Politique

« Les fantômes des années 1990 pèsent toujours sur le débat en Algérie »

Hannah Armstrong est consultante et chercheuse à l’International Crisis Group (ICG), centre d’analyse internationale basé à Bruxelles. Diplômée de la London’s School of Oriental and African Studies (École de Londres des études orientales et africaines), elle a travaillé pendant trois ans sur l’Algérie. Elle a contribué à la préparation du dernier rapport de l’ICG, publié en novembre 2018, sous le titre : « Surmonter la paralysie économique en Algérie ». Entretien.

Vous avez contribué au dernier rapport de l’International Crisis Groupe sur l’Algérie consacré à l’économie. Un rapport qui a suscité un vif débat. Comment voyez-vous le futur en Algérie ?

Les gens se sont malheureusement concentrés sur un passage d’un rapport de vingt-quatre pages relatif à l’émergence d’une crise en Algérie en 2019 dans le cas de l’effondrement des réserves de change. Ce n’était pas du tout l’objectif du rapport ni son message. Nous sommes conscients que l’Algérie est toujours dans une position de confort et peut même contracter des crédits extérieurs.

Le rapport examine la politique des réformes économiques, rappelle que l’Algérie a adopté une politique de diversification économique pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures. C’est une situation extrêmement vulnérable. L’Algérie le savait déjà depuis les années 1970. Boumediène avait entamé un programme de diversification ambitieux. Depuis les années 1970, l’Algérie est dans une phase de désindustrialisation. Mais les fantômes des années 1990 pèsent toujours sur le débat en Algérie.

Comment ?

Ce qui s’est passé en Algérie, au début des années 1990, était la conséquence de la chute des prix du pétrole à partir de 1986. Cela a provoqué des tensions sociales et des problèmes politiques. C’est, encore, une preuve de la fragilité liée à la dépendance au pétrole.

Depuis 2015, les autorités algériennes parlent, elles-mêmes, de crise. Bouteflika et Sellal ont évoqué publiquement la crise économique. Une façon de dire qu’on est dans le besoin d’engager des réformes économiques.

Le rapport de l’ICG cherche à expliquer la politique de ces réformes. Aujourd’hui, au niveau de la société algérienne, des syndicats et du secteur privé, il y a un consensus sur la nécessité de diversifier l’économie. Cela implique une industrialisation du pays et une place plus grande pour le secteur privé.

Maintenant, il y a des tensions entre les élites économiques. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de Issad Rebrab (le groupe Cevital accuse le gouvernement de bloquer ses projets). On constate que la question des réformes économiques est très liée aux réalités politiques.

La situation politique actuelle en Algérie a-t-elle des répercussions sur ces réformes économiques ?

Tant que la situation politique n’est pas claire, il n’y aura aucune possibilité d’aller vers un vrai programme de réformes économiques. La condition principale d’une réforme économique est d’avoir un agenda politique et la capacité d’avoir un programme sur plusieurs années. Actuellement, en Algérie, avec l’incertitude politique, on n’est pas en situation de pouvoir se projeter dans l’avenir. C’est cela qui freine les vraies réformes.

Pensez-vous que votre dernier rapport sur l’Algérie ait été mal interprété ?

J’invite les gens à lire le rapport et voir de près les arguments avancés pour plaider en faveur de réformes économiques en Algérie. Nous avons montré comment le passé de l’Algérie peut éclairer son avenir. L’Algérie peut apprendre de ses fautes. L’Algérie n’a pas de dette extérieure. Elle est en position de force.

Nous ne parlons pas de réformes néolibérales. Ce qu’il faut c’est diversifier l’économie. Beaucoup de voix peuvent s’exprimer sur la manière de gérer les ressources de l’État. Quelles réformes économiques ? Quel agenda suivre ? Comment le faire ? À ses questions, les jeunes algériens peuvent avoir des réponses. Les jeunes peuvent avoir un rôle.

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