Économie

L’électrochoc nécessaire au développement des énergies renouvelables en Algérie

CONTRIBUTION. L’appel d’offre « appel à investisseurs » tant attendu de 1000MW (1GW) de Photovoltaïque est sorti et le cahier des charges est enfin prêt.

Un nouveau cap dans le mix énergétique algérien est en marche, et prévoit un objectif de 20GW à l’horizon 2035 à un rythme de 1GW par an dont 15GW de projets photovoltaïques.

Cependant, nous n’en sommes qu’au tout début de notre courbe d’apprentissage et plusieurs prérequis sont nécessaires. Beaucoup d’aberrations persistent et notre pays doit encore travailler dur pour rejoindre les grandes nations en concrétisant les nombreuses retombées attendues, aussi bien économiques qu’industrielles : la création d’une chaîne de valeur intelligente, l’augmentation  de nos exportations de gaz et surtout l’accomplissement des engagements de notre pays en matière d’émissions carbone.

Dr Mouloud Bakli fait partie de la diaspora algérienne active dans les grands projets d’énergie renouvelables internationaux. Dans cette contribution, il s’agit de donner du benchmark, une analyse et un regard critique et constructif de cet événement important, avec un éclairage sur les préalables et aberrations qui doivent être immédiatement levées, ainsi que sur le sujet stratégique du contenu local …

L’appel d’offre est enfin sorti…

Tout d’abord, c’est un premier challenge énorme d’avoir pu finaliser et sortir cet appel d’offre « appel à investisseurs » qui fera appel à des producteurs indépendants d’énergie décarbonée. C’est un travail complexe qui demande que plusieurs ministères s’alignent sur un contrat dit PPA (Power Purchase Agreement). Bravo pour ce pari tenu !

A priori, plusieurs investisseurs de rang Tier 1 ont retiré le CDC. Nous nous attendons et espérons à la fois atteindre des prix du KWh très bas mais aussi donner enfin la bouffée d’oxygène que le tissu industriel, déjà prêt depuis plusieurs années, attend avec impatience.

C’est également un soulagement, certes, mais empreint d’une grande prudence et de nombreuses interrogations sur le sujet critique de la « bancabilité » du projet. En effet, l’écosystème n’est pas encore tout à fait optimum dans notre pays… Ce n’est pas la taille du projet qui est un challenge mais le fait d’aborder un domaine qui requiert la maîtrise financière de ce type de projet, avec toutes les complexités et la spécificité des mécanismes associés.

Les investisseurs espèrent surtout que le PPA soit « bankable » et me suis déjà exprimé plusieurs fois sur ce sujet : en bref, le contrat doit répondre aux exigences et normes internationales en matière de contrat d’achat long terme pour protéger chacune des parties, y compris les bailleurs de fonds et DFI’s (Institutions Internationales Financières comme la SFI, BERD, BAD…)

La bancabilité sera probablement le point qui fera le plus débat dans les semaines ou mois à venir ! Le rôle de Shaems, en sa qualité de « guichet unique » sera justement d’écouter et travailler de concert avec les investisseurs pour les aider à avancer sereinement dans la préparation des offres.

Financement et notion de Project finance, le développement de projet sur fonds propres versus la dette générée… Les blocages et freins rencontrés actuellement en Algérie

C’est justement le sujet qui a énormément bloqué ou retardé l’Algérie, pour les raisons suivantes :

– Confusion entre l’endettement de l’Etat et l’endettement du privé au travers d’une SPV (société de projet) qui a souvent une dette sans recours. Donc, apporter des financements de projets solaires n’implique pas que l’État s’endette. Par ailleurs, la garantie souveraine peut être adaptée et faire que ce soit le projet lui-même qui soit la garantie.

– Fonds propres versus Dette : je pense que l’Algérie est le seul pays au monde à vouloir faire des projets EnR en « Full Equity », soit 100% sur fonds propres, alors que le pays les plus riches du monde essaient de minimiser la part de fond propre et maximiser la dette, celle-ci ayant atteint des taux proches de zéro (en fonction de l’écosystème…)

– Vouloir faire des projets EnR de grande capacité (100-500MW) en 100% fonds propres est un crime contre l’économie d’un pays et révèle au monde extérieur notre amateurisme dans le sujet.

Certains opérateurs privés ont écrit que cet appel d’offre a été rédigé et pensé pour les opérateurs étrangers et non pas nationaux… Qu’en est-il ?

Ma lecture est très simple : ceux qui pensent ça n’ont pas bien compris le mécanisme des IPP.  En fait, c’est exactement l’inverse qui va se produire, ouvrir nos projets solaires aux investisseurs étrangers va permettre de faire travailler l’industrie locale privée via les investissements étrangers, avec un poids économique sur l’état quasi nul.

Importance d’un choix intelligent des segments cibles à forte valeur ajoutée… Où en sommes-nous réellement en Algérie ? Que devons-nous mettre en place ?

S’il y a un volet où l’Algérie a vraiment fait un travail important, c’est dans le secteur privé du contenu local.

Néanmoins, il persiste toujours « l’aberration » de la taxe sur les intrants et sur les matières premières pour les fabricants de modules, sujet sur lequel nous avons tiré la sonnette d’alarme dès 2016. Résultat : 6 ans plus tard, la compétitivité de nos fabricants de panneaux solaires locaux est assez improbable.

En clair, nous devons choisir les segments à forte valeur ajoutée (minimum 10% du coût total) et pas très complexe à mettre en œuvre, sans contraintes de Propriété Intellectuelle.

C’est le cas des modules PV (35% du coût), des structures métalliques et trackers (10-11% du coût), du câble (10-12% du coût), et ce sont d’ailleurs aussi les tendances de contenu local dans les pays qui réussissent une intégration industrielle intelligente : Inde, Turquie, Tunisie, Afrique du Sud…

Le contenu local aura certainement un impact sur le coût du KWh mais nous devons aborder ce sujet dans sa globalité et avec une vision de création de richesse. L’Algérie ne peut pas lancer 15GW sans lancer une industrie pérenne, prête à être exportée vers l’Afrique, sans oublier le très fort levier de création d’emplois sous-jacents.

Qu’en est-il du projet d’usine d’onduleurs annoncé en grandes pompes il y a quelques semaines ?

L’usine annoncée est un crime contre notre économie, un abus de biens publics, basé et justifié sur de fausses hypothèses : si on choisit de se servir chez le top 5, le coût des onduleurs ne représente guère plus de 3% du coût total !

Le chiffre erroné de 20% du coût a été avancé à nos décideurs pour justifier l’implantation d’une usine, de plus avec des fonds publics, et c’est tout simplement honteux.

Plus aucun pays au monde ne finance d’usines de quoi que ce soit dans la chaîne de valeur EnR. Il semblerait malheureusement que nous ne capitalisions pas assez sur nos expériences passées, car ce projet n’est pas sans rappeler le fameux ou fumeux projet d’usine de Rouiba Éclairage, stoppé de justesse grâce à la mobilisation de notre diaspora.

La principale conséquence de ce projet sera d’empêcher les acteurs internationaux et locaux de s’approvisionner chez les références du domaine, ce qui est totalement contreproductif et nuira gravement à la compétitivité du prix du KWh.

Nous l’avions souligné à maintes reprises dans nos recommandations : Assembler des onduleurs en Algérie ne représente aucun intérêt, ni économique ni technologique, et constitue même un abject gaspillage des biens publics.

En revanche, si un fabricant d’onduleurs souhaite investir en Algérie avec ses propres fonds, la démarche devra être encouragée. Pour clore ce sujet, je partagerai une donnée qui parlera plus que tous les mots : il n’y a aucune usine aux Émirats arabes unis, leader de la compétitivité du prix du KWh, où le 3e GW vient d’être lancé…

Les segments de qualité disponibles en Algérie

Sur l’élément principal d’un projet solaire, le panneau lui-même, nous recensons actuellement une capacité de 435MW/an (3 usines) installée aux standards internationaux en cours de certification UL/TUV. Ces usines sont en cours d’upgrade – mise à jour pour évoluer vers les technologies M6/M10 et produiront des panneaux de 440Wp-550Wp-600Wp.

A ces installations déjà existantes, 2 autres usines de capacité cumulée à 300MW (2 fois 150 MW) annuelle, directement en technologie M10, sont en cours de déploiement.

Donc, si les choses avancent bien, nous devrions avoir plus de 800MW de capacité disponible d’ici fin 2022. Toutes les usines algériennes sont capables de produire des modules avec les technologies (HalfCutCell), moitié de cellule et bifacial.

Les institutions publiques doivent encourager et stimuler les futurs potentiels investisseurs à travailler avec les producteurs locaux pour rendre leurs panneaux bancables. Cela a déjà été fait ailleurs avec succès.

Côté intrants, il y a eu un important travail analytique de fond avec notre diaspora et il est prévu que, d’ici 2023, 10GW de verres solaires seront produits en Algérie, dont 1GW pour le marché local et 9GW pour l’export.

Sur le même site est prévue également la production d’environ 1GW de EVA /An, d’ici fin 2022. Raisonnablement, nous devrions atteindre environ 30-35% d’intrants made in Algeria : Verre, Cadre Alu, EVA, Boite de Junction,

Pour les structures métalliques, nous avons actuellement environ 700MW-1000MW de capacité annuelle de production, avec déjà de belles expériences et référence d’export.

D’ailleurs, même la technologie de trackers devrait être intégrée par un opérateur algérien d’ici le 2e trimestre 2022.

Impacts chiffrés attendus à travers ce premier 1000MW

Sur la base des standards internationaux, pour chaque GW solaire non installé est un manque à gagner pour l’Algérie de plus d’un demi millions de $ par jour ! (Soit 0,56 M$ : augmentation des recettes d’exports Gaz, valorisation CO2, suppression de la subvention sur le prix de l’électricité et en bonus environ des dizaines de milliers d’emplois direct et indirect).

Les chiffres record du prix du KWh obtenus par exemple au Moyen-Orient sont souvent dans des tailles minimums, de 700MW à 1000MW, dans des écosystèmes optimums qui rassurent l’investisseur et autorisent donc des taux d’endettement extrêmement bas (toujours sans la moindre usine d’onduleurs…)

Conclusion / Recommandations

Notre premier 1000MW a été lancé, et c’est un premier jalon, une date historique, mais ne nous reposons pas sur nos acquis : il nous reste beaucoup plus de travail à accomplir que ce qui a déjà été fait.

– La bancabilité sera inévitablement au centre des débats dans les jours qui viennent.

– Il est essentiel de continuer à soutenir les initiatives de contenu local intelligent, ciblé, mené par les acteurs privés, sans mobiliser les fonds publics (encore une fois, aucun pays au monde ne finance des usines dans les EnR sur des fonds publics)

– L’Etat n’a rien à faire dans la manufacture de la chaîne de valeur ; ceci est l’héritage d’une pratique ancestrale et obsolète des ex-pays de l’Est. Une usine d’onduleur en Algérie est juste une énorme aberration et un inadmissible gaspillage de fonds publics.

– Le solaire est une aubaine pour l’Algérie, et nous devons la saisir pour rejoindre les grandes nations. Les impacts et bénéfices sont multiples : plus de 0.5 millions de dollars de manque à gagner par jour et par GW, création de plus de 20 à 30 milles emplois par GW, développement d’un important tissu industriel, de nombreux éléments de la chaîne de valeur et de savoir-faire représentant une forte valeur à l’export… Et enfin, cette chance d’être un leader africain des énergies renouvelables, sans oublier notre devoir de réduction de nos émissions carbones dans une planète qui sonne l’alarme.

*Dr Mouloud BAKLI, CEO de Clean Power Engineering à Dubaï, et aussi très actif dans la sphère algérienne des EnR depuis 2014, même si ses activités sont centrées au Moyen-Orient et en Afrique. Il est par ailleurs conseiller en stratégie EnR pour plusieurs pays et accumule plusieurs réalisations industrielles dans le photovoltaïque et la production de jet fuel (hydrogène vert pour l’aéronautique).


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