Politique

L’énigmatique retour de deux walis

Abdelhakim Chater est de retour. Dans la liste des nouveaux walis, rendue publique jeudi soir par l’ENTV, Abdelhakim Chater est désigné wali de Tizi Ouzou en remplacement de Mohamed Bouderbali qui n’a pas été retenu dans le mouvement partiel dans le corps des walis et des walis délégués opéré par le président Abdelaziz Bouteflika et qui a touché dix huit wilayas.

Le come-back de Abdelhakim Chater, avec celui d’Ahmed Maabed, ex-wali de Mostaganem, constitue une surprise et ouvre la voie aux interrogations sur les critères de nomination et de limogeage des walis. Idem pour les paramètres de rotation des walis entre les différentes wilayas et la durée d’un mandat de wali.

En 2016, Abdelhakim Chater, alors wali de Skikda, a été limogé quelques jours après avoir tenu des propos qualifiés de « choquants » à l’égard des Moudjahidine en décembre 2016.

S’adressant à d’anciens combattants de la guerre de libération nationale, il avait déclaré, lors d’un déplacement sur le terrain : « Quand les milliards (de centimes) étaient débordants, vous avez pris votre part ». « Nous n’avons rien pris », répliquaient des présents. « Wallah, vous avez pris beaucoup de choses. Dites-moi c’est quoi ? ». « Nous n’avons rien pris », insistaient les présents. « Vous avez pris l’indépendance. Cette indépendance a été arrachée par les chouhadas, pas par vous. Vous profitez de la terre sur laquelle vous êtes debout, dites Merci à Dieu. Il y a des peuples qui subissent toujours l’occupation », répondait le wali.

Comment « parler » en public ?

Ces déclarations, répercutées sur internet par une vidéo, ont suscité un tollé au sein de « la famille révolutionnaire » et divisé les rangs dans les réseaux sociaux. Certains ont estimé que Abdelhakim Chater a porté atteinte à l’image des Moudjahidine et à leur combat contre la colonisation française. D’autres ont, par contre, relevé que le wali de Skikda a dit tout haut ce que beaucoup de monde pensait tout bas sur l’ampleur « des privilèges » pris par les anciens combattants et leurs ayants droits.

La présidence de la République n’a pas tenu compte de ce débat et mis fin aux fonctions d’Abdelhakim Chater, au même moment que Ould Salah Zitouni, wali de Béjaia, devenu célèbre par son langage franc et ses éclats de colère.

Ces limogeages qui font suite à des déclarations ou à des attitudes en public des walis, comme ce fut le cas dernièrement pour le wali de Blida, repose la question de la marge laissée aux walis de parler ou de ne pas parler devant les citoyens qui les interpellent dans les endroits ouverts, faute de pouvoir accéder aux bureaux, souvent capitonnés et éloignés des regards.

Il est connu que dans plusieurs régions les walis et les chefs de daira sont inaccessibles y compris pour les correspondants locaux de presse (dans un précédent discours devant les walis le président Abdelaziz Bouteflika lui-même a reconnu cette situation). Et, lorsque les walis sortent pour des « visites d’inspection », ils sont directement interpellés par les citoyens.

Face à cette « communication directe et spontanée », les walis, parfois peu rompus aux techniques de la prise de parole en public, perdent leurs mots, versent dans le dérapage verbal ou se mettent en colère rapidement. Dernièrement, Abdelkader Zoukh, wali d’Alger, s’est emporté devant une femme qui se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un logement alors qu’elle vit dans un endroit précaire. « Je n’aime les cris et les pleurs », a crié le wali d’Alger pour repousser la plaignante.

Réhabilitation

Cela dit, la réhabilitation de Abdelhakim Chater introduit un nouvel élément dans la gestion professionnelle des carrières au niveau de l’administration publique et dans « le mode » adopté pour la sanction.

Chater a-t-il commis une erreur en parlant ouvertement des privilèges des Moudjahidines (un débat qui avait éclaté au début des années 1990 et vite étouffé) ? Oui, parce qu’il a été sanctionné par la mise à l’écart sur décision présidentielle. Son retour aux commandes d’une autre wilaya signifie-t-il « la fin » de la sanction ? Ou s’agit-il d’un simple jeu de chaises musicales qui reprend sous une autre forme par « manque » de remplaçants à quelques mois de l’élection présidentielle ? Depuis 2013, Abdelhakim Chater a dirgé quatre wilayas : Tamanrasset (pendant 14 mois); Ghardaia (pendant 39 jours), Oum El Bouaghi (pendant deux ans et deux mois) et Skikda (pendant quatorze mois). Quatre wilayas en cinq ans ! Comment expliquer alors cette «instabilité »? Un wali peut-il réussir ses projets et relancer le développement social et économique s’il ne reste que quelques mois dans une wilayas? La gestion de Abdelhakim Chater de la wilaya de Skikda, où il a découvert l’ampleur des dégâts et des malversations dans le foncier et dans l’immobilier, n’a pas été évoquée. Ses propos sur les Moudjahidine ont tout caché.

 

Les walis sont-ils jugés sur la base de leurs bilans?

Nommé à la tête de la wilaya de Béjaia, en remplacement de Toufik Mezhoud, désigné à Annaba, le retour de Ahmed Maabed paraît, lui, plus problématique. L’ex-wali de Mostaganem a été évincé suite à des écrits de presse et de plaintes, émanant de citoyens et d’entrepreneurs, sur l’ existence de cas de corruption et de pots de vin au sein de la wilaya.

Aucune poursuite pénale publique n’a été engagée depuis. Formé à l’ENA, École nationale d’administration, Ahmed Maabed a occupé les postes de wali délégué d’Hussein Dey, à Alger, et de walis de Jijel et d’El Tarf avant d’être nommé à Mostaganem, puis limogé, sans explications. A-t-il été victime de manipulations locales? De règlements de comptes entre groupes d’intérêt?

Son retour ressemble, comme pour le cas d’Abdelhakim Chater, à une réhabilitation et à « une relance » de carrière. Cela amène inévitablement à d’autres interrogations : les walis sont-ils jugés sur la base de leurs bilans? A qui le wali doit-il présenter un bilan ? Qui a le pouvoir de contrôler l’action d’un wali en continu ? Si un wali échoue dans une wilaya pourquoi est-il nommé dans une autre wilaya? A quoi sert l’APW, censée être un parlement local?

Le mouvement partiel des walis du jeudi 27 septembre confirme autre chose aussi : « le complexe » d’un ministre qui devient wali n’existe plus. Ministre du Commerce pour deux mois dans le gouvernement Abdelmadjid Tebboune en 2017, Ahmed Abdelhafid Saci, 61 ans, retrouve le poste de wali, après un passage à vide. Il est nommé à la tête de la wilaya de Sidi Bel Abbes. Ahmed Abdelhafid Saci a été déjà wali à Adrar et Tlemcen. Youcef Chorfa, ministre de l’Habitat dans le gouvernement Tebboune, quitte Annaba, où il est resté plus de six ans, pour diriger la wilaya de Blida, une wilaya où le poste de wali ressemble à un siège éjectable.

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