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Le tourisme en Oranie à l’épreuve de l’autorisation, de l’interdit et du laisser-aller

Le tourisme en Oranie à l’épreuve de l’autorisation, de l’interdit et du laisser-aller

Fayçal Métaoui

Le tourisme doit devenir une priorité nationale en Algérie. L’effondrement des cours mondiaux du brut amènent les pouvoirs publics à tenter de sortir de « l’âge pétrolier » et d’évoquer « la diversification de l’économie » avec comme secteurs prioritaires l’agriculture et le tourisme. Comment se passent les choses concrètement sur le terrain ? Reportage dans l’Ouest algérien.

Sur la route de Tlemcen

Sous la pluie de décembre, le minibus avance péniblement sur l’autoroute. Les gendarmes arrêtent souvent le véhicule, qui appartient pourtant à un organisme public de tourisme, pour savoir s’il a « une autorisation » de circuler.

Vue de Tlemcen à partir de Lalla Setti (F.M. / TSA ©)


Ils cherchent à voir l’ordre de mission. Cette bureaucratie sécuritaire sera « visible » durant tout le parcours qui nous mène à Tlemcen et à Oran à la faveur d’un voyage presse organisé par le groupe français AccorHotel.

Le groupe, qui espère attirer davantage de touristes « loisir » vers ses hôtels de l’Oranie et qui détient déjà 20% du parc hôtelier national, entend mettre en valeur les destinations, autrement dit les deux villes où se trouvent les deux Ibis Red et le Royal Hotel (sous le label M Gallery), propriété de Siaha (joint-venture entre le groupe algérien Djillali Mehri et AccorHotel).

Tlemcen, mise sous les projecteurs durant les festivités de la Capitale de la culture islamique 2011, replonge dans la monotonie des jours qui passent. L’activité touristique y est au ralenti. Tout comme l’activité économique. La région recèle pourtant plusieurs endroits à visiter comme la Mosquée de Sid Bellahsen (construite vers 1296, elle est parmi les plus anciennes en Algérie), le Palais du Mechouar, les Vestiges d’El Mansourah, le derb des sept arcs, le bain des Sebaghine, les fours, les fondouk, le Parc Zoologique de Hadj Aissa, le Plateau de Lalla Seti et le Musée d’Art et d’Histoire.

El Mansourah (F. M. / TSA ©)


Le palais du Mechouar, une citadelle presque imprenable

Au cœur de Tlemcen se trouve la citadelle du Mechouar. Devant la grande porte, il y a peu d’indications sur l’historique du lieu. Un bureau de « guides culturels » relevant de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OEGBC) est désert vers 11h30.

Dès l’entrée, des agents demandent à ce que le groupe de journalistes munis de caméras et d’appareils photos présente une autorisation pour pouvoir filmer. « Désolé, mais nous appliquons les instructions », lance un agent.

Aucune concession n’est possible dans le pays où l’administration a le dernier mot sur tout. Au bureau d’accueil du Centre national de l’interprétation du costume traditionnel algérien, installé à l’intérieur-même du Palais Royal Zianide d’El Mouchouar, il faut également parlementer avec la dame chargée de la billetterie et de l’accueil.

Le palais royal d’El Mechouar (F.M. / TSA ©)


« Monsieur, il faut que vous ayez une autorisation du ministère de la Culture », tranche-t-elle dans le vif. « Faut-il que nous revenions à Alger ? », s’interroge le groupe. « Il vous faut cette autorisation », insiste-t-elle. Que faut-il faire ? Dialoguer ! Samira Oum Bouazza, chercheuse en patrimoine, enseignante à l’université de Mascara et guide au Centre, intervient avec délicatesse pour sauver la situation.  L’équipe de « touristes » arrive enfin à entrer au sein du Palais royal, visité ce matin, par des étudiants en sociologie urbaine de l’université de Mostaganem.

« Ce centre est le premier dans toute la région arabe à interpréter les habits. Il explique les origines, les appellations et les utilisations des habits. Le centre donne des informations sur certains us et coutumes aussi », souligne Samira Oum Bouazza.

Sorti de ses ruines, le Palais Zianide, bâti vers 1248, a été reconstruit, à partir de 2009, pas à l’identique, mais en s’inspirant de l’Alambra de l’époque andalouse. « En 2008, nous avions procédé à des fouilles et nous avions découvert des faïences décorés orignaux (azulejos) datant de sept siècles au fond d’un bassin d’eau. Nous avons gardé ces faïences en reproduisant d’autres. Nous avons également trouvé des morceaux de plâtre et le plan de construction du vieux palais », explique la guide.

À l’intérieur du Palais, il existe peu de plaques ou de documents pouvant donner une idée sur l’histoire de l’endroit. La salle d’exposition des habits, située en dehors du Palais, est, par contre, bien fournie en informations sur la chedda tlemcenienne, le karakou algérois ou blidéen, la blouza oranaise ou la gandoura annabie.

Le palais royal d’El Mechouar (F.M. / TSA ©)


Au Musée de Tlemcen, les responsables absents

Frustrés de n’avoir pas tout vu au Mechouar, le groupe se dirige à pieds à la Rue du 20 août, vers le Musée d’art et d’histoire de Tlemcen, ouvert en 2011 à l’occasion de la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique ».

À l’entrée, deux agents sont là pour accueillir le groupe. Aucun responsable n’est sur les lieux. Nous demandons si les documents et catalogues exposés étaient soumis à la vente comme tous les musées du monde où l’on peut acheter des livres, des photos ou des petits souvenirs. La réponse est évidemment : non. La raison ? Aucune ! La notion de la rentabilité commerciale des musées n’est pas encore entrée dans les mœurs, pas à l’ordre du jour. Côté communication, le Musée de Tlemcen est à la traîne. Il n’a ni site internet ni adresse mail.

Comme seul contact, une ligne téléphonique orpheline. Faute d’autorisation -c’est devenu presque un rituel-, le groupe ne peut pas visiter le musée avec les caméras et les appareils photos, perçues presque comme des armes offensives, « un danger » pour la quiétude ambiante. Récemment, le ministre de la Culture Azzeddine Mihoubi a annoncé que l’interdiction de prendre des photos dans les musées sera levée.

Les grottes de Beni Add sans guide !

Il faut parcourir plus de dix kilomètres en montagne, en passant par la localité de Ain Fezza, pour arriver aux grottes de Beni Add. Des grottes qui ont résisté à l’épreuve du temps : plus de 62.000 ans d’âge ! Un responsable de l’agence de voyage Habibas, qui a organisé le circuit touristique, parle à un fonctionnaire qui, lui aussi, demande… une autorisation.

« Il faut aller à l’APC de Ain Fezza chercher cette autorisation », dit-il. « Mais pourquoi faire, puisque nous avons acheté les billets ? », s’interroge le responsable de l’agence. « Non, c’est justement pour que vous n’achetiez pas les billets ! », réplique l’agent.

Sur place, il n’existe aucune plaque expliquant l’histoire des grottes, ni aucun guide. Pas de documentation non plus. Les rares visiteurs, en cette matinée glaciale, sont livrés à eux-mêmes, à leurs impressions et à leurs appareils photos. Pourtant, dans les grottes, le flash doit être évité pour ne pas dégrader les surfaces sensibles des stalactites et des stalagmites. La blancheur de certains extrémités en calcaire sont déjà noircies par les touchers. Mais qui s’en soucie ? Existe-t-il une réelle protection des grottes de Beni Add, ouvertes au public en 2006, après une fermeture qui a duré presque quinze ans durant les années 1990 pour des considérations sécuritaires ? Difficile de trouver une réponse faute d’interlocuteurs.

Aux alentours, il n’y a presque aucune activité, mis à part un petit restaurant où les tables sont vides. Les étales des marchands d’artisanat sont abandonnées. Un seul revendeur tente d’écouler, au petit bonheur la chance, des portes-clefs, des portes-monnaies et autres souvenirs de Tlemcen, l’ancienne Pomaria où se trouve les deux tiers des monuments musulmans classés en Algérie.

Les grottes de Beni Add (F.M. / TSA ©)


À Lalla Setti, on entend siffler le vent

Le chemin vers Lalla Setti est presque désert. C’est pourtant un endroit touristique. Le plateau domine la ville de Tlemcen à plus de 1.000 mètres. Ici, les cerisiers fleurissent au printemps à côté de la forêt des pins du Petit perdreau.

L’hôtel Renaissance, un palace 5 étoiles, est installé à quelques pas d’un parc d’attraction, d’un lac artificiel et du Musée du Moudjahid. Il n’y pas de terrasses de restaurants ou de cafétérias malgré la splendide vue, pour reprendre le langage touristique, sur l’ancienne Agadir.

Peu ou presque pas de boutiques. À Lalla Setti, on entend siffler le vent tant il ne se passe rien. « Les week-end, quelques familles viennent ici », raconte un jeune faisant marcher un cheval à robe blanche qui semble s’ennuyer. Un téléphérique a été récemment ouvert pour faciliter le transport vers le plateau.

« Par le passé, les femmes venaient chaque vendredi au Mausolée de Lalla Setti pour y faire la prière habillées de haïks blancs et pour y passer la journée. C’était une manière pour elles de prendre de l’air et de s’offrir un peu de détente en ramenant le café et le thé. Il y a peu de documentation sur Lalla Setti, nous n’avons que de la poésie qui a transmis de siècle en siècle quelques informations », raconte Réda Brixi, ancien directeur des sites et musées de Tlemcen et du Musée national maritime d’Alger. Selon une plaque sur le mur du Mausolée, Lalla Setti serait la fille de Abdelkader El Jilani. Elle serait venue de Bagdad s’installer à Tlemcen vers le XII ou le XIIIe siècle. Il existe peu d’ouvrages sur l’Histoire de Tlemcen, surtout celle de l’époque médiévale.

El Mansourah face au silence de l’ennui

El Mansourah, ancienne cité Mérinide, vit, elle aussi, dans la solitude. Retapée à la hâte durant les festivités de Tlemcen capitale de la culture islamique, le site qu’avait construit le roi Merénide Abou Yakoub Youssef Nasr (à partir de 1299) ne connait aucune réelle promotion touristique dans la région.

Sur place, deux gardiens regardent passer les visiteurs sans même un mot d’accueil ou un sourire. Il n’y a, là aussi, ni guide, ni prospectus ni plaques explicatives. Rien. Les escaliers en briques rouges qui mènent vers le minaret de la mosquée, construite en 1303, commencent à se détériorer. Il reste quelques traces des décorations introduites par le roi Abu El Hassan Ali en 1336 à ce minaret, bâti en pierres. Les treize portes qui permettaient d’entrer à cette mosquée n’existent presque plus.

Des écrits sur l’arc du minaret de la mosquée d’El Mansourah (F.M. / TSA ©)


« Ici, Abou Yakoub, venu assiéger Tlemcen, a fait construire une mosquée, un hôpital, un bain, des appartements entourés d’une muraille », explique Réda Brixi. Dépassé la porte d’entrée, le terrain est vague. Les ruines de cette muraille sont encore là. Ils résistent un tant soi peu à l’assaut des changements climatiques et la dégradation provoquée par les hommes.

Les pierres et les briques sont souillées par des écritures en peintures rouges, noires ou blanches de visiteurs et d’amoureux qui ont voulu marquer leur passage. Sonia, Sarah, Yanis et les autres se sont permis d’écrire en toute liberté dans un site sensé être protégé. Là aussi, qui s’en préoccupe ?

Des écrits sur le mur d’El Mansourah (F.M. / TSA ©)


La bibliothèque d’Oran « habitée » par les pigeons

Après Tlemcen, destination Oran. La ville paraît être un chantier ouvert surtout vers la sortie Est à côté du quartier Akid Lotfi. À côté des hôtels, Le Meridien, Le Sheraton, Four Seasons, Ibis, des immeubles poussent à un rythme rapide. Ici, il n’y a visiblement pas de crise de foncier.

La ville, qui sera capitale des 19es Jeux méditerranéens en 2021, va bientôt changer de visage. C’est probablement une occasion en or pour relancer le tourisme à Oran où l’activité semble battre de l’ail.

« Oran a été fondée au Xe siècle (vers 902). Elle est plus récente que Tlemcen et plus ancienne qu’Alger. Oran garde un caractère européen sur le plan architectural. Elle connait un vrai métissage. Après l’indépendance, les derniers européens à avoir quitté l’Algérie étaient à Oran. Même les juifs y sont restés assez longtemps, jusqu’au début des années 1970 », souligne Toufik Timimoun, guide touristique.

Selon lui, il est toujours difficile de faire venir des touristes à Oran en raison des complications liées à l’obtention des visas. Le visa algérien a la réputation « mondiale » d’être difficile à obtenir. Toufik Timimoun nous fait visiter la bibliothèque communale d’Oran, à côté de la place du Premier Novembre, installée dans l’ex-Cathédrale du Sacré Cœur, au Boulevard Hammou Boutlélis. Cette bâtisse de style romano-byzantin, construite entre 1904 et 1913 par l’entreprise des frères Perret, a été transformée en bibliothèque communale en 1996, après accord avec l’Eglise catholique en Algérie.

Cathédral du Sacré Coeur d’Oran (F. M. / TSA ©)


Pour y accéder, il faut passer par une barrière en fer, située en haut de l’escalier, qui semble n’avoir aucune utilité. À l’intérieur, le silence est presque complet. Un agent d’accueil est « plongé » dans son smartphone. Au fond, des femmes de ménages discutent entre elles, deux jeunes filles lisent des documents.

Les tables sont vides, certaines sont poussiéreuses à vue d’œil, comme si les lieux n’avaient pas été nettoyés depuis longtemps. La bibliothèque est-elle fréquentée ? « Oui, en période d’examens », répond Toufik Timimoun. Et le reste de l’année ? Des pigeons commencent à roucouler, d’autres à frapper des ailes. La bibliothèque d’Oran est habitée par ces volailles qui ne manquent pas, bien entendu, de laisser des traces sur le sol.

À l’autre côté de la cathédrale, des sièges sont couverts des excréments de pigeons et de poussière alors que le cathèdre a disparu. Bien entretenue, la bibliothèque !

Cathédral du Sacré Coeur d’Oran (F. M. / TSA ©)


La basilique de Santa Cruz en travaux

La pluie fine n’empêche pas le groupe de continuer le circuit touristique et se diriger vers les hauteurs d’Oran, l’Aïdour, la montagne qui domine Oran. Ici, la vue est formidable. Le bleu azur, qui vire vers le gris à cause de l’orage, déteint sur une ville partagée entre le blanc, le bleu et le gris clair. La chapelle de Santa Cruz est fermée à cause des travaux de rénovation qui y sont menés depuis presque deux ans par l’Association diocésaine d’Algérie et la wilaya d’Oran. Et, pour ne pas faillir à la règle, aucune date n’a été donnée à l’achèvement des travaux.

Aux alentours, pas âme qui vive. Pas de restaurants, ni cafés, ni boutiques. L’espace ne manque pas pourtant dans cet endroit montagneux, mais les idées semblent faire défaut. La promotion du tourisme à Oran ? Ce n’est pas pour demain !

Chapelle de Santa Cruz (F. M. / TSA ©)

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