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Le mouvement populaire boucle son 6e mois : quel bilan ? Entretien croisé

Le mouvement populaire boucle son 6e mois : quel bilan ? Entretien croisé

Le mouvement populaire boucle aujourd’hui son 6e mois. Quels enseignements en tirez-vous ?

Pr Louisa Ait Hamadouche, politologue. La première chose à signaler, à mon avis, c’est que ce soulèvement populaire est l’une des plus belles surprises que les Algériens ont vécu certainement depuis l’Indépendance. C’est un événement auquel personne ne s’attendait mais qui aujourd’hui a produit les plus beaux symboles, les plus belles images et leçons qu’on pouvait espérer. Ce genre d’expérience ne peut pas être évalué en termes quantitatifs.

Une crise survient dans un système déterminé, elle a sa propre logique et ses propres règles, elle produit ses propres mécanismes, et c’est au système dans lequel elle évolue de s’adapter à cette crise. Donc, six mois ça peut paraître longs mais aussi très courts.

Quel bilan en faites-vous ?

Si l’on devait faire un bilan de ses 6 premiers mois, je pense que les aspects positifs dominent très largement les insuffisances. Au bout de six mois de soulèvement populaire massif, on ne signale aucun débordement, aucun incident majeur ou de dépassement majeur, la population s’est comportée d’une façon quasi exemplaire, tout cela compte tenu des circonstances. C’est-à-dire que ce soulèvement n’a pas été planifié, il a commencé de façon anonyme et se poursuit de façon anonyme.

De plus, ce soulèvement a su préserver son caractère pacifique malgré les contraintes (pas de leadership, absence d’organisation). On ne mesurera jamais suffisamment l’importance de cet aspect qu’est le caractère pacifique. C’est un élément primordial, capital et même stratégique. Si j’insiste sur cet aspect, c’est pour une raison : lorsqu’on remonte à l’histoire du mouvement national, on trouve que le mouvement national a renoncé à son caractère pacifique et politique et adopté la démarche de la guerre parce que le caractère pacifique a échoué. Aujourd’hui, les Algériens ont pris conscience que les deux contextes sont différents : on pourrait en aucun cas arriver à la conclusion que la démarche pacifique a échoué.

Contrairement à la guerre de libération contre le colonialisme qui a imposé le choix de la guerre, les Algériens sont aujourd’hui pleinement conscients qu’il n’est pas question de recourir à la violence. Cela montre à quel point la conscience politique des Algériens est grande. Il faut comprendre que les Algériens qui se soulèvent sont décidés à rester pacifiques.

Qu’en est-il des autres acquis ?

Ils se traduisent par la mise en échec de toutes les propositions faites par les tenants du pouvoir pour gagner du temps, casser le soulèvement ou le diviser. Toutes ces tentatives ont échoué. La première tentative est celle faite par le président démissionnaire et qui consistait à organiser une conférence nationale, annuler le 5e mandat et prolonger le 4e.

Les Algériens ont annulé l’élection du 18 avril, annulé le prolongement du 4e mandat et mis en échec les élections du 4e juillet. Le panel de dialogue et de médiation tel qu’il est mené aujourd’hui n’arrive pas créer une réelle dynamique de dialogue. Les tentatives de diviser à travers l’emblème national se sont aussi soldées par un échec. Ce qui m’amène à dire que les échecs du pouvoir politique sont équivalents aux succès du soulèvement populaire. S’ajoute à cela le fait que la société civile s’impose comme un acteur politique.

Quid des insuffisances ?

Les grosses insuffisances sont chez les partis politiques. Au bout de 6 mois, on aurait pu penser et espérer que les partis politiques amorcent un véritable processus de réforme interne. Ceci n’est pas le cas. Aussi, les partis politiques auraient pu s’ouvrir davantage sur la société, ils ne l’ont pas encore fait. En outre, ils auraient pu amorcer un processus de rassemblement. Or, ce rassemblement se fait de façon partielle.

Aujourd’hui, on est face à deux pôles qui se sont rassemblés parce qu’ils se ressemblent. D’un côté, il y a un pôle conservateur et un autre progressiste. Au bout de six mois, on aurait espéré que ces deux pôles se rassemblent davantage. Ce qui manque aux partis politiques c’est de parvenir à dépasser leur appartenance idéologique et de s’engager dans un processus de rassemblement au-delà de cette appartenance.

Quelles sont les perspectives pour le mouvement populaire ?

Ce qui manque aujourd’hui au soulèvement populaire c’est la maturité nécessaire pour dégager des acteurs et des actions politiques. Il a besoin d’une plus-value.

Cela signifie que les manifestations populaires pacifiques sont nécessaires et doivent se maintenir quels que soient les développements futurs. Parallèlement, le soulèvement populaire national est appelé à se structurer de façon à dégager des forces politiques. Les partis politiques tels qu’ils existent à eux seuls ne sont pas suffisamment légitimes et forts pour imposer les négociations nécessaires à cette transition. Par contre ce rapport de force arrivera que s’il y a une synergie entre les forces politiques issues du soulèvement et les forces politiques préexistantes. C’est une alliance objective, stratégique et nécessaire.

Mokhtar-Saïd Mediouni, officier supérieur à la retraite.

Le mouvement populaire boucle aujourd’hui son 6e mois. Quels enseignements en tirez-vous ?

Le soulèvement populaire du 22 février était tout fait légitime. Il a exprimé un ras-le-bol général de deux décennies de pouvoir absolu tenu par un groupe mafieux : des hommes d’affaires, des caciques du régime et certains partis de l’Alliance se sont accaparés le pouvoir en Algérie et ont mis de côté la démocratie. La première manifestation a été pour dire non au 5e mandat et les slogans qui ont fait leur apparition par la suite c’étaient « Klitou lebled ya serraquine » (vous avez pillé le pays).

Le peuple a dit qu’il n’y aurait pas de 5e mandat mais qu’en plus de cela nous sommes au courant de ce que vous faites. C’était un éveil national. Par la suite les revendications du Hirak sont allées plus loin pour demander le départ de tout le système. Depuis le début, le Hirak a porté des revendications justes comme l’avait souligné le chef d’état-major de l’ANP. Dès le départ, l’armée s’est rangée du côté du peuple. L’armée avait promis d’accompagner le Hirak jusqu’à la réalisation de l’ensemble de ses revendications en le mettant en sécurité et en le protégeant. D’ailleurs, le chef d’état-major a juré qu’aucune goutte de sang ne sera versée.

Promesse tenue. Par ailleurs, on a vu pas mal de responsables pour certains jusqu’ici intouchables défiler devant la justice dans le cadre des affaires de corruption. Des responsables ont été mis sous mandat de dépôt. Je crois que c’est une chose extraordinaire que le Hirak a réalisée. Aussi, le peuple algérien a donné des leçons de pacifisme et d’engagement. L’armée et le peuple, en faisant mouvement ensemble, ont réalisé des choses extraordinaires surtout en mettant hors d’état de nuire beaucoup de membres de la issaba (gang). Je pense qu’il y a encore d’autres acteurs qui ont participé à la destruction de ce pays.

Depuis le 22 février, beaucoup d’actions se sont passées. Il y a eu même l’annulation de deux scrutins présidentiels et des tentatives de dialogue…

Les deux scrutins ont été annulés parce que les garanties nécessaires pour un processus d’élections démocratiques libres et transparentes n’existaient pas encore. Dès le départ le peuple a dit qu’il n’allait pas négocier avec le pouvoir et qu’il n’allait pas y avoir des élections qui seront supervisées par un gouvernement qui a été impliqué auparavant dans le trucage des élections, la collecte de voix, etc. La nouveauté a été le discours de M. Bensalah qui a été assez clair et percutant. Dans son discours, il avait demandé que le dialogue soit engagé entre la société civile, les intellectuels et les hommes politiques de bonne foi pour trouver les moyens d’aller vers une conférence nationale qui, elle, dégagera en rassemblant l’ensemble des propositions de la société civile et du Hirak, et de les concrétiser en propositions concrètes pour une sortie de crise.

La conférence désignera l’Autorité indépendante d’organisation, de supervision et d’annonce des résultats de l’élection présidentielle. Je pense que c’est une garantie extraordinaire, au Hirak, aux intellectuels et les hommes politiques que cette promesse soit tenue. Le gouvernement n’aura aucun rôle et n’interviendra qu’avec l’apport logistique. L’organisateur de ces élections sera le peuple lui-même.

S’agissant du dialogue, je pense que M. Karim Younès a pris une responsabilité historique de se mettre au-devant de la scène pour initier le débat. Quelles que soient les carences, il fallait bien engager ce dialogue qui va être « amélioré » au fur et à mesure de son avancée. On voit déjà que les personnes qui étaient les plus réticentes commencent à s’engager dans ce processus ne serait-ce que pour porter les revendications et les initiatives du Hirak et de la société civile pour une sortie de crise.

Quelles perspectives pour le mouvement populaire ?

Il faut montrer au monde entier que ce peuple a repris en mains le pouvoir à travers des élections. Il faut aussi engager tous les chantiers pour la refondation de la République algérienne. Aujourd’hui, on ne peut même pas organiser un référendum sur tel ou tel sujet. Il faut élire un président en allant aux élections. Pour moi, aller vers des élections est une question d’urgence nationale, voire même une urgence de sécurité nationale.

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