search-form-close
L’Algérie et les Brics : « Il ne s’agit pas d’un échec… »

L’Algérie et les Brics : « Il ne s’agit pas d’un échec… »

Dans cet entretien, l’économiste Brahim Guendouzi revient sur le rejet de la candidature de l’Algérie aux Brics.

Il explique pourquoi ce n’est pas un échec, mais une erreur d’appréciation. Le professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou détaille ce qu’il faut faire pour moderniser et développer l’économie nationale.

L’Algérie n’a pas réussi à intégrer les Brics. Pourquoi ?

Il y a eu une ferme volonté de l’État algérien de rejoindre le groupe BRICS, car le considérant comme un modèle d’émergence économique et un positionnement de politique internationale visant la mise en œuvre d’un système multipolaire, il correspond à une aspiration profonde de l’Algérie.

L’inconvénient de cette aspiration réside cependant dans le groupe des BRICS lui-même, dont le fonctionnement est particulier, car ce n’est ni une structure de libre-échange sur le plan commercial nécessitant une négociation, ni une organisation internationale à l’image d’autres organisations.

Plus encore, il n’existe pas de critères d’intégration puisque les 5 pays composant le groupe ne pensaient pas un jour s’ouvrir vers d’autres pays.

Ce n’est qu’à la suite de la guerre russo-ukrainienne que la question de l’élargissement des BRICS fût posée et une vingtaine de pays en sont devenus candidats.

Alors, comment voulez-vous qu’un pays sache qu’il va être intégré ou pas quand il n’a aucune idée des critères qui lui seront appliqués, d’autant plus que l’élargissement lui-même ne fut décidé que durant le second jour du sommet qui s’est tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg en Afrique du Sud. L’ouverture vers six autres pays s’est faite également de façon opaque, à partir de tractations de dernière minute.

Cet échec est-il dû à l’état de l’économie algérienne, trop dépendante des hydrocarbures ?

De mon point de vue, il ne s’agit pas d’un échec, mais beaucoup plus d’une erreur d’appréciation à propos du fonctionnement du groupe BRICS.

Il se caractérise déjà par des disparités économiques entre les cinq pays le composant, à partir desquelles découle un rapport de force.

À titre d’exemple, le PIB de la Chine est six fois plus important que celui de l’Inde, et ce dernier pays dispose à son tour d’un PIB six fois plus grand que celui de l’Afrique du Sud.

Au total, ce n’est pas tant une différence de PIB qui a fait que la candidature de l’Algérie soit rejetée. Il existe certes un déficit en matière de gouvernance économique du pays, mais qui pourrait être relativisé grâce à l’énorme potentiel en ressources naturelles.

Les importantes disponibilités en pétrole et en gaz ont permis justement à l’Algérie de mieux s’insérer dans les chaines de valeur mondiales se rapportant à l’énergie. Cet aspect est déjà en lui-même un indicateur positif.

Quel est l’intérêt d’intégrer les BRICS ? Que gagnerait l’Algérie sachant que ses principaux clients sont en Europe ?

L’intégration recherchée au groupe BRICS par l’Algérie signifie, en termes d’image, un pays émergent sur le plan économique. De plus, il existe des relations économiques et politiques, qui sont anciennes et sont imprégnées de confiance, la liant à chacun des cinq pays, pris individuellement.

D’autre part, l’Algérie apprécie la contribution des BRICS dans l’économie mondiale et leur place dans le système des relations internationales.

Ils offrent, pour de nombreux pays, une alternative au système dominant unipolaire. Au demeurant, notre pays ne s’est pas détaché de son espace naturel, l’espace méditerranéen, puisque des relations privilégiées sont entretenues avec l’Italie, le Portugal, la France, avec un léger recul, et presque le gel avec l’Espagne, de façon conjoncturelle.

Toujours est-il, l’Union européenne représente près de 50 % de ses importations. L’Algérie est également très active sur le continent africain, surtout depuis la mise en œuvre de la ZLECAF.

Ne faut-il pas commencer par développer l’économie, la moderniser, augmenter le PIB avant de soumettre une candidature aux BRICS ?

Il est clair que pour un pays qui cherche à aller de l’avant, il ne doit compter que sur lui-même. Il n’y a pas de solutions miracle.

De par son potentiel naturel, son positionnement géopolitique et sa ressource humaine, l’Algérie a les moyens pour hisser son économie vers la diversification et la croissance économique vigoureuse.

La vision économique et la bonne gouvernance en seront les atouts pour les années à venir. Le bon positionnement à l’international et le partenariat en sont indispensables.

Cette candidature n’était-elle pas finalement prématurée vue l’état de l’économie algérienne ?

Comme on dit en management, il faut savoir évaluer ses forces et ses faiblesses. L’Algérie a surestimé le groupe BRICS, car il véhicule l’image de la compétitivité et la performance économique.

Mais c’est une erreur d’appréciation. La polarisation du système international et l’incapacité des Nations-Unies à résoudre les crises régionales et mondiales sont peut-être une première motivation qui a guidé l’option de l’Algérie vers les BRICS.

La seconde option, réside dans le renouveau des relations économiques internationales, laissant présager des modifications dans les rapports de force, tant par rapport aux flux de commerce que d’investissements et même des paiements internationaux. Ces deux motivations sont encore présentes.

Quelles sont leçons à tirer de cet échec ?

L’espoir mis dans l’adhésion au groupe BRICS doit se transformer en volonté de construire sa propre force économique qui permet au pays de peser au niveau des relations internationales.

Il s’agit au mieux d’identifier les nouvelles sources de croissance devant mener à moyen terme vers la densification du tissu économique et sa diversification, mais à la condition de changer sa gouvernance. La mutualisation des efforts et la construction de consensus autour des questions économiques y sont indispensables.

Un pays comme l’Éthiopie dont l’économie est modeste a été admis aux BRICS. Les Émirats arabes unis ou l’Égypte ne disposent pas non plus d’économies puissantes. L’aspect géopolitique a-t-il primé dans le choix des candidats ?

Les choix opérés par le groupe BRICS pour son élargissement vers six autres pays ont suscité l’étonnement et la surprise.

Mais cela a permis en même temps de découvrir que le groupe est traversé par des contradictions qui se sont traduites par des arbitrages sur le plan géopolitique, afin d’arriver à un équilibre déterminant le choix des six nouveaux pays membres.

Évidemment, l’Algérie, n’ayant pas eu suffisamment d’appuis, s’est retrouvée sur la touche. Maintenant, à partir de janvier 2024, il y aura un autre BRICS avec 11 pays membres, et ce sera une nouvelle donne pour l’Algérie.

L’Algérie a un gros potentiel économique, mais son économie souffre de blocages administratifs. Cet échec va-t-il pousser le gouvernement à accélérer le processus des réformes économiques ?

Il existe en Algérie de nombreux verrous qu’il faudra sauter pour rendre l’acte d’investir aussi fluide que possible, c’est-à-dire être à l’écoute des porteurs de projets, et non pas rester otage d’une réglementation tatillonne et plus ou moins rigide.

Des efforts considérables sont attendus afin de lever l’ensemble des contraintes qui bloquent l’investissement productif, particulièrement le foncier industriel, le financement bancaire, la réglementation des changes, un système fiscal complexe, l’environnement administratif sclérosé, etc.

Aussi, la stabilité juridique reste une préoccupation exprimée par les opérateurs économiques pour s’assurer plus de visibilité dans l’évolution de l’économie nationale.

La diversification de l’économie est un sujet qui revient souvent dans le débat public en Algérie. Mais le pays peine à développer et à diversifier son économie. Pourquoi ?

Les réformes économiques qui s’imposent passent en premier lieu par placer le travail au centre de l’effort collectif et récompenser l’action individuelle comme il se doit.

En deuxième lieu, consolider le tissu des PME et redonner à l’entreprise la valeur qui lui sied en tant que source de création de valeur ajoutée.

En troisième lieu, le gouvernement a identifié des sources de croissance liées à des secteurs structurants comme l’agriculture, la pétrochimie, la sidérurgie, les énergies renouvelables et l’agro-industrie.

La réforme du système financier et fiscal, ainsi que la résorption de l’informel, sont les principales préoccupations.

Ce sont toutes ces actions, auxquelles doit s’ajouter le facteur confiance, qui sont susceptibles d’être menées sur un horizon de moyen terme afin d’apporter le renouveau tant souhaité dans le sens de la densification et la diversification de son tissu économique.

L’Algérie n’a-t-elle pas été défavorisée par son environnement immédiat avec les tensions au Sahel ?

L’Algérie est confrontée régulièrement à l’instabilité proche de ses frontières, que ce soit avec la Libye ou les pays du Sahel. Elle est en permanence sur ses gardes pour parvenir autant que faire se peut à maintenir la sécurité de ses frontières, presque au détriment de son développement.

Il s’agit d’un objectif sans cesse renouvelé tant la menace est permanente. La coopération avec les responsables de la région et l’action diplomatique ont permis de limiter en quelque sorte les impacts négatifs sur toute cette zone.

  • Les derniers articles

close