujours défendu, ramener Sonatrach et Sonelgaz à leurs métiers de base. Cela consiste pour Sonelgaz à développer le réseau électrique aussi bien dans le transport sur de longues distances y compris vers l’export et aussi les réseaux de distribution.

La génération électrique n’est plus le monopole de Sonelgaz selon la Loi sur l’électricité et la distribution du gaz de 2002. Pour Sonatrach, sans être son métier actuel qui consiste à développer ses capacités dans les hydrocarbures seuls, il deviendrait à l’instar de tous les groupes pétroliers celui d’un groupe énergétique international en s’appuyant sur les ressources énergétiques nationales, en premier le solaire qui le mènerait demain à produire aussi l’hydrogène à un prix compétitif.

Sonatrach doit se positionner sur le marché électrique qui remplacera la part du marché actuel des hydrocarbures, soit 80 %. Ceci en investissant dans les centrales solaires (thermique-photovoltaïque) et en récupérant le gaz torché pour la génération électrique la nuit. Ce métier sera géré par une nouvelle société en partenariat public-privé. La société de développement de projets solaires proposée reste une société de services.

La tendance mondiale est vers le véhicule 100% électrique, prélude au principe du « zéro émission ». En Algérie, l’augmentation du parc de véhicules incite à une plus grande consommation énergétique. Comment peut-elle se sortir de ce piège ?

On peut s’inscrire dans l’approche que nous avons recommandée, laquelle consiste à faire le saut technologique de la 2e révolution industrielle à la 4e. Le message est bien compris avec les pôles technologiques sur l’Intelligence Artificielle lancés récemment.

Il faut s’inscrire dans ce cadre. Au lieu de revenir à la 2e révolution industrielle symbolisée par les voitures à moteur à combustion, il serait plus logique de s’engager résolument dans la construction de voitures électriques.

Notre pays a tout le potentiel pour atteindre les 100 % EnR. En 2050 nous pouvons atteindre les 60 % EnR. Notre potentiel permet de satisfaire les besoins de l’Union européenne dans les limites de leur dépendance énergétique. Il serait incompréhensible de rater ce basculement au moment où le monde entier se cherche.

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