Économie

Les finances publiques algériennes en territoire inconnu

La réduction des ressources du budget de l’État conjuguée à un niveau toujours élevé de dépenses publiques va placer dès les prochains mois les autorités algériennes face à des arbitrages difficiles.

Jusqu’à une date toute récente, la plupart des analyses sur l’évolution de l’économie algérienne évoquait l’éventualité d’une crise financière majeure vers 2022.

Ce pronostic généralement partagé repose sur l’hypothèse, qui reste probable, d’un quasi-épuisement de nos réserves de change dans un délai d’un peu moins de 2 ans. Il prolonge la courbe d’un très fort déséquilibre de notre balance des paiements qui a accusé au cours des dernières années des déficits  proches de 20 milliards de dollars en moyenne.

Une tendance qui devrait se confirmer en 2020, selon les dernières données disponibles, en dépit de la très grande discrétion observée par les autorités algériennes sur les résultats de nos échanges extérieurs depuis le début de l’année en cours.

Suivant ce scénario très souvent évoqué au cours des dernières années par des experts algériens et étrangers et relayé dans une période récente par de nombreux acteurs politiques nationaux, notre pays pourrait donc « frapper à la porte du FMI » dans le courant de l’année 2022.

En réalité, ce qui est présenté comme une sombre perspective pourrait se révéler comme une prévision encore excessivement optimiste.

C’est en effet sans compter avec l’état de nos finances publiques internes qui pourrait bien accélérer les étapes de ce calendrier de crise.

La dérive des dépenses de fonctionnement de l’État

Voici quelques semaines, le Fonds monétaire international (FMI) évoquait la nécessité d’un baril à plus de 150 dollars pour équilibrer le budget de l’État algérien. Il annonçait également, dans diverses publications toutes récentes, des déficits records pour le budget de l’État qui pourraient atteindre les niveaux sans précédent dans l’histoire de notre pays, de 18 à 20% du PIB pour les années 2020 et 2021.

Ces prévisions et ces estimations avaient d’abord été accueillies avec un certain scepticisme par beaucoup de commentateurs nationaux.

À peine quelques jours plus tard, les chiffres du Projet de loi de finances 2021 semblent pourtant conforter ces constats alarmants d’un profond déséquilibre, voire de ce qui s’apparente à une véritable dérive des finances publiques nationales.

Le contenu du projet de loi de finances pour 2021, qui a été présenté ce dimanche aux députés de l’APN, n’était pas destiné à être rendu public. Il a fuité dans la presse nationale quelques jours après qu’un communiqué officiel du Conseil des ministres avait annoncé, sans aucune précision supplémentaire, que ce projet de texte de loi avait été examiné.

En l’absence d’une grille de lecture « officielle » du projet de loi de finances pour l’année prochaine, les commentateurs nationaux n’ont pas manqué de relever les déséquilibres spectaculaires qui caractérisent désormais l’état des finances publiques nationales.

En premier lieu, il s’agit de dépenses de fonctionnement toujours en forte hausse (plus de 10%) contrairement aux engagements et instructions très fermes du président de la République au gouvernement.

On se souvient qu’au printemps dernier, dans le sillage de l’effondrement des cours pétroliers qui avait frôlé la barre des 20 dollars, le président Tebboune  avait, à l’occasion de plusieurs conseils des ministres convoqués de façon exceptionnelle, « instruit » successivement l’Exécutif de réduire de 30% puis de 50% les dépenses de fonctionnement de l’État.

Si on en juge par les prévisions du projet de loi de finance pour 2021, les dépenses de fonctionnement de l’État algérien semblent non seulement « incompressibles » mais paraissent même accuser une tendance à l’augmentation que les pouvoirs publics éprouvent le plus grand mal à contrarier en dépit des engagements les plus solennels.

À telle enseigne que de nombreux commentateurs nationaux de la presse indépendante ont relevé à juste titre que les seules dépenses de fonctionnement dépassent désormais, et pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’ensemble des recettes de l’État, fiscalité pétrolière comprise.

La plupart des observateurs n’ont pas manqué de mentionner non plus l’écart considérable entre des dépenses totales de l’État, qui devraient dépasser au cours de l’année prochaine 8100 milliards de dinars, et des recettes de seulement un peu plus de 5300 milliards. Ce qui laisse augurer d’un déficit proche de 2800 milliards de dinars. Un record absolu.

Les dénégations de la communication officielle

Face à l’évidence d’un tel dérapage des finances publiques, la communication officielle semble prise de court et s’est réfugiée jusqu’ici dans la dénégation et la langue de bois.

Le seul commentaire « autorisé » a été pour l’instant celui d’une dépêche de l’agence officielle APS qui affirme de façon péremptoire que « l’avant –projet de loi de finances 2021 préserve les équilibres économiques » (sic).

De façon très significative, la dépêche officielle, citant un communiqué de la présidence de la République, précise qu’ « afin de relancer l’économie nationale et amorcer un nouveau départ au diapason du plan de relance économique, le président de la République a mis l’accent sur l’impératif de parvenir à une formule flexible du budget d’équipement au titre la loi de finances 2021, qui prendrait en considération les grands équilibres économiques ».

Cette allusion à une « flexibilité du budget d’équipement » renseigne certainement sur la pratique budgétaire des prochaines années.

Les dépenses d’équipement de l’État, qui sont estimées à près de 2800 milliards de dinars par le projet de loi de finances pour 2021, sont appelées désormais à constituer une sorte de variable d’ajustement en fonction des ressources financières disponibles.

Une approche d’ailleurs déjà largement adoptée depuis 2019, avec les conséquences que l’on connait sur un secteur du BTP en plein marasme depuis deux ans et qui est l’une des principales victimes du fort recul de l’activité économique enregistré en 2020.

Des projections triennales sans changement d’orientation

La version du projet de loi de finances 2021 auquel des médias nationaux ont eu accès sacrifie également à la pratique légale inaugurée en 2017 qui consiste à élaborer une projection triennale des principaux agrégats budgétaires.

Dans ce domaine, il est frappant de constater que les informations livrées par le ministère des Finances ne prévoient pas de réduction sensible de l’écart entre les recettes et les dépenses au cours des trois prochaines années. Il devrait continuer à se situer très officiellement à un niveau proche de 3000 milliards de dinars chaque année avec des dépenses totales qui avoisineront 8600 milliards de dinars dès 2022 et des dépenses de fonctionnement qui continueront d’augmenter pour atteindre 5500 milliards de dinars.

Ce qui n’empêche pas l’exposé des motifs du projet de loi d’affirmer que ces projections sont destinées à « inciter les secteurs à s’inscrire dans un objectif soutenable ».

Le financement du déficit en question

La réduction probable et sensible du budget d’équipement n’empêchera sans doute pas le déficit du budget de l’État d’atteindre de nouveau un niveau proche de 2000 milliards de dinars dès 2021.

Comment financer un tel déficit dès l’année prochaine et au cours des années suivantes ? Deux options sont en théorie disponibles. La première est recommandée par de nombreux économistes nationaux ainsi que par les institutions financières internationales. Elle augmentera mécaniquement le niveau de la fiscalité pétrolière mais aussi et surtout les « profits exceptionnels » réalisés par la Banque d’Algérie  à travers la vente de devises et qui sont reversés à l’État.

Cette première option a déjà été mise en œuvre en 2020 avec une dévaluation prévue de 10% du dinar par rapport au dollar selon les sources de TSA. L’économiste algérien Abderrahim Bessaha signalait voici quelques jours qu’à fin septembre, la dépréciation du dinar avait déjà atteint 8,5%. Elle devrait se poursuivre pour atteindre la cible retenue d’ici la fin de l’année.

Si on en juge par les informations livrées par différentes sources indépendantes, les ressources mises à la disposition du Trésor public par la Banque d’Algérie, mais non encore utilisées au début de l’année 2020, ont permis dans une large mesure de financer le déficit pour l’année en cours.

Le « siphonnage » d’une partie des ressources bancaires grâce à la réduction des réserves obligatoires des banques, qui pourraient être ramenée à zéro d’ici la fin de l’année, permettra également sans doute de terminer l’année 2020 sans recourir de nouveau à la planche à billets.

La version disponible du projet de loi de finances pour 2021 est une ébauche qui ne donne pour l’instant pas d’information sur le cadrage économique associé aux prévisions budgétaires. Il semble néanmoins très probable que, compte tenu des  contraintes financières croissantes que va rencontrer l’exécution de la loi de finances, une nouvelle dévaluation du dinar sans doute du même montant que celle de 2020 pourrait être retenue en 2021.

Mais la dévaluation du dinar ne suffira pas et les solutions (reliquat de ressources et baisse des réserves obligatoires des banques) qui ont permis de passer l’année 2020, ne seront plus disponibles en 2021.

À moins de recourir de nouveau et massivement aux « facilités » de la planche à billets, la gestion des finances publiques nationales risque de s’avérer un exercice très compliqué dès les prochains mois.

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