L’Algérie a lancé, via l’Office national des aliments du bétail (Onab), un appel d’offres pour l’achat de 80.000 tonnes de maïs et 30.000 tonnes d’orge pour nourrir ses volailles et ses moutons.
Cette commande, qui fait suite à celle du 18 juillet dernier, concernant 240.000 tonnes de maïs, est réalisée dans un marché baissier, selon l’agence Reuters.
Les analystes indiquent que « les prix du maïs cèdent du terrain face à l’offre brésilienne et au début des récoltes », ce qui permet d’espérer des prix de 167 dollars pour le maïs argentin. Un prix bien moins inférieur à mai 2022, alors que la tonne avait franchi la barre des 300 dollars.
Quant à la tonne d’orge, les cotations du jour indiquent 219 € la tonne au départ de Rouen pour la récolte 2023, contre 202 € concernant les stocks issus de la récolte 2022.
Bien qu’utilisable en boulangerie, l’orge est principalement destinée à l’alimentation animale. Ces importations d’orge interviennent dans un contexte de demande accrue de la part des éleveurs de moutons en Algérie.
L’orge est commercialisée au prix administré de 3.200 DA le quintal et traditionnellement vendue par les Coopératives des céréales et des légumes secs (CCLS). Sur le marché libre, en période de soudure, ce prix peut être multiplié par deux.
La tension actuelle sur le marché algérien de l’orge est liée à la sécheresse printanière qui a marqué la campagne agricole. Le manque d’eau a fait diminuer l’offre des parcours steppiques ainsi que la production des jachères pâturées des régions céréalières. À cela, s’ajoute l’élargissement des critères de vente d’orge aux éleveurs.
Jusqu’à présent, ceux-ci avaient accès à l’orge au prix administré sur simple présentation d’une attestation délivrée par les services vétérinaires. Sur l’attestation figurait le nombre de brebis et pour chacune d’entre elles, l’éleveur pouvait acquérir 300 grammes d’orge.
Cette dose a, par la suite, été portée à 600 grammes puis dernièrement à un kilogramme. Outre les brebis, les agneaux et béliers sont dorénavant éligibles à ce type de distribution. Cependant, le ministère a introduit une condition : être détendeur d’une carte de fellah délivrée par la Chambre d’agriculture de la wilaya et surtout avoir participé au dernier recensement du cheptel.
L’orge pour les moutons, le maïs pour les poules
Un recensement qui se traduit généralement par la pose de boucles d’identification à l’oreille des animaux. Cette mesure doit permettre de lutter contre les faux éleveurs qui arrivent à bénéficier de quotas d’orge et qui les revendent à des prix prohibitifs sur le marché noir.
De nombreux petits éleveurs ont particulièrement apprécié la mesure et à la mi-août, ils ont chaudement félicité le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelatif Henni lors de ses récents déplacements à Naâma et Saïda.
Certains éleveurs disposants d’effectifs importants ont craint pour leur part que ce recensement ne soit la base de futures impositions fiscales et auraient soustrait une partie de leur cheptel des opérations de comptage.
Les commandes de maïs passées par l’Algérie sont principalement destinées à l’élevage des poules pondeuses, poulets de chair et dindes. Les besoins sont considérables au vu du cheptel avicole. Les statistiques officielles font état de 22.000 élevages de poulets de chair, 6.000 élevages de poules pondeuses et 3.000 élevages de dinde chair. À elle seule, la vaccination contre la grippe aviaire a nécessité 20 millions de doses de vaccins.
À cette utilisation de maïs en aviculture, est venue se greffer celle liée à l’engraissement de jeunes veaux et à l’élevage de vaches laitières. Ces ruminants peuvent se satisfaire de fourrages grossiers, mais en raison de la faiblesse de la production qui exige le plus souvent d’être irriguée, les éleveurs se tournent vers les aliments concentrés à priori réservés au secteur avicole.
Suite à la crise ukrainienne et la hausse du prix des matières premières observée à l’international, le prix du maïs est passé de 3.000 à 5.500, voire 6.500 DA le quintal.
Dans la mesure où l’alimentation constitue 80% des charges des élevages, les éleveurs ont été directement impactés par ces hausses de prix. Les crises liées au Covid-19 et à la grippe aviaire sont également à l’origine de pertes financières dans les élevages en Algérie.
La chaleur estivale n’étant pas propice à l’élevage des volailles dans des bâtiments en tôle ou des serres-tunnel, de nombreux éleveurs ont laissé vides leurs poulaillers.
Le 11 septembre à Alger, Abdelhafid Henni a expliqué qu’à la faveur de la baisse des températures, les éleveurs recommençaient à remplir leurs poulaillers et que progressivement, il fallait s’attendre à une meilleure offre sur le marché local des viandes blanches. En attendant, l’importation de viande congelée de poulets a été décidée par les pouvoirs publics afin de stabiliser les prix.
La demande en maïs et en orge est tirée par l’augmentation de la population, mais également par la modification des habitudes alimentaires des Algériens et notamment la demande croissante en viande, en lait et en produits laitiers.
Face à cette demande, dans le cas des élevages ovins et bovins, les services agricoles encouragent la production de fourrages grossiers. Celle-ci a nettement progressé du fait du développement de l’irrigation et d’un nouveau mode de conservation : l’ensilage de maïs en vert sous forme de balles enrubannées. De même que se développe, à la faveur de l’irrigation, la production de luzerne.
Comment l’Algérie peut réduire ses importations de maïs et d’orge
Reste à améliorer la production de fourrages en sec au niveau des zones céréalières – soient 7 millions d’hectares – en alternance avec la culture des céréales.
Cependant, à ce niveau, les progrès tardent à venir bien que des agriculteurs innovent. C’est le cas dans la région de Constantine où l’agriculteur Mohamed Haroun teste des mélanges de fourragers (méteil) et la société Axium encourage la production de semences fourragères. Des apports d’urée sur jachère pâturée ont même permis de doubler l’offre fourragère. Cependant, ces techniques restent peu vulgarisées.
Récemment, Abdelhafid Henni a évoqué avec justesse la nécessité d’augmenter l’envergure de la barre de coupe des moissonneuses-batteuses Sampo, produites en Algérie. Le développement de la production d’orge et de triticale passe également par la disponibilité d’engins de semis de grande taille ou permettant la simplification des opérations de semis.
La multiplication des foires et salons agricoles en Algérie a permis l’apparition de nouveaux matériels agricoles. Nombre de techniques restent, cependant, encore peu vulgarisées. C’est le cas des résultats de la recherche agronomique locale comme celle consistant à utiliser les grignons d’olives ou les palmes de palmiers dattiers, la paille ou l’orge en grains traitée à l’urée, ce qui pourrait doubler la valeur alimentaire de ces produits chez les ruminants.
De leur côté, les CCLS ont développé le principe des « couloirs verts » lors de la récolte. Les producteurs d’orge livrant leur récolte se voient offrir la priorité aux points de collecte et bénéficient de divers avantages.
Même si le maïs grain reste l’aliment par excellence des volailles, il existe des alternatives pour une réduction partielle des importations de maïs. L’Institut technique de l’élevage (Itlev) a testé avec succès l’introduction de 20% d’orge dans les rations des poules pondeuses, et même plus.
De récentes études montrent que les volailles valorisent parfaitement le triticale, une céréale qui ne nécessite pas d’irrigation comme c’est le cas du maïs. Le maïs grain dont la production dans le Sud algérien reste infime face aux besoins.
À l’étranger, à la faveur de la demande des consommateurs végétariens, l’agro-industrie propose des substituts de viande de poulet à base d’extraits de protéines de pois ou de soja texturé. Ce dernier produit devrait être de plus en plus disponible en Algérie.
Dans son rapport de 2020, le département américain de l’agriculture notait que « la hausse des capacités locales de trituration a déjà permis de réduire le volume des importations de tourteaux de soja de 1,51 million de tonnes en 2017/2018 à 1,14 million de tonnes en 2019/2020 ». Des importations dont la réduction devrait se poursuivre avec l’entrée en production de l’usine de trituration de Masdar aux côtés de celles déjà en activité.
Ces technologies en plein développement qui font partie du domaine de la FoodTech sont encore balbutiantes en Algérie malgré le soutien du gouvernement.
À elle seule, la facture d’importation des deux dernières commandes de l’Onab concernant le maïs représentent, sur la base du prix au départ des pays exportateurs, plus de 53 millions de dollars alors que celle de l’orge représente plus de 6 millions d’euros.
Pour le chercheur de l’École nationale Supérieure agronomique (Ensa) Kaci Ahcène, « cette stratégie a permis certes de réaliser l’autosuffisance en viandes blanches (12 Kg /hab/an) et en œufs de consommation (144 Œufs par hab /an) mais au prix d’une dépendance vis-à-vis du marché mondial en intrants avicoles (maïs, tourteaux de soja, produits vétérinaires, poussins parentaux) et en matériel d’élevage. » Selon le Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS), en 2021 la facture des importations en intrants avicoles représente 1,5 milliard de dollars.
En février 2020, le président Abdelmadjid Tebboune avait fustigé l’ONAB, l’accusant de favoriser les importations aux dépens de la production locale. Les fabricants privés se reposent également sur la seule importation.
Ce poids des importations milite en faveur d’alternatives telles que la diversification des sources de protéines ainsi que des cultures locales non-irriguées et l’utilisation des résultats de la recherche agronomique existant au niveau des instituts techniques agricoles ainsi que des universités.
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