L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et son principal allié russe ne sont pas parvenus vendredi à s’entendre pour amplifier leurs baisses de production afin d’enrayer la chute des cours du brut affectés par l’épidémie de nouveau coronavirus. Pourquoi ?
Ali Kefaifi, expert pétrolier. En fait, le principal désaccord entre les deux ministres russe et saoudien existait avant les trois réunions, notamment celle du Comité technique (mercredi) et celles de l’OPEC+ élargie. On peut considérer que la Russie a maintenu sa position tout au long du processus de négociation et que l’Arabie saoudite n’a pas réussi à la faire évoluer.
Les causes de ces désaccords sont bien révélées tant la situation est claire sur les plans économique et géostratégique, et les positions des deux grands pays sont antagonistes dans le nouveau paysage pétrolier de 2020. En décembre 2019, OPEP+ avait décidé de réduire globalement la production de 1,7 million bbl/j pour le 1er trimestre 2020. Ceci aurait permis d’équilibrer partiellement le marché en attendant les trois autres trimestres, chacun marqué par un cycle offre-demande particulier.
Globalement, 2020 s’annonçait avec une offre supplémentaire de 2,1 millions b/j (USA, Brésil, Norvège, etc.) et une demande supplémentaire de 1 million b/j. Bien plus, la Libye, dont les ports sont bloqués, risque à tout moment de voir sa production redémarrer et passer à 1 million b/j. Cependant, la crise du coronavirus a tout remis en cause et crée un déséquilibre et des incertitudes non rencontrées depuis des décennies. La demande mondiale pour 2020, initialement estimée à plus de 100 millions b/j a dû être réduite de presque 4 millions b/j (effet Chine) et ré-estimée à 96 millions b/j.
Sur le plan économique, la Russie se suffit avec un baril à 40 $ alors que l’Arabie Saoudite a besoin d’un baril à 80 $.
Quelles sont les incidences directes sur l’Algérie ?
Dans ce jeu, les intérêts des autres membres de l’OPEP+ sont considérés comme secondaires, y compris ceux de l’Algérie. Les conséquences de ces jeux à somme nulle sont très graves si l’on s’en tient à la réalité et non seulement aux déclarations. L’Algérie est uniquement concernée par le prix du pétrole et un prix supérieur à 85 $/bbl pour équilibrer ses balances budgétaires mais aussi externes. Le déclin de sa production pétrolière rend l’Algérie « non physiquement concernée » par les décisions de l’Oep de réduction de la production.
La dégringolade des prix du pétrole amorcée suite à l’apparition de l’épidémie du coronavirus peut-elle s’inscrire dans la durée ?
La situation de déséquilibre pétrolier aura des conséquences importantes et sensibles pour le 1er semestre 2020. Après la mi 2020, ces effets devraient s’estomper et laisser place aux variables classiques d’un marché marqué par un excèdent de l’offre, notamment celles du pétrole de schiste US (tight oil) et des bruts africains (Libye, Nigéria).
Ce processus pourrait s’appliquer aussi à 2021 compte tenu des 4000 puits de schiste US prêts à produire pour peu que les prix du brut soient supérieurs à 46 $/bbl (seuil de rentabilité moyen) et idéalement supérieurs à 50 $/bbl.
Est-ce que l’Algérie peut faire face, et comment ?
L’espace des solutions s’est amenuisé. A présent, le monde des pétroles entre dans une ère nouvelle : fin de l’OPEP ou OPEP virtuelle, fin des Etats rentiers, etc. L’Algérie peut y faire face avec des mesures appropriées. Il ne faut pas se voiler la face mais apporter des solutions révolutionnaires à une situation en profond déséquilibre (contrainte fiscale/budgétaire, subventions, prochaine fin des exportations pétrolières, contrainte de la balance des comptes courants, réserves). Il faut arrêter de dire que l’Algérie va exporter de l’essence après 2023 ou 2024. Cette essence proviendra du pétrole brut qui ne sera donc pas exporté. S’agira-t-il du pétrole brut importé et qui sera traité par nos raffineries ? L’Algérie étant un pays gazier, ne conviendrait-elle pas de remplacer l’essence par le gaz naturel (4 à 5 fois moins coûteux que l’essence) ou de produire du Diméthyl Ether, à base de gaz naturel, pour remplacer le gas-oil ou le GPL ? L’Algérie est encore le seul pays au monde à utiliser le Plomb Tétra Ethyle (poison une fois respiré) dans l’essence.
Sachant qu’il lui faut un baril à 90 dollars pour équilibrer son budget, quelles sont les mesures que le gouvernement doit prendre pour faire face à la situation ?
Comme en Malaisie et en Corée, les autorités devraient favoriser la compétence et privilégier les processus de planification, de coordination et de mise en œuvre des programmes. Sur un autre plan, ne pas se contenter de politiques seulement financières ou bureaucratiques (planche à billets, subventions et autres mesures propres aux Etats rentiers) mais de s’attaquer à l’économie réelle assise sur les véritables avantages comparatifs spécifiques à l’Algérie.