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Le Maroc, un voisin de plus en plus imprévisible et inquiétant

Le Maroc, un voisin de plus en plus imprévisible et inquiétant

Le Maroc a annoncé, mercredi 2 mai, la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran contre lequel il affirme détenir des « preuves irréfutables » d’avoir facilité un transfert d’armes du Hezbollah chiite pour le Front Polisario. Le Maroc n’a évidemment pas manqué d’accuser l’Algérie d’avoir joué un « rôle occulte dans cette action contre la sécurité nationale du Royaume ».

L’Algérie et l’Iran ont pour leur part démenti des accusations « sans fondements ». Alger a convoqué l’ambassadeur du Maroc pour protester officiellement contre les déclarations des responsables marocains.

Tout en mettant gravement en cause l’Algérie, le Maroc a assuré rester « attaché à la préservation des liens forts avec le peuple algérien frère (…) pour voir évoluer les relations bilatérales, sur la base du bon voisinage et du respect mutuel ».

Ces signaux contradictoires envoyés par le Maroc à l’égard de l’Algérie exemplifient à eux seuls les errements répétitifs dont se rend coupable la diplomatie marocaine depuis un certain temps concernant le dossier du Sahara occidental. Ces errements semblent-être le fruit de l’impasse stratégique face à laquelle le Maroc est confronté sur ce dossier. Depuis quelques mois, le Maroc enchaîne les échecs dans ce dossier, que ce soit vis-à-vis de l’Union africaine (UA) ou de l’Union européenne (UE). Le problème est que face à ses échecs sur le plan stratégique, le Maroc devient un voisin de plus en plus imprévisible et inquiétant.

Adhésion du Maroc à l’Union africaine : premier échec stratégique

Le royaume chérifien a été admis au sein de l’Union africaine le 30 janvier 2017 lors du 28e sommet de l’organisation panafricaine. Avant cela, le Maroc avait d’abord commencé par adresser une lettre aux chefs d’État africains le 16 juillet 2016, lors du 27e sommet de l’UA à Kigali au Rwanda, dans laquelle il annonçait son intention de rejoindre l’organisation panafricaine, mais à la condition que la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en soit définitivement exclue.

Le Maroc avait joint à sa lettre une motion signée par 28 pays africains dans laquelle ces derniers saluaient la décision du Maroc d’intégrer l’UA tout en faisant savoir qu’ils agiraient « en vue de la suspension prochaine de la RASD des activités » de cette organisation. Cette motion, dont l’obtention avait suscité la joie de la délégation marocaine présente à Kigali au moment du sommet, n’avait pas été lue lors des travaux à huis clos des chefs d’État, comme le souhaitait le Maroc.

Ce pays a bien fini par être admis au sein de l’UA mais sans pour autant faire l’unanimité autour de lui. Rappelons que sur les 54 pays membres de l’UA seuls 39 étaient favorables à son adhésion, dont l’Algérie. Un nombre certes suffisant, selon les statuts de l’UA, pour faire du Maroc le 55e État membre de l’organisation mais qui, dans le symbole, montre que cette adhésion ne s’est pas faite de manière tout à fait naturelle.

Cela était probablement dû à l’opposition du bloc de l’Afrique australe, dont les pays n’ont peut-être pas oublié le rôle joué par le Maroc dans la politique dite « du dialogue » avec le régime de l’apartheid promue par les Occidentaux à cette époque. Une époque où ces pays, ainsi que ceux de l’Afrique de l’Est dits de « la ligne de front », prônaient un boycott total de ce régime et comptaient sur un soutien sans faille de la part de leur frères africains dans leurs luttes de libération. Une petite parenthèse historique qui mérite d’être rappelée.

Cela dit, le Maroc n’a pas réussi à obtenir l’exclusion ou le gel de la RASD des instances de l’UA alors qu’il en avait fait un préalable à son adhésion. L’acte constitutif de l’UA ne prévoit d’exclusion de l’un de ses membres qu’en cas de prise du pouvoir « par des moyens anticonstitutionnels ».

D’ailleurs pour envisager une telle exclusion, cet acte constitutif devra être amendé « par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers (…) » des États membres (article 32), ce qui est loin d’être gagné pour le Maroc, puisque même ses alliés les plus proches au sein de l’UA, tels que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, ne seraient pas vraiment enthousiastes à cette idée d’amendement.

Imaginons seulement les conséquences que l’amendement de l’article 4 de l’acte constitutif par exemple, consacrant le « respect des frontières existant au moment de l’accession à l’indépendance » comme l’un des principes de fonctionnement de l’UA, aurait sur les équilibres politiques et géopolitiques, chèrement acquis, du continent… Imaginons un peu que la Casamance se voit encouragée à réclamer son indépendance du Sénégal, le Nord musulman du reste de la Côte d’Ivoire, la partie anglophone du reste du Cameroun, le Katanga de la République démocratique du Congo, et ainsi de suite…

Dans ce contexte, le Maroc qui a dû ratifier l’acte constitutif de l’UA, est contraint de siéger au sein de l’organisation panafricaine, aux côtés de la RASD, chose impensable dans un passé tout récent. Par rapport aux objectifs initiaux du Maroc qui avait fait de l’exclusion de la RASD, non seulement une condition préalable à son adhésion à l’UA mais aussi, et selon ses propres termes, une question « d’honneur et de crédibilité », ceci représente pour lui un échec dont il aura d’ailleurs lui-même fait la publicité.

Accord de pêche UE-Maroc : deuxième échec stratégique

La Cour de justice européenne (CJUE) a estimé dans un verdict rendu le 27 février 2018 que l’accord de pêche liant l’UE au Maroc n’était pas applicable aux eaux territoriales du Sahara occidental.  L’inclusion de ce territoire dans l’accord « enfreindrait plusieurs règles de droit international, notamment le droit à l’autodétermination », a-t-elle précisé.

La CJUE a suivi l’avis de son avocat général, Melchior Wathelet, qui avait auparavant plaidé l’invalidité de cet accord estimant que celui-ci, « ayant été conclu par le Maroc sur la base de l’intégration unilatérale du Sahara occidental à son territoire et de l’affirmation de sa souveraineté sur ce territoire, le peuple sahraoui n’a pas librement disposé de ses ressources naturelles, comme l’impose pourtant le droit à l’autodétermination ».

Le Maroc a réagi à l’arrêt de la CJUE en faisant savoir qu’il ne signerait plus aucun accord avec l’UE si celle-ci « ne respectait pas son intégrité territoriale ». Cette réaction marocaine n’est pas sans rappeler celle qui avait suivi la décision de la CJUE du 21 décembre 2016 dans laquelle la plus haute juridiction européenne avait demandé que l’accord de libre-échange UE-Maroc ne soit pas appliqué au Sahara occidental, dont les produits étaient commercialisés en Europe comme étant d’origine marocaine. Le Maroc avait là aussi menacé de suspendre toute coopération avec l’UE, recourant même au chantage vis-à-vis de l’UE en laissant entendre qu’il suspendrait toute coopération sur la régulation des flux migratoires à destination de l’Europe.

Pour un pays comme le Maroc qui déploie tellement d’efforts pour s’attirer les faveurs des pays européens en espérant bénéficier en retour de leur soutien sur le dossier du Sahara occidental, les décisions de la CJUE ont dû être difficiles à encaisser.

Une attitude quasi-hystérique

Aussi bien les conditions de son adhésion à l’UA que les décisions de la justice européenne en faveur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, sont autant d’échecs pour le Maroc et montrent que celui-ci se trouve dans une impasse stratégique sur cette question. Le problème est qu’à chaque fois, le Maroc fait preuve d’une attitude frôlant l’hystérie.

Lors de la réunion du comité des 24 de l’ONU sur la décolonisation, qui avait eu lieu à Kingstown à Saint Vincent en mai 2017, le Maroc, à travers une mise en scène, avait accusé un diplomate algérien d’avoir agressé physiquement un membre de la délégation marocaine, chose que l’ONU avait implicitement démenti en indiquant qu’il n’y avait pas eu incident nécessitant l’intervention de la sécurité.

En août 2017, lors d’un sommet ministériel Afrique-Japon à Maputo au Mozambique, un diplomate marocain s’était permis de saisir un membre de la délégation sahraouie pour l’empêcher d’accéder à la salle de réunion, ce qui a déclenché une empoignade avec le service de sécurité mozambicain, dans laquelle le ministre marocain des Affaires étrangères lui-même, Nasser Bourita, était impliqué. Le Mozambique, hôte de la réunion, avait alors condamné « l’attitude déplorable » et le « manque choquant de décorum et de respect » de la délégation marocaine lui reprochant de s’être « arrogé le droit de contrôler les accès aux salles de conférences et d’avoir eu recours à la violence ».

Passons aussi les insultes proférées publiquement à l’encontre de l’Algérie par l’ex-ministre marocain des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, en juillet 2014 accusant son grand voisin d’avoir fait preuve d’une « attitude minable » pour protester contre la désignation d’un envoyé spécial de l’UA pour le Sahara occidental, en la personne de l’ancien président mozambicain, Joachim Chisano.

Dans ces circonstances, il est légitime de se demander à quoi au juste le Maroc fait allusion en appelant de ses vœux une relation bilatérale avec l’Algérie « sur la base du bon voisinage et du respect mutuel » ? Les graves accusations du gouvernement marocain à l’encontre de l’Algérie après sa rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, font quand-même douter des intentions réelles du Maroc. Avec un voisin aussi imprévisible, il y a même matière à s’inquiéter, comme l’indiquait le politologue algérien Rachid Grim qui estimait que l’éventualité que le Maroc déclenche un conflit armé dans la région n’était pas à exclure.

Le Maroc ferait mieux de suivre la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui l’enjoint, ainsi que le Front Polisario, à reprendre « sans conditions préalables et de bonne foi » les négociations sur le règlement de la question sahraouie. Ceci serait la meilleure manière de rester fidèles à l’histoire commune entre l’Algérie et le Maroc en dépassant les égoïsmes pour construire ensemble le Grand Maghreb. Car la manière avec laquelle Rabat gère l’impasse dans laquelle il se trouve sur le plan stratégique sur la question sahraouie risque d’emporter la région toute entière.

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