Économie

Le gouvernement observe impuissant une économie algérienne qui s’enfonce dans la crise

En Algérie, la crise est là et semble bien s’être invitée plus tôt que prévue. Les experts ainsi que les institutions financières internationales annonçaient une crise financière majeure seulement pour le début de la prochaine décennie. Elle est toujours au programme à l’échéance 2021-2022 mais, en attendant, c’est une crise économique larvée qui s’est déjà installée et dont les effets se font sentir d’une façon croissante. Ils sont accentués par des politiques gouvernementales inadaptées qui risquent de prolonger et d’aggraver la crise au lieu de la résoudre.

Pour l’instant, la communication gouvernementale reste discrète sur la réalité d’une crise économique dont la plupart des opérateurs font état de plus en plus franchement.

Après de nombreux signaux d’alarme venus d’associations professionnelles, du secteur du BTP ou des industries de montage notamment, ce sont désormais les statistiques officielles, celles de l’Office National des Statistiques (ONS), qui évoquent un ralentissement sensible de l’économie nationale.

Baisse de la croissance et de l’investissement

La semaine dernière, l’ONS livrait ses statistiques sur la croissance au deuxième trimestre 2019. Les spécialistes les attendaient avec intérêt parce qu’elles correspondent pour la première fois à une période couverte par les troubles politiques liés au Hirak.

Et les résultats sont encore plus mauvais que prévu. Entre avril et juin derniers, la croissance globale du PIB de l’Algérie a atteint à peine 0,3% contre 1,4% durant la même période de l’année dernière.

Cette évolution est surtout le résultat de la baisse de la croissance de 8,3% du secteur des hydrocarbures au deuxième trimestre 2019, mais presque tous les secteurs sont touchés dans une économie qui tourne au ralenti.

Le taux de croissance du PIB hors hydrocarbures a été de 2,8% durant le deuxième trimestre de l’année en cours. Pour l’instant, ce ralentissement général n’a épargné que les secteurs de la sidérurgie et des matériaux de construction.

Même l’agriculture est affectée, avec une croissance de seulement 1,8%, contre 7% à la même période de 2018.

Ainsi que beaucoup de témoignages d’entrepreneurs le laissaient prévoir, l’ONS annonce également que le second trimestre de 2019 a été marqué par un freinage très sensible de l’investissement qui a connu une évolution de 0,9%, contre 4,1% à la même période en 2018.

La crise politique pénalise la croissance

Ces informations rejoignent et confortent les prévisions de la Banque Mondiale qui estimait dans un rapport publié le 9 octobre : « La crise politique que vit l’Algérie devrait provoquer un ralentissement de l’économie du pays, que ce soit dans le secteur des hydrocarbures ou hors-hydrocarbures, avec pour conséquence un taux de croissance du PIB qui baissera à 1,3% en 2019 ».

Pour l’année 2020, la Banque mondiale n’est pas beaucoup plus optimiste et annonce une croissance de 1,5 %.

Le rapport de la BM explique : « Dans le secteur des hydrocarbures, l’incertitude politique atténue l’espoir d’une augmentation de la production, la révision de la loi sur la fiscalité des hydrocarbures étant retardée ».

Il ajoute : « Des dirigeants d’entreprises de divers secteurs ont été arrêtés dans le cadre d’enquêtes sur des affaires de corruption, ce qui a eu pour effet de perturber l’économie en raison de changements soudains dans la direction et la supervision de ces entreprises, ainsi que de l’incertitude planant sur les investissements ».

Le chômage en forte hausse

Dans ce contexte de croissance anémique, l’évolution de l’emploi devrait constituer une préoccupation de plus en plus importante dans la période à venir. Alors que les effets du ralentissement économique sur la situation de l’emploi sont déjà visibles au quotidien dans toutes les régions du pays, les institutions financières internationales annoncent une aggravation sensible du chômage au cours des prochains mois au moment où des centaines de milliers de jeunes, diplômés ou non, se présentent sur le marché du travail.

Le FMI, qui est pour l’instant seul à prévoir encore une croissance supérieure à 2% en 2019, annonce néanmoins une forte augmentation du taux de chômage qui devrait passer de 11,7% en 2018 à 12,5% en 2019 et à 13,3% en 2020.

Les finances publiques accumulent les déficits

La crise est aussi au cœur de finances publiques qui ne parviennent pas à réduire des déficits énormes et persistants en dépit du discours rassurant des autorités sur ce sujet.

Pour 2019, la Banque mondiale estime dans son rapport publié en octobre dernier que « la période préélectorale risque de retarder davantage le processus d’assainissement budgétaire initialement programmé pour 2019, aggravant le déficit budgétaire à 12,1 % du PIB et augmentant le risque d’un ajustement plus brutal à l’avenir ».

La réduction du déficit n’est pas non plus au programme des autorités pour l’année prochaine. Le projet de Loi de finances 2020 qui sera soumis dans les prochains jours à l’approbation du Parlement prévoit un solde négatif du Trésor identique à celui de 2019 et supérieur à 2400 milliards de dinars (près de 20 milliards de dollars).

Circonstance aggravante et qui renseigne sur l’état de délabrement de nos finances publiques, cette stabilisation du déficit à un niveau très élevé n’a pu être obtenue qu’au prix de coupes sombres dans les dépenses d’équipement et du gel presque complet de tout nouveau projet d’infrastructure financé par le budget de l’État.

L’accumulation des déficits budgétaires depuis 2015 laisse, en outre, des traces dans la dette de l’État qui devrait franchir la barre des 50% du PIB en 2019 et pourrait être supérieure à 60% du PIB fin 2020.

La fonte des réserves de change continue

On relève la même évolution et la même dénégation de la réalité des faits de la part de la communication du gouvernement dans le cas de nos équilibres financiers extérieurs et du niveau des réserves de change.

Dans ce domaine, les dernières informations disponibles datent de la mi-juillet dernière. Le ministère des Finances annonçait que les réserves de change de l’Algérie ont reculé à 72,6 milliards de dollars à la fin avril 2019, contre 79,8 milliards à la fin de l’année 2018, soit une baisse de 7,2 milliards de dollars en seulement 4 mois.

Dans un entretien à l’APS. Mohamed Loukal jugeait imperturbablement que « le niveau des réserves est relativement satisfaisant, il équivaut à deux années d’importation et il nous permet une marge de manœuvre importante en matière de redressement de la situation financière ». Un commentaire des autorités financières exactement identique depuis 2014. À l’époque, les réserves de change frôlaient la barre des 200 milliards de dollars.

Pour disposer d’informations plus récentes, il faut se reporter à un document annexé au projet de loi de finance 2020. Dans ses perspectives triennales, le ministère des Finances annonce très officiellement un niveau de réserves de change de tout juste 60 milliards de dollars à fin 2019. Ce qui correspond à une diminution des réserves de près de 20 milliards de dollars en 2019.

Si ce dernier chiffre était attendu, les prévisions des autorités pour 2020 et 2021 ont en revanche fait bondir la plupart des spécialistes. Le gouvernement affiche en effet un objectif de réduction du déficit de la balance des paiements et des réserves à 10 milliards de dollars en 2020 et même 5 milliards en 2021.

Ce n’est pas du tout ce que prévoit le FMI qui dans ses perspectives économiques publiées en octobre dernier annonce que le déficit de nos paiements courants va augmenter à 12, 6 % du PIB en 2019 et devrait se maintenir à  -11,9% du PIB en 2020. Des prévisions qui reposent, selon nos sources, sur « une hypothèse de prix pétroliers qui resteront déprimés et proche de leur niveau actuel ainsi que sur une réduction du volume de nos exportations d’hydrocarbures ». Dans ce cas de figure probable, la fonte de nos réserves de change devrait se poursuivre à un rythme pratiquement inchangé et leur niveau se rapprocher de la barre des 40 milliards de dollars à fin 2020.

Des réponses gouvernementales inadaptées

Face à ces perspectives inquiétantes, les réponses apportées par le gouvernement Bedoui se révèlent largement inadaptées.

C’est ainsi que dans le but de limiter le niveau du déficit budgétaire et la dérive des finances publiques, la prochaine Loi de finances a prévu pour l’essentiel de réduire le budget d’équipement de l’État de 20 %. Cette nouvelle contraction de la commande publique, qui fait suite à une première réduction de la même nature et sensiblement du même niveau en 2019, aura des effets identiques sur la croissance économique et l’emploi en plongeant de très nombreuses entreprises du secteur du BTP dans des difficultés insurmontables et en condamnant nombre d’entre elles à disparaitre ainsi que le signale depuis plusieurs mois les associations du secteur.

Selon nos informations, les autorités envisagent par ailleurs de financer le très gros déficit budgétaire prévu en 2020 en recourant, au moins partiellement, au siphonage des liquidités bancaires. Une méthode de financement du déficit qui aura pour conséquence d’« évincer » largement les entreprises, privées notamment, du financement bancaire en aggravant le marasme actuel de l’investissement productif.

Dernier exemple enfin des « solutions » élaborées par le gouvernement Bedoui. En juillet, le ministre des Finances annonçait que « pour faire face à l’érosion continue des réserves de change, le gouvernement s’est récemment engagé dans une démarche basée sur la rationalisation des importations des biens, à travers leur limitation aux besoins réels du marché national, en attendant la généralisation de cette approche aux services ».

Au cours des derniers mois, ce sont successivement les activités du montage automobile, de l’électroménager, de l’électronique grand public ainsi que, tout récemment, les minoteries qui se sont vus imposer des quotas d’importation en forte baisse et qui ont fortement réduit leur niveau d’activité en contraignant beaucoup d’entreprises à prendre des mesures de chômage technique.

Plus récemment, le ministère des Finances a instruit les banques, dans le but formulé explicitement d’ « économiser les réserves de change », de « remplacer le paiement cash des importations actuellement en usage, par le recours au différé de paiement de neuf mois, s’agissant des opérations des produits électroménagers et de téléphone ».

Le résultat n’a pas tardé. Les associations du secteur affirment déjà ces derniers jours vivre sur leurs stocks et annoncent la probable fermeture de près de 30 usines dès le début du mois de décembre.

 

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