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Le mouvement populaire a-t-il impacté le phénomène de la migration clandestine ?

Le mouvement populaire a-t-il impacté le phénomène de la migration clandestine ?

Mohamed Saïb Musette est docteur en sociologie. Il est directeur de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) à Alger. Il est auteur de plusieurs études et recherches sur les migrations et sur la mobilité.

Ces dernières semaines, on constate une reprise du phénomène de la harga en Algérie après un reflux lié probablement au mouvement de contestation populaire. Existe-t-il une raison précise à cette reprise ?

Pour moi, la harga est un phénomène constant. Le désir de partir chez les jeunes est assez fort en Algérie. En 2018, il y a eu 800.000 demandes de visas des Algériens vers l’Union européenne, moins de 50% ont été satisfaites. Vous imaginez donc la pression, le nombre de personnes qui voudront partir, pas forcément pour immigrer pour la plupart, mais pour découvrir un peu d’autres pays. Durant la Révolution tunisienne (en 2011), 25.000 tunisiens ont quitté le pays d’une manière clandestine profitant de la situation d’instabilité pour partir vers l’Italie. Je ne le répéterai jamais assez, tant qu’on n’organise pas la migration régulière, d’autres personnes vont toujours tenter le départ d’une manière irrégulière. Face à la demande, l’État doit mettre en place des institutions.

C’est-à-dire ?

Je cite l’exemple de l’Anem (Agence nationale de l’emploi). Il est du rôle de l’Anem de placer les travailleurs algériens à l’étranger, de chercher les débouchés. Depuis des années, elle n’assure plus cette mission. Elle est chargée non seulement d’accueillir des travailleurs étrangers vers l’Algérie, mais de placer les Algériens dans le marché de l’emploi à l’étranger. Il est possible d’organiser la migration régulière, la migration de travail. Pour moi, il n’y a pas d’autres solutions, sinon les personnes vont tenter par tous les moyens de quitter le pays. Il n’y pas que les harragas, il y a aussi la mobilité estudiantine.

Justement, les étudiants algériens demandent de plus en plus la poursuite de leurs études à l’étranger, ces dernières années. Une explication ?

Vous pensez réellement qu’ils veulent partir rien que pour les études ? Vous avez vu en 2017 comment des centaines d’étudiants algériens se sont rassemblés devant l’Institut français d’Algérie (IFA) à Alger pour tenter leur chance. En 2018, l’État algérien a accordé 500 bourses d’études à l’étranger pour 7000 inscrits. L’écart est grand. Ceux qui partent étudier à l’étranger comptent sur le soutien familial pour le financement des études.

Vous parlez du « désir de partir du jeune algérien ». Pourquoi le jeune algérien veut quitter son pays notamment par les moyens clandestins ?

Les jeunes cherchent des moyens réguliers pour partir mais ils ne les trouvent pas. Ils font des demandes de visas, mais quand la réponse est défavorable, ils vont vers d’autres voies. D’après l’Union européenne, 25.000 Algériens sont en situation irrégulière en Europe. C’est un chiffre assez important même si les marocains sont plus nombreux, 40.000 actuellement. Ces 25.000 Algériens sont partis avec ou sans visas et se trouvent en situation irrégulière. En France, pour 2018, les Algériens étaient plus de 3000 à séjourner dans les centres de rétention avant de quitter vers d’autres pays comme la Belgique ou l’Allemagne, mais pas vers l’Algérie.

Qu’est-ce qui pousse le jeune algérien au départ : le mal vivre, le manque de perspectives, le désir de découvrir le monde, le travail ?

La raison principale est la recherche du travail et la qualité du travail. Je viens de terminer une enquête auprès des étudiants qui prouve que les diplômés veulent partir à l’étranger pour avoir un poste d’emploi en adéquation avec leur profil. J’ai même trouvé des jeunes universitaires qui ont déjà trouvé du travail en Algérie mais qui veulent quitter le pays aussi. Les dispositifs d’insertion à l’emploi ne semblent pas les retenir. Je pensais que les diplômés en sciences humaines et sociales étaient plus tentés par le départ, mais, là, je découvre que cette envie est plus forte chez les diplômés en sciences techniques et scientifiques. Donc, pour les jeunes la priorité est l’emploi. Les chiffres de l’ONS (Office national des statistiques) le prouvent : le taux de chômage des diplômés est le plus important en Algérie. Vous pouvez donc imaginez des jeunes qui s’investissent dans des études pendant dix ou quinze ans pour se retrouver à assurer des petits boulots.

Lutter ou freiner le phénomène des harragas passe, selon vous, par la régularisation du flux migratoire…

Il faut organiser le flux migratoire et s’ouvrir sur le marché du travail international pour placer nos compétences. Beaucoup le font actuellement comme le Maroc et la Tunisie. Ils cherchent des placements dans les pays du Golfe et en Afrique. Le marché du travail local en Algérie ne peut pas absorber tous les diplômés. Dans les années 1960 et 1970, l’Algérie avait des bureaux de main d’œuvre à l’étranger pour prospecter le marché et placer les travailleurs algériens (…) Le mal vivre pousse également les jeunes algériens vers le départ, mais ce n’est pas toute la jeunesse qui veut quitter le pays. Il faut relativiser. La majorité des jeunes veulent rester dans leur pays. 16 à 17% des jeunes veulent quitter l’Algérie parce qu’ils sentent qu’ils y vivent mal. Mais, vous avez 85% des jeunes qui n’ont pas de désir de partir ailleurs (résultat d’une enquête menée par le sociologue). Cette réalité est constatée partout dans le monde. On parle souvent de la migration clandestine comme « un phénomène mondial » alors qu’il n’existe que 3% de la population mondiale qui migre contre 97% qui ne migre pas. Faut peut-être s’intéresser au fait que 97% de personnes qui ne veulent pas quitter leur pays au lieu de se concentrer uniquement sur les 3%. 3%, c’est faible.

Est-il vrai que le mouvement de contestation populaire a influencé le phénomène des harragas ?

Les jeunes ont cru à un moment, je dis bien à un moment, qu’ils pouvaient retrouver leur Algérie et réorganiser leur vie dans le pays. Mais, apparemment, la jeunesse, comme partout dans le monde, est impatiente. Elle ne veut pas attendre. Plus la transition traîne, plus le hirak sera désaffecté par les jeunes, surtout ceux tentés par le départ vers l’étranger.

 

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