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Le monde à venir

Le monde à venir

CONTRIBUTION. Depuis la dernière guerre de 39-45, jamais le monde n’a eu à vivre un tel bouleversement que celui qu’a entraîné la pandémie du Covid-19.

Dans une précédente contribution, Jil Jadid avait abordé les perspectives de l’après crise sanitaire avec les choix possibles d’une anticipation stratégique de l’Algérie.

Dans la même logique, il me semble utile aujourd’hui pour notre pays, d’anticiper sur les changements majeurs qui vont survenir très probablement, tant au plan économique que géostratégique, et qui remodèleront l’architecture mondiale dans un futur très proche.

Les effets les plus profonds toucheront aux fondations des rapports internationaux.

En cette deuxième décade du XXIe siècle, deux tendances opposées sont à la base des dynamiques qui agitent le monde. Un mouvement prônant une mondialisation, un libre échangisme financier, économique et commercial ainsi qu’une gouvernance mondiale pour la régulation des rapports internationaux.

Une deuxième logique, en sens contraire, prend le contre-pied de la mondialisation et préconise le retour vers les États-Nations, la souveraineté des peuples et la coopération internationale dans l’esprit Westphalien.

La pandémie du Covid-19 met à rude épreuve ces rapports de force.

Sans avoir à prédire l’issue de cette rivalité, nous pouvons donner un certain nombre d’éléments de réflexion, pour préparer l’Algérie à l’après crise.

En effet, alors qu’à la fin de l’année 2019, le monde était en pleine crise de confiance, où les « fronts » de conflits s’activaient dangereusement, le corona entre par effraction sur la scène et renverse les fausses évidences en remettant en cause tout ce qui semblait être des logiques irréversibles.

Les sanctions occidentales renforcées contre la Russie, l’Iran, le Venezuela ; la guerre commerciale persistante entre la Chine et les USA ; la guerre violente au Proche et Moyen-Orient, avaient fini par déterminer une carte géopolitique simple : d’un côté le camps occidentaliste, mené par les USA avec un alignement systématique et automatique de l’Union européenne, le Japon, l’Arabie saoudite et Israël, défendant une politique d’empire ; et d’un autre côté, la Russie et la Chine, comme alliance militaro-économique, autour desquels se structurait l’axe dit de la résistance au Moyen-Orient (Iran-Irak-Syrie-Yémen).

Bien entendu, dans chacun de ces pays, des lignes de fractures relativisent cette vision. La Turquie, très engagée dans l’OTAN est en même temps en porte à faux sur certaines questions stratégiques avec les USA et avec la Russie en même temps. L’Irak est lui-même divisé et surtout soumis à la présence militaire des USA et de l’influence politique de l’Iran.

Les révélations du Coronavirus :

Après plusieurs semaines de pandémie du Covid-19, un réajustement spectaculaire des rapports de force s’impose. L’effondrement des systèmes de santé tant en Europe qu’aux USA, le désastre financier avec le dévissage sans fin des plus grandes places boursières et la désadaptation de l’appareil productif déjà anémié par des décennies de politique de délocalisation, ont mis à nu la réalité de la puissance occidentale, depuis longtemps pourtant maîtresse du monde par les armes, les finances et la diplomatie. Au contraire, la Chine apparaît comme une puissance industrielle sans concurrents, avec un système politique contrôlant totalement la société.

Les USA se trouvent alors devant un double défi : sa puissance militaire est contrée par celle de la Russie, et sa capacité de maîtrise financière internationale remise en cause par l’arrêt de la consommation mondiale.

Le prix du pétrole (auquel est lié le destin du dollar) s’est effondré du fait de la paralysie mondiale de la production et de la consommation, ainsi que de la politique du duo Russie-Arabie saoudite, terrassant ainsi les producteurs de pétrole de schiste dont les coûts de revient sont élevés et remettant en cause du même coup la suprématie et surtout l’autonomie énergétique des USA.

Les difficultés étasuniennes se répercutent forcément sur les alliés européens. Ces derniers avaient lié leur sécurité et leur diplomatie dans le cadre de l’OTAN. Mais les difficultés internes des États-Unis dans le contexte de ses politiques de maintien de puissance ont remis en cause les équilibres des partenaires européens, souvent à leur détriment (sanctions contre la Russie et l’Iran en particulier).

L’UE s’est ainsi retrouvée dans la situation du partenaire dépendant des intérêts étrangers à elle. Ici, c’est la philosophie de la construction européenne qui est en cause.

Le lien consubstantiel des États et de la sécurité de la nation :

Une digression s’impose pour pouvoir tirer les bonnes conclusions à ce sujet et en faire une source d’inspiration pour l’Algérie, dans cette phase de refondation. La construction des États est consubstantielle à la sécurité du groupe. L’État, en tant qu’entité, n’est légitime que parce qu’il assume la sécurité de ses citoyens en contrepartie des concessions sur les libertés qu’ils lui font. Cette sécurité se décline en tant que préservation de l’intégrité de l’individu : santé, préservation de la propriété privée, sécurité civile (contre les agressions, les vols, le banditisme…) et militaire (sécurité du groupe face à un ennemi étranger).

S’il n’y a pas cette relation intime dans le couple peuple-État à travers un rapport de liberté-sécurité, aucune entité politico-administrative et technocratique ne peut résister dans le temps. Le coronavirus vient de remettre à l’évidence cette vérité occultée.

Or, pour revenir à notre propos, l’UE a été bâtie sur une conception abstraite d’un appareil supra étatique avec l’idée, en arrière fond, d’annihiler les risques de guerre entre les nations européennes. Échaudés par deux guerres mondiales au XXe siècle, les européens ont voulu remplacer la dimension sécuritaire par la consommation, le multiculturalisme et la libération des mœurs. L’aspect sécuritaire de l’UE étant délégué, avec une partie de la souveraineté des États, aux USA.

Incapable de créer la « nation européenne », les peuples européens, en l’absence de sécurité et de souveraineté collectives, ne peuvent que défaire ce qu’une bureaucratie a voulu tricoter, et de tenter de revenir ainsi à leurs fondamentaux, c’est-à-dire la souveraineté des nations.

La Nation existe-t-elle encore ?

Les nations ne sont pas seulement le résultat d’un « vouloir vivre ensemble » selon la formule consacrée mais plus fondamentalement, l’expression de la sphère des affects naturels des humains. La nation prolonge les structures anthropologiques classiques, la famille, la tribu et l’ethnie.

En ces temps d’incertitude, de menace vitale, le lâchage de l’Italie par ses pairs européens aura été la goutte d’eau qui risque de faire déborder les ressentiments des uns contre les autres. Après le naufrage de la Grèce abandonnée par l’UE lors de la crise financière de 2008 et le violent Brexit des Britanniques en cours, les détournements des masques par la Tchéquie et les interdictions de survols de l’espace Polonais aux avions Russes chargés de porter de l’aide à Rome laisseront des marques indélébiles, plus encore que l’inaptitude à apporter un soutien matériel et moral par Bruxelles.

L’UE a donc atteint ses limites et entrera, désormais, dans la phase du reflux, du retour vers les nations et le souverainisme. Jusqu’à quel point ?

Il reste que les images des véhicules militaires russes sur les autoroutes italiennes ou de leurs cargos, transportant de l’aide médical, sur le tarmac des aéroports américains viennent de signifier un basculement des rapports mondiaux.

Le Corona est un facteur de paix ?

L’impuissance générale et surtout celle des pays occidentaux face à la pandémie du corona remet en cause des préjugés et surtout des stratégies de puissance. Le secrétaire général de l’ONU vient d’appeler à une trêve générale. Les opinions publiques sont traumatisées et n’accepteront pas les guerres qui ravagent des peuples pour des raisons de calculs géostratégiques. Les guerres en Syrie, au Yémen ou en Libye doivent trouver leur terme.

De son côté, non seulement le président Trump accepte l’aide de la Russie, encore récemment accusée de tous les maux du monde mais il ouvre ses aérodromes à des avions militaires de cet adversaire honni qui apporte de l’aide humanitaire !

De manière plus spectaculaire, les États-Unis se rapprochent des intérêts des membres de l’OPEP et, sous l’influence de ses producteurs des hydrocarbures de schiste, veut la remontée des prix du baril du pétrole. Il est même possible de voir les États-Unis assister à la prochaine réunion du cartel des producteurs de pétrole et de s’engager à prendre part à la réduction mondiale des quotas de production. Cela aurait été une hérésie il y a un mois seulement.

Le dollar est, de son côté, en situation de perdre sa position monopolistique de monnaie d’échange international. Les tentatives de contrôle de la FED, le rachat par les banques centrales de plusieurs trillions de dollars ou équivalents d’actions et d’obligations et la déflagration de l’économie virtuelle vont pousser les États à négocier un autre instrument de régulation des changes dans le monde. Un panier de devises est déjà mis en perspective. Les USA ont-ils encore la force de s’y opposer ?

La perte de puissance otanienne va les pousser, en fin de compte à se replier sur leur « insularité ». Cela bouleversera les données dans plusieurs régions du monde.

Espérons que les grandes puissances finiront par basculer dans l’état d’esprit de la coopération et relègueront leurs anciens différends aux manuels d’histoire.

Si ce n’est pas ce chemin qu’empruntera le monde, alors les guerres, le désordre et le chaos se chargeront de redimensionner la présence et le mode de vie d’homo sapiens sur cette planète.

Le Coronavirus aura peut être permis, en bout de course, d’obliger les hommes à réaliser ce qu’ils n’avaient pas voulu faire : bâtir un monde de respect entre les peuples avec l’humilité de n’être que des passagers temporaires sur cette terre.

*Président de Jil Jadid

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