Économie

« L’Algérie risque de mener les réformes de manière brutale et sous la conduite du FMI »

Les chiffres dévoilés, ce dimanche 23 décembre, par le Gouverneur de la Banque d’Algérie n’augure rien de bon pour l’économie nationale. Pour l’économiste Nour Meddahi, l’usage de la planche à billets est en train de déraper.

« Nous voilà donc avec 25,3% – et non 28% comme annoncé – du PIB de planche à billets en 14 mois alors que pas une virgule de réforme n’a été discutée et encore moins actée », s’insurge M. Meddahi. « Rien, absolument rien. Au lieu de lisser les réformes sur cinq années pour atténuer leurs effets négatifs, le plus probable est que le pays mènera ces réformes de manière brutale et sous la conduite du FMI », ajoute-t-il.

En plus de l’absence de réformes, Nour Meddahi critique également l’usage fait des sommes émises dans le cadre de la planche à billets. La rallonge de 1187 milliards de dinars va être partagée entre le FNI (735,2 milliards) et Sonatrach (452 milliards).

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La stratégie risquée de Sonatrach

« Le gros des 735,2 milliards pour le FNI vont à mon avis financer le déficit de la Caisse des retraites (CNR), soit un montant de 600 milliards. En 2018, 500 milliards ont été prévus dans le budget de l’État pour la CNR, mais rien pour 2019. C’est donc le FNI qui va financer ce déficit via la planche à billets. C’est un maquillage qui évite de rajouter ces 600 milliards (3% de PIB) au vrai déficit budgétaire.  La CNR ne pourra jamais rembourser cet argent. Autrement dit, le vrai déficit prévu pour 2019 n’est pas 10% de PIB mais 13% », explique-t-il.

« Sonatrach a effectivement besoin de récupérer l’argent qu’elle a prêté à l’État pour importer de l’essence et le vendre à perte (en gros à moins du tiers du vrai prix). Dans l’avenir, avec l’acquisition de la raffinerie d’Agusta, Sonatrach transformera directement du pétrole et le vendra en Algérie, comme pour le reste de ses raffineries algériennes. Ce carburant sera vendu à perte mais sans que Sonatrach ne paye la différence entre le prix de marché international et le prix algérien. Ce différentiel va se rajouter aux subventions implicites », analyse Nour Meddahi.

En revanche « Sonatrach ne va plus vendre ces quantités de pétrole sur le marché international. Le volume de pétrole exporté va donc diminuer. C’est déjà le cas en 2018 et c’est probablement ce qui explique la baisse d’une partie des volumes exportés depuis le début de l’année. Il y a peut-être d’autres raisons. Sonatarch ne communique pas sur le sujet, ce qui est très dommage ».

Pour Nour Meddahi, Sonatrach n’a pas choisi la bonne stratégie. « Même si Sonatrach a besoin de récupérer son argent pour effectuer ses investissements,  je suis contre les projets d’investissement à l’étranger. Sonatarch doit se concentrer sur ses investissements en Algérie. Il y a beaucoup à faire. Les autorités doivent interdire tout nouveau projet de Sonatrach à l’extérieur », affirme-t-il.

Dinar : une très forte dévaluation dans l’avenir 

La planche à billets n’est pas le seul dispositif qui pose problème. L’érosion des réserves de change se poursuit. Elles ont chuté à 82,12 milliards de dollars à fin novembre 2018, contre 97,33 milliards à fin 2017. Dans ce dossier, la Banque centrale a une part de responsabilité non négligeable, selon l’économiste.

« La Banque d’Algérie dit qu’il faut lancer des réformes mais elle fuit sa responsabilité dans la baisse des réserves, en particulier la gestion de la valeur du dinar », souligne Nour Meddahi. Avant de mettre en garde : « L’objectif principal de la Banque d’Algérie est la stabilité des prix. L’inflation est relativement basse actuellement, mais il y aura une très forte dévaluation dans l’avenir. Plus cette baisse est retardée, plus la dévaluation se fera de manière brutale avec un effet immédiat sur l’inflation, comme dans les années 1990 où l’inflation a atteint 29% en 1994 et 30% en 1995 ».

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« Un gros problème à partir de 2019 »

Nour Meddahi met en garde contre un « grand problème qui  va apparaître à partir de 2019, à savoir le prix du gaz ». « Le gros des contrats de long terme où le prix du gaz est indexé sur le pétrole arrivent à terme en 2019, 2020 et 2021. Des contrats ont été signés avec les Espagnols et Italiens mais sans préciser quelle forme est adoptée pour l’indexation du prix. Sonatrach n’a pas communiqué sur cette question », explique-t-il.

Selon M. Meddahi, « le plus probable est que ça soit le prix spot. Or le prix spot est bien plus faible que le prix indexé sur le pétrole. De fait les deux prix sont découplés depuis 2010 suite à la révolution du gaz de schiste américain ».

« Pour le cas du marché européen, le prix spot était de 65% du prix indexé sur le pétrole. Les recettes du gaz exporté par notre pays vont donc diminuer à partir de 2019 sous le double effet de la baisse des volumes exportés et des prix spot.  Le déficit de la balance de paiement sera plus élevé que ce qui est prévu par la LF 2019 », conclut-il.

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