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Le Maroc souhaite-t-il la partition de l’Espagne ?

Le Maroc souhaite-t-il la partition de l’Espagne ?

Si Rabat a pu voir brièvement d’un bon œil l’indépendance de la Catalogne, la crise du Rif et la montée en puissance à Barcelone d’une gauche nationaliste hostile à ses intérêts l’ont incité à rectifier sa position.

Sur le papier, l’attitude du Maroc est irréprochable aux yeux du gouvernement espagnol.  « Nous sommes avec la position de l’Espagne sur le référendum » en Catalogne, a martelé, le 21 septembre, le ministre porte-parole du gouvernement marocain, Mustapha el Khalfi. Cette position, a-t-il ajouté, s’inscrit dans « les constantes de la politique étrangère marocaine ».

Les Catalans sont appelés à voter ce dimanche 1er octobre dans le cadre d’un référendum d’autodétermination convoqué par la Generalitat, l’Exécutif régional catalan dominé par les partis nationalistes. Le Tribunal constitutionnel espagnol a déclaré le référendum illégal et les forces de l’ordre vont essayer d’empêcher son déroulement. Il s’agit de la seconde tentative de référendum pour l’indépendance en l’espace de trois ans.

La veille de la première tentative de référendum, le 9 novembre 2014, les Marocains se rendant dans leur consulat à Barcelone avaient déjà eu un avant-goût de la position de leur pays. Le consul, Yassir Fares, avait placé à cote de la fenêtre de son bureau, visible depuis la rue, le drapeau espagnol. Ce petit geste avait alors été unanimement interprété comme un rejet implicite du sécessionnisme.

Rabat n’a, en principe, jamais aimé les mouvements séparatistes parce-ce que, d’une façon ou d’une autre, ils peuvent dynamiser la contestation au Sahara occidental et donner des arguments au Front Polisario pour défendre sa cause. El Khalfi a aussi rejeté, jeudi dernier, le référendum qui a eu lieu au Kurdistan irakien.

Le seul mouvement séparatiste qui soit vu d’un bon œil à Rabat, c’est celui de la Kabylie. À l’automne 2014, la diplomatie marocaine a même pris l’initiative de demander aux Nations unies que cette région algérienne jouisse du droit à l’autodétermination et que soit reconnue son identité culturelle et linguistique.

Derrière le rejet marocain de la consultation en Catalogne, il y a eu quand même quelques hésitations tout au long de ces dernières années, depuis qu’en 2012 des centaines de milliers de Catalans ont manifesté à Barcelone pour réclamer un référendum. C’était le 11 septembre, le jour de la grande fête catalane, que les nationalistes « ont toujours instrumentalisé (…) pour revendiquer l’indépendance », constatait Baddrine Abd el Moumni, chargé d’affaires marocain à Madrid, dans un câble envoyé à son ministère à Rabat et mis en ligne en 2014 par un profil anonyme sur Twitter.

Drapeaux berbères et nationalistes catalans à Barcelone le 11 septembre 2014

Le Sahara occidental explique l’aversion marocaine envers le séparatisme catalan. « Tous les États ayant des problèmes territoriaux ou sécessionnistes internes défendent avec fermeté le statut quo territorial en politique étrangère par peur de créer des précédents » qui se retourneraient contre eux, explique dans son livre « L’Espagne d’Allah » Irene Fernández-Molina, chercheuse à l’université d’Exeter et auteur d’un livre sur la politique étrangère du Maroc (Moroccan Foreign Policy under Mohammed VI, 1999-2014).

Il y a en Catalogne un demi-million de musulmans, environ 7% de la population, en majorité Marocains suivis par les Pakistanais. Bon nombre d’entre eux ont acquis la nationalité espagnole ou l’ont demandée et sont donc susceptibles de voter tôt ou tard. De là l’intérêt des nationalistes à les séduire. Il s’agit d’éviter que, comme ce fût le cas au Québec en 1995, 50.000 voix émises par des immigrés ayant acquis récemment la nationalité canadienne fassent échouer le projet indépendantiste.

Pourtant, la Generalitat catalane n’a pas été particulièrement avenante envers les musulmans. Les exemples abondent. Il n’y a pas un seul professeur de religion islamique dans les écoles publiques à disposition des 80.000 élèves musulmans scolarisés en Catalogne. En théorie, la loi oblige à enseigner l’islam si dix parents d’élèves d’un même établissement en font la demande. Barcelone est, par ailleurs, la seule grande ville européenne avec une importante population musulmane mais sans une seule grande mosquée.

À l’automne 2015, Rabat est arrivé à la conclusion, selon Latifa el Hassani, que la sécession catalane ne ferait « qu’affaiblir l’Espagne », un pays avec lequel « le Maroc a encore de nombreux contentieux ». Se créerait ainsi, selon elle, une situation propice pour faire aboutir les revendications marocaines. C’est un peu la même thèse que développe ce mois-ci Hassan Masiki dans sa tribune sur « Morocco World News » : « C’est le moment idéal et une étape historique pour que les Marocains poussent les Espagnols à s’engager dans des conversations sur des sujets cruciaux » comme l’avenir des villes de Ceuta et Melilla.

La révolte du Rif a cependant chamboulé ces calculs encore balbutiants. Elle a commencé fin octobre 2016, mais c’est surtout au printemps dernier qu’elle a pris de l’ampleur jusqu’à ce que le ministère de l’Intérieur marocain sévisse pour y mettre un terme. Plus de 200 activistes rifains sont actuellement derrière les barreaux. Rabat craint maintenant qu’une sécession de la Catalogne, qui n’a pas fait broncher les Sahraouis, donne des ailes aux militants rifains qu’elle soupçonne, en fin de compte, d’être indépendantistes même s’ils s’efforcent de le cacher, signalent des sources diplomatiques dans la capitale marocaine.

Drapeaux berbères, nationalistes basques et nationalistes catalans lors d’une manifestation au printemps dernier à Barcelone.

La donne en Catalogne a aussi radicalement changé aux yeux de Rabat dont le consul à Barcelone, Yassir Fares, travaille d’arrache-pied pour informer son ministère et demander à ses compatriotes de se tenir à l’écart de l’affrontement. Pendant longtemps, la région a été gouvernée par Jordi Pujol et sa Convergence démocratique de Catalogne (CDC), sans nul doute le parti politique le plus pro-marocain de la péninsule Ibérique. Minée par la corruption, cette formation de centre-droit est en plein déclin et c’est d’autres nationalistes, la Gauche républicaine catalane, qui ont aujourd’hui le vent en poupe. Les sondages leur accordent une majorité relative en cas d’élections régionales.

Cette gauche traditionnelle catalane a toujours exprimé sa sympathie envers les « opprimés » du Maroc à commencer par les Rifains. Dans la sphère nationaliste, il y a, vus de Rabat, des courants encore bien plus dangereux : la Candidature d’unité populaire (CUP), un conglomérat de groupes d’extrême gauche. C’est eux qui se sont le plus mobilisés pour soutenir les Rifains dans leurs revendications. C’est d’ailleurs à Barcelone que réside en Espagne la plus grosse communauté rifaine.

C’est la CUP qui a fait voter, le 26 mai dernier, par le conseil municipal de Barcelone, une résolution dénonçant « le processus de militarisation du Rif ». Toutes les formations nationalistes l’ont soutenue y compris, au grand dam de Rabat, les héritiers de cette Convergence démocratique de Catalogne qui, il n’y a pas si longtemps, était toute acquise à la cause du Maroc. Rabat n’a plus d’amis parmi les nationalistes catalans. Autant ne pas souhaiter qu’ils gouvernent une Catalogne indépendante. Mieux vaut une Espagne unie dont le Parti Populaire continuerait à tenir les rênes sans inquiéter le Maroc.

Manifestation de Rifains et nationalistes catalans en juin 2017 à Barcelone

Manifestation à Barcelone en juin 2017 contre l’arrestation de Nasser Zefzafi

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