Politique

Le rôle de l’armée, selon Mouloud Hamrouche

Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement et ex-candidat à l’élection présidentielle (1999), a livré, ce dimanche 13 janvier 2019, un vrai plaidoyer pour l’État national. Un État qui ne peut s’établir ni fonctionner « sur des promesses ou des illusions » et qui ne doit pas laisser se briser la confiance des citoyens en ses trois fondements : la liberté, l’indépendance et la souveraineté.

L’Exécutif, « un pouvoir politique gouvernant », doit, selon M. Hamrouche, se prévaloir d’un mandat. « Et parce que ses choix, ses décisions et ses non-décisions impactent durablement la société, il doit les soumettre à débat et à approbation pour qu’ils soient toujours compatibles avec les intérêts de la collectivité nationale et qu’il demeure lui-même comptable et responsable constitutionnellement devant l’électorat national de ses faits, de ses méfaits et de ses résultats », propose-t-il dans une longue contribution publiée sur El Watan.

Mouloud Hamrouche estime qu’aucun pouvoir et/ou aucune fonction d’autorité ne doit s’exercer dans l’anonymat, « sans habilitation, sans autorisation, sans vérification et sans contrôle à priori et à posteriori ». « Tout pouvoir de secte, d’ombre ou d’influence non identifiée qui échappe à tout contrôle est une menace traîtresse contre l’État et contre les trois fondement (liberté, indépendance et souveraineté, ndlr) », avertit-il.

Il prévient contre « la privatisation » de l’État au profit de « d’un groupe, d’une secte ou d’une influence extérieure ». Il y a, selon lui, des débuts d’échec dans l’édification de l’État et « dans la mise en place des conditions de l’exercice de la gouvernance ». Il parle aussi de déficit en élites politiques et de « vraies forces d’adhésion » en Algérie. Ni l’État ni l’armée ne peuvent, selon lui, «structurer » la société. « Ce qui structure une société ce sont les partis, le débat et l’intérêt », note-t-il.

« L’ANP est une création historique »

Revenant sur les conditions de la création de l’armée algérienne, il relève que « l’ANP (Armée nationale populaire) est une création historique, singulière et précieuse du peuple qui ne vient pas d’un legs ».

« Car l’ADN de l’OS (Organisation secrète, créée par Messali Hadj en 1947), de l’ALN (Armée de libération nationale) et de l’ANP est le même et doit le demeurer. Cet ADN indique que les promoteurs de l’OS n’ont pas uniquement fait le pari de requalifier des Algériens aliénés en militants, conscients, lucides et prêts à se battre pour restaurer l’État national, changer la situation du pays, mettre un terme à la condition d’indigène, mais également celui d’en faire des hommes et des femmes libres et responsables », poursuit-il.

« Aucune armée nationale au monde n’est apolitique, encore moins anti-politique », affirme Mouloud Hamrouche, lui-même ancien officier de l’ANP (dans les années 1970). Il souligne que tout armée est consciente et au fait des politiques publiques, des choix, des programmes projetés et des alternatives qui se projettent et « surtout des défis et des enjeux sous-jacents ».

« Le modèle de l’État contemporain avait, pour toutes ces raisons, dégagé l’armée de l’emprise des souverains, des hommes et des conjonctures pour qu’elle forme corps avec l’État et le peuple, la nation. L’armée avait cessé d’être un instrument entre les mains de souverains, empereurs et gouvernants ou un outil de répression. Les armées ont été et demeurent au cœur de la naissance et de la puissance des nations », explique-t-il.

L’Algérie a besoin « plus que jamais » de discernement

« Beaucoup d’auteurs, de chercheurs et d’essayistes placent la question de l’armée parmi des sujets de société ou de politique. Cette approche controversée est due à son implication parfois dans des champs de maintien de l’ordre et de pouvoir, ou de répression suite à un désordre social grave ou une faillite institutionnelle manifeste », relève Mouloud Hamrouche.

Il souligne que l’armée, « de par sa nature et son organisation », est une sphère de l’État «dont elle est la colonne vertébrale du fait de sa mission et sa finalité, qui se recoupent et se confondent latéralement avec celles de l’État ». Mais, pour l’ancien Premier ministre, l’armée ne doit pas servir de base pour gouverner, car cela nuit à sa mission et à sa finalité. « De même que cela brouille ses rapports avec la société, menace ses articulations et son organisation, affaiblit sa cohésion et sa discipline. Bien plus, cela force ses composantes, particulièrement le corps des officiers, à adhérer à des idéologies et à devenir partie prenante des conflits internes. Tous ces risques peuvent la faire chavirer d’une institution nationale à une institution anti-establishement », prévient-il.

Ce dernier passage semble être une réponse à ceux qui appellent l’armée à intervenir, d’une manière ou d’une autre, dans la prise de décision relative aux choix politiques à l’approche de l’élection présidentielle d’avril 2019. Et une mise en garde à ceux qui continuent de « s’appuyer » sur l’armée pour tirer de la puissance politique ou donner l’impression d’en avoir pour maintenir des postures dominantes.

Pour Mouloud Hamrouche, l’Algérie a besoin « plus que jamais » de discernement pour « faire face aux diverses menaces, peurs, désespoirs et résignations ».

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