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Les chefs de la Révolution : jeunes, peu instruits, mais braves !

Les chefs de la Révolution : jeunes, peu instruits, mais braves !

Chronique livresque. Dans « Histoire intérieure du FLN 1954-1962 »*, Gilbert Meynier nous offre un tableau, le plus exhaustif possible, sur les allées et les coulisses du vieux parti.

Ce pavé de 800 pages fourmillant d’informations parfois inédites et utiles par les temps qui courent, mérite qu’on s’y attarde. De ce fait, nous allons le présenter en plusieurs chroniques.

Moyenne d’âge : 32 ans

À l’heure où plus de la moitié des 42 millions d’Algériens a moins de 25 ans, il est utile de connaitre la moyenne d’âge des hommes de la Révolution. Étaient-ils de vieux messieurs perclus de rhumatismes ? Que nenni, nous dit l’auteur : la moyenne d’âge des 9 chefs historiques du FLN était de 32 ans. Oui, 32 ans. Rappelons leurs noms pour ceux qui les ignorent : Boudiaf, Ben M’Hidi, Didouche, Ben Boulaid, Bitat, Krim, plus les 3 autres chefs de l’extérieur : Ben Bella, Ait Ahmed, Khider. Quant aux 29 chefs des wilayates et membres de l’état-major, la moyenne d’âge est encore plus jeune : 29 ans, presque des adolescents.

L’auteur cite quelques exemples notamment celui de Boumediène : « Colonel commandant in absentia la W5 en 1957 à 25 ans, il fut chef du Commandement opérationnel militaire Ouest à 26 ans et chef de l’état-major en 1960 à 28 ans ! ».

Quant à l’origine sociale des 9 historiques, hormis Didouche Mourad, qui peut être considéré comme un citadin de la petite bourgeoisie commerçante algéroise même si sa famille est originaire des montagnes de Kabylie, comme le précise l’auteur, tous les autres sont des ruraux. « On ne peut pas dire qu’il y ait dans ce groupe des neuf, grande homogénéité de profils sociaux ». Seul Ben Boulaid, détenteur d’un certificat d’études, propriétaire d’une petite minoterie et d’une petite entreprise de transport par autocars peut être défini comme un « bourgeois » par rapport aux huit autres.

Quant à la pratique de la langue, seuls Ait Ahmed et Khider sont de bons arabisants, le premier a étudié l’arabe au lycée alors que Khider s’est perfectionné au Caire. Quant à Ben M’Hidi son niveau en arabe est élémentaire. L’auteur précise qu’en 1954 les deux tiers des gens ne sont pas instruits en arabe, et ceux qui le sont n’ont d’ordinaire que des rudiments du Coran. Et 85 % des enfants ne sont pas scolarisés en français. « A des degrés divers, les neuf sont acculturés à la française : par l’école et l’insertion dans les rouages coloniaux-économiques, militaires, ou bureaucratiques ».

Le français, langue du Congrès de la Soummam

Si pour les 9 historiques, seul Ait Ahmed peut se targuer d’avoir poussé ses études jusqu’à la première partie du bac en maitrisant aussi bien l’arabe que le français. Pour les 29 chefs militaires « les trois cinquièmes en sont restés à une instruction primaire. Le quart à un niveau secondaire, 13,8% possède un niveau supérieur. À une réserve près pour le colonel Hadj Lakhdar Abidi que certaines sources disent illettré ou, du moins, très peu lettré, il n’y a pas parmi les 29 aucun analphabète, et plus d’un tiers d’entre eux ont tout de même dépassé le primaire. Rien à voir, donc, avec la masse algérienne, majoritairement illettrée ».

Quelle langue parlent-ils ? Pour les deux tiers des colonels, c’est le Français alors qu’un tiers a l’arabe pour langue écrite. Ce qui pousse Meynier à préciser : « Ce qui indique que les analyses catastrophistes de l’époque sur la disparition de l’arabe sous l’impact colonial et sur la dépersonnalisation doivent être quelque peu nuancées. De fait, dans toutes les wilayas (…), il y pratiquement toujours un secrétariat en arabe à côté du français ».

En outre, il note que la wilaya 1 (Aurès Nememcha) et dans la 6 (Sud), l’arabe est la première langue de travail. Dans l’Oranie, hormis les gradés, le reste utilise l’arabe plus que le français. À titre d’exemple, la langue utilisée dans les débats du Congrès de la Soummam est le français et enregistré en arabe par un officier. A contrario, les colonels arabisants ayant un niveau supérieur (Boumediène, Kafi, Lamouri) sont en plus grand nombre que les francophones où l’on ne compte que Si Hassan (Youssef Khatib, de la wilaya 4, ancien interne en médecine à Alger. )

La bravoure ne dépend pas du niveau d’instruction

Par région, l’auteur observe que les Constantinois ont plutôt un meilleur niveau que les Kabyles, les Algérois ou les Oranais. Question que beaucoup d’Algériens se posent sans doute : le niveau d’instruction détermine-t-il la bravoure sinon le sens du commandement et la vision? Pour Meynier, il n’y a aucune relation, à quelque nuance près, entre le niveau d’études et la valeur militaire.

« Amirouche et Si M’hamed sont de niveau primaire, et militairement ils se situent plutôt au-dessus de Si Hassan. De même si Othmane – ouvrier agricole à l’origine – souffre largement la comparaison avec Boumediène : authentique militant du MTLD originel, il est un chef méthodique que ses hommes surnomment « le juste » alors que d’après plusieurs sources, le manieur d’hommes Boumediène aurait été réputé avoir parfois la main lourde à l’égard des junud (simples soldats) ».

L’histoire hélas, n’a retenu que le nom de Boumediène alors que le colonel Othmane n’est révéré que dans l’Oranie ainsi que par certains compagnons d’armes. Aux humbles, aux justes, la patrie reconnaissante.

On le voit, ni les études, ni la naissance ne sont déterminants dans l’engagement. Ce qui fait la différence, c’est le caractère et cette spécificité, ne s’acquière pas, on l’a ou on ne l’a pas. Nous avons bien dit le caractère et non l’intelligence qui annihile souvent l’action en poussant à l’infini la volonté dialoguiste. Exemples : Ben Badis et Abbes qui n’ont manqué ni d’instruction, ni d’intelligence. Pourtant, quand l’heure de Novembre sonnera, aussi bien les notables Oulémas que le démocrate Abbes seront à la traine des 9 chefs historiques qu’ils auraient peut-être regardés de haut dans d’autres circonstances. À l’instar de Debaghine et Mehri qui ont refusé, au départ, d’être à la tête du FLN.


*Gilbert Meynier
Histoire intérieure du FLN
Casbah Editions
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