Économie

Les difficultés s’accumulent pour les producteurs algériens de tomates

Les difficultés rencontrées par les producteurs algériens de tomates s’accumulent. Mostefa Mazouzi, président du Conseil de filière, est inquiet.

Il ne mâche pas ses mots : « Après 4 ans de zéro importation de triple et double concentrés, les problèmes rencontrés par nos opérateurs, producteurs et conserveurs, vont contraindre notre pays à revenir à l’importation ».

À l’appui, il publie sur les réseaux sociaux un histogramme des importations algériennes de concentré de tomate. Des importations annuelles autour de 30 000 tonnes avec un pic à 60 000 tonnes en 2015 puis avec un arrêt à partir de 2020 suite à la décision des pouvoirs publics d’encourager la production nationale.

Concentré de tomate : une filière dynamique

En Algérie, s’il y a bien une filière dynamique en agriculture, c’est sans aucun doute celle de la tomate de conserve. Aussi, la mise en garde de Mostefa Mazouzi est d’autant plus étonnante. L’époque des rendements de 350 quintaux par hectare est révolue, ils ont plus que doublé.

Depuis longtemps la filière a fait sa mue et est passée aux semis d’hiver sous serre avec repiquage de plein champ. Des repiquages optimisés par la pose conjointe de gaines d’arrosage pour irrigation par goutte à goutte et de film plastique protégeant les plants contre les mauvaises herbes. Certaines exploitations ont introduit le repiquage mécanisé.

Quant aux variétés utilisées, les planteurs font aujourd’hui appel à des hybrides particulièrement productifs.

Lors de journées de démonstration, il est fréquent de voir les techniciens inviter les agriculteurs dans des champs proches de la récolte et procéder au pesage des tomates produites par un seul pied. Le résultat est éloquent, la plupart du temps cette production remplit une caisse plastique soit près d’une vingtaine de kilos.

Ingénieur agronome et agriculteur, Mostefa Mazouzi possède une longue expérience dans le milieu agricole et ne s’en laisse pas compter.

Parmi les griefs du président du Conseil national interprofessionnel de la filière tomate (CNIFT) figurent : retard de paiement de la prime de soutien, inflation des intrants dont les engrais et les produits phytosanitaires, sous-estimation du coût de cession du produit aux conserveries, manque de financement par les banques et insuffisance de l’eau d’irrigation.

Une banque coopérative au profit des agriculteurs

Pour chacune de ces questions, le CNIFT avance des propositions. L’intérêt des conseils de filière est de permettre aux agriculteurs et opérateurs du même secteur d’être reconnus comme interlocuteurs auprès des services agricoles.

Le CNIFT est particulièrement actif même si certaines des propositions avancées sont classiques comme par exemple celle « d’exonérer l’agriculteur des taxes et particulièrement la TVA » face à l’inflation des intrants.

Par contre d’autres sont plus originales comme celle de recourir à la finance islamique ou de faire jouer le rôle de banque à la Caisse nationale de mutualité agricole (CNMA).

En mars 2020, Cherif Benhabyles, le directeur général de la CNMA avait « envisagé de créer prochainement une banque privée au profit des agriculteurs et éleveurs« .

Pour Ali Daoudi de l’École nationale supérieure agronomique (Ensa), auteur en 2016 d’une étude sur le financement informel du secteur maraîcher, le financement bancaire reste très faible en Algérie.

En 2012, celui-ci ne représentait que 9,6 milliards DA pour près de 20 milliards de dollars de valeur ajoutée produits par l’agriculture. Circonstances aggravantes, dans le cas de la filière maraîchère, le financement informel joue un rôle central.

À la mi-mars, le premier ministre Aïmene Benabderrahmane avait indiqué que toutes les banques étaient concernées par le financement en agriculture. Il avait mis en garde contre tout refus de financement des dossiers des investisseurs agricoles remplissant les conditions exigées.

La délicate question des primes

Concernant les retards de paiement, le président du CNIFT propose d’aller vers « une agriculture contractuelle » ou de nouveaux contrats de transaction entre producteur et propriétaires des conserveries.

L’originalité des propositions concerne également la question de l’insuffisance de l’eau d’irrigation. Pour le Conseil de filière de la tomate, la balle est dans le camp des producteurs.

Il leur est proposé « d’augmenter les rendements et diminuer les surfaces cultivées » ce qui n’est pas moins qu’une remise en cause des façons de faire actuelles.

Mostefa Mazouzi déplorait le retard de paiement des agriculteurs par les conserveurs. Le dispositif actuel prévoit l’attribution d’une prime de soutien à l’agriculteur de 4 DA par kilo livré.

La prime était associée au paiement par la conserverie de 12 DA par kilo de tomate livré, et ce n’était qu’après que l’Office national interprofessionnel des légumes et de la viande (ONILEV) versait la prime de 4 DA.

De leur côté les conserveries bénéficient également d’une prime de 1,50 DA par kilo transformé. Une politique de soutien à la filière qui a un coût pour les finances publiques, le montant total des primes est estimé à 12,6 milliards DA en 2021. Afin d’éviter tout retard en cascade, le CNIFT a obtenu que ces paiements soient dissociés l’un de l’autre.

Le retard dans le versement des primes et du règlement de leur récolte décourage les agriculteurs dans un contexte de hausse des frais de culture.

« Tout a augmenté », déclarent de nombreux agriculteurs.

CNIFT, vers plus de productivité

La productivité n’a cessé d’être améliorée. En 2013, la moyenne de rendement se situait à 350 quintaux de tomates par hectare contre 800 quintaux en 2021. À l’étranger, dans les cas les plus favorables, le rendement atteint 1000 quintaux.

Cette forte progression est liée à la modernisation des techniques utilisées aussi, les progrès ultérieurs devraient être moins aisés.

Des marges de progrès existent cependant dans la lutte contre les ravageurs liés au retour trop fréquent de la culture de tomate sur les mêmes parcelles et contre l’utilisation irrationnelle des engrais.

Le fort attrait des parcelles ayant été cultivées en tomates pour ensuite être utilisées en céréales indique une propension à la surfertilisation.

Une autre piste pour faire face à la hausse des coûts de culture et réduire les coûts de main d’œuvre : la mécanisation. Des exploitants se sont équipés en matériel de repiquage et de récolte avec à la clé de substantiels gains financiers.

Forte progression de l’irrigation au goutte-à-goutte

L’accroissement des rendements a été accompagné d’une plus grande efficacité de l’irrigation. C’est le cas dans la wilaya de Guelma où depuis 2016, l’irrigation au goutte-à-goutte concerne une grande partie des surfaces.

Une évolution liée aux opérations de sensibilisation des services agricoles et de leurs partenaires. Une réussite permise par des incitations et l’obligation de s’adapter aux restrictions en eau.

Cette révolution pourrait être accompagnée par une autre, celle de l’agriculture de précision préconisée par le spécialiste en hydraulique Brahim Mouhouche de l’Ensa.

Le principe consiste à installer des tensiomètres. Ces appareils peu coûteux sont constitués d’un cadran indiquant l’humidité du sol grâce à une tige enfoncée dans la terre.

Ils permettent d’arrêter l’irrigation dès que les besoins de la plante sont satisfaits et évitent tout gaspillage d’eau. Actuellement en Algérie, bien que l’agriculture utilise plus de 70 % de la ressource en eau, pratiquement aucun des irrigants ne disposent de ce type d’appareil dont le prix ne dépasse pas 50 euros (10.000 dinars) à l’étranger.

En Italie et en Espagne, une forte productivité

Dans la zone méditerranéenne, les filières de la tomate les plus dynamiques sont celles d’Italie et d’Espagne. Dans ce dernier pays, en 20 ans, les rendements sont passés de 90 tonnes/hectare à près de 100 tonnes.

Les financements européens ont permis aux exploitations des investissements dans l’irrigation et la fertilisation localisée. Un autre facteur qui a été déterminant dans l’augmentation de la productivité concerne l’utilisation de variétés plus productives.

Confrontés à une crise de la disponibilité en eau, les producteurs espagnols de tomates se sont familiarisés avec l’emploi de tensiomètres.

Les progrès réalisés sont liés également à la mise sur pied d’un réseau de techniciens spécialisés et la création d’un centre de recherche financé par les conserveries de tomate. Ce centre dispose d’une ferme expérimentale, d’une usine pilote et de laboratoires.

Les résultats obtenus ainsi que ceux des principaux organismes de recherche sont publiés sur un site Internet unique « l’Observatoire de la tomate », accessible à tous les agriculteurs.

Pour la filière algérienne de la tomate, autant de pistes d’amélioration afin d’éviter de recourir aux importations.

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