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Le dollar à 115 dinars : Raouya rassure les patrons et inquiète les économistes

Le dollar à 115 dinars : Raouya rassure les patrons et inquiète les économistes

Radioalgerie.dz
Abderrahmane Raouya, ministre des Finances

« Le dinar va bien ». C’est la  bonne nouvelle  que le ministre des Finances est venu apporter à la fin de la semaine dernière aux patrons du FCE réunis en conclave à la Safex aux Pins maritimes à Alger.

« Au niveau de la Banque d’Algérie, on maintient notre monnaie nationale et c’est primordial. Je vous rassure, le projet de loi de Finances pour 2018 table sur un maximum de 115 dinars pour un dollar, sur une prévision de trois ans, donc jusqu’en 2020», a déclaré Raouya.

| LIRE AUSSIRaouya table sur un dollar à 115 dinars maximum sur trois ans

En s’engageant jusqu’en 2020, M. Raouya promet sans doute plus qu’il ne pourra tenir. Mais on peut certainement donner crédit à ses déclarations au moins pour la période de 18 mois qui nous sépare encore de l’échéance présidentielle d’avril 2019.

Le ministre des Finances tente de calmer l’inquiétude suscitée par la reprise du « glissement » du dinar depuis quelques semaines. À la fin de l’été dernier, après une longue période de stabilisation qui a duré près de 15 mois, les cours de change sur le marché interbancaire étaient de 109 dinars pour un dollar.

Ils sont aujourd’hui de plus de 114 dinars pour un dollar à la suite d’un mouvement de dépréciation lent et régulier  intervenu depuis la mi-septembre.

En mentionnant le chiffre de 115 dinars, le ministre précise la cible des autorités monétaires algériennes pour la période à venir et confirme donc que ce nouveau glissement est près de sa fin.

Cet engagement ne préjuge pas de la future parité dinar/euro qui a connu une dépréciation beaucoup plus forte depuis le début de l’année en cours.

Le taux de change officiel, qui était en janvier dernier de 117 dinars pour un euro, est aujourd’hui de 134 dinars pour un euro. « Cette dépréciation plus forte ne résulte pas d’une décision des autorités monétaires algériennes mais constitue un effet « automatique » de la baisse de l’euro qui a perdu, depuis un an, près de 20% par rapport au dollar sur les marchés des changes internationaux », analyse un spécialiste.

Il explique que,  pour les mêmes raisons, « il n’est pas du tout exclu que le dinar s’apprécie par rapport à l’euro au cours des prochains mois pour peu que le dollar confirme sa meilleure santé des dernières semaines » .

Le gouvernement Ouyahia maintient le cap de juin 2016

Le gouvernement Ouyahia maintient donc le cap en matière de gestion de la valeur du dinar. Les déclarations du ministre des Finances s’inscrivent en droite ligne dans la nouvelle doctrine des autorités algériennes inaugurée en juin 2016.

Après le limogeage du tandem Laksaci- Benkhalfa, les nouveaux responsables de la politique monétaire ont bien reçu le message, venu manifestement des « plus hautes autorités du pays », qui consiste à cesser de considérer le dinar comme « une variable d’ajustement » et à aller chercher ailleurs que dans la dévaluation de la monnaie nationale les moyens de combler un déficit des finances publiques qui restera très important en 2017 et 2018.

Depuis son entrée en fonction intervenue en juin 2016, le nouveau gouverneur la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, épaulé par 2 ministres des Finances successifs, avait totalement stabilisé, voire légèrement amélioré, la valeur officielle du dinar jusqu’en septembre dernier.

Après les déclarations de M. Raouya, on sait maintenant que le léger glissement intervenu depuis septembre ne constitue pas du tout une remise en cause de cette politique de stabilisation de la valeur du dinar.

Pour un cadre de la Banque d’Algérie, « il s’agit tout  juste d’une compensation du différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires commerciaux ».

Les économistes inquiets

Même si elle a la faveur de l’opinion publique et de beaucoup de patrons, la démarche que vient de confirmer le ministre des Finances est très loin d’être aussi populaire parmi les économistes.

Elle prend d’abord complètement à contre pied les recommandations des institutions financières internationales. En mai dernier, le FMI avait prôné pour l’Algérie « une plus grande flexibilité du taux de change » qui « faciliterait l’ajustement au choc sur les cours du pétrole ». Pour le FMI, le dinar « reste encore nettement surévalué ».

Ce point de vue n’est pas seulement celui des gendarmes de la finance internationale. En juillet dernier, lors d’une conférence à l’École supérieure de banque à Alger, Mohamed Laksaci, qui a piloté la politique monétaire algérienne pendant plus de 15 ans, soulignait notamment que les « coussins de sécurité constitués au cours des années 2001 à 2014, tels que le Fonds de régulation des recettes, les réserves de change et la liquidité des banques, ont subi une érosion rapide au cours des deux dernières années ».

Pour M. Laksaci les choses sont claires : « La flexibilité du taux de change doit demeurer l’instrument de premier plan dans cette conjoncture d’incertitude liée au secteur des hydrocarbures ». 

L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie assume donc complètement la dévaluation opérée entre 2014 et 2016, et soutient même qu’elle doit se poursuivre et demeurer « l’instrument de premier plan » dans la période actuelle, en critiquant ainsi ouvertement, dans ce qui était sa première intervention publique depuis son « limogeage », la gestion du taux de change du dinar par la Banque d’Algérie sous l’égide de son successeur.

En réalité la plupart des économistes algériens ne cachent pas leur inquiétude face à une doctrine du « dinar fort » inspirée par des considérations politiques mais détachée de la réalité de l’économie algérienne.

Un sentiment général assez bien résumé par le professeur Nour Meddahi de la Toulouse School of Economics : « La courbe de variation du dinar est pratiquement plate depuis une année alors que les autres monnaies fluctuent au gré de la variation du baril où de la force du dollar. Ce n’est pas bon pour le dinar et l’économie du pays. Le rattrapage sera brutal », avertissait-il déjà au début de l’année.

Il revenait à la charge  en juillet  dernier  : «  En nominal, la valeur du dinar n’a pas bougé depuis un an, alors que l’inflation a atteint les 7 points. En termes réels, cela correspond donc à une réévaluation du dinar ».

Pour l’universitaire algérien : « La Banque d’Algérie aurait dû continuer à dévaluer le dinar. Il ajoutait que même si la dévaluation du dinar aura certainement pour effet d’augmenter les prix, il s’agit d’une mesure nécessaire pour préserver l’économie du pays ».

Le dinar fort va freiner l’ajustement économique

Les spécialistes consultés par TSA justifient leurs craintes en évoquant les contradictions évidentes entre les objectifs affichés par le gouvernement en matière de réduction des déficits internes et externes et la politique du « dinar fort ». Un seul argument parmi beaucoup d’autres. En stabilisant la valeur du dinar, le gouvernement se prive d’un instrument qui aurait permis de compenser partiellement la baisse de la fiscalité pétrolière exprimée en dinar et de réduire ainsi le montant du déficit budgétaire.

C’est le sens des déclarations de M. Laksaci sur le nécessaire « ajustement » de la valeur de la monnaie nationale par rapport au niveau de la rente pétrolière. En renonçant à utiliser cet instrument, le gouvernement est dans l’obligation de se tourner vers des « solutions » beaucoup plus risquées à travers le recours « non conventionnel » à la planche à billets.

Un dinar qui plonge sur le marché parallèle

On a peur de deviner la suite de ce feuilleton financier. En maintenant artificiellement un « dinar fort », la gestion de la valeur de la monnaie nationale, inaugurée en juin 2016, risque de se révéler très périlleuse à moyen terme. La stabilisation de sa valeur officielle ne pourra pas empêcher, en effet, le dinar de continuer à plonger sur le marché parallèle ou il atteint actuellement des niveaux supérieurs à 205 dinars pour un euro.

Notre pays s’installe ainsi de façon croissante dans une situation ou coexistent « deux monnaies et deux économies ». C’est la perspective d’une véritable « reprise en main de la valeur de la monnaie nationale grâce à la convergence des taux de change officiel et parallèle », et leur unification, à titre d’objectif,  qui s’éloigne un peu plus .

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