search-form-close
L’État profond, de quoi s’agit-il ?

L’État profond, de quoi s’agit-il ?

ENTRETIEN. Louisa Dris-Aït Hamadouche est enseignante à la Faculté des sciences politiques et des relations internationales d’Alger. Elle revient dans cet entretien sur les déclarations de l’ancien SG du FLN, Amar Saâdani, à TSA sur la notion de l’État profond.

Amar Saadani, a déclaré dans un entretien exclusif à TSA, que toutes les décisions qui ont suscité des doutes chez la population, étaient prises par « État profond ». Qu’est-ce que « l’État profond » ?

L’État profond, c’est un pouvoir réel mais une autorité informelle. On a tendance à penser que l’État profond n’existe que dans les dictatures, or ce n’est pas le cas. C’est un concept qui s’amplifie au fur et à mesure qu’apparaissent les failles et les insuffisances de la démocratie représentative. Par exemple aux États-Unis, l’État profond (Deep state) désigne l’administration, les services de renseignements et le Pentagone. En France, c’est l’École nationale d’administration (ENA) qui peut jouer ce rôle, en Turquie c’était longtemps l’institution militaire et, depuis quelques années, le mouvement Güleniste qui est accusé de personnifier l’État profond.

Il s’agit donc d’un pouvoir réel, mais informel dont la caractéristique est de perdurer au-delà des dirigeants politiques, sans qu’il ne soit jamais remis en cause, questionné, évalué et sanctionné. En clair, les dirigeants visibles sont considérés comme le pouvoir apparent, formel qui change au fil des élections, tandis que l’État profond est un appareil qui reste.

Qu’en est-il de l’Algérie ?

La question de l’État profond en Algérie n’a pas été suffisamment analysée de façon objective et scientifique, puisqu’il invoque un pouvoir invisible. Pourtant, il a toujours été présent dans l’imaginaire collectif, jusqu’à faire irruption dans le discours politique. L’État profond renvoie aux véritables décideurs, c’est-à-dire le pouvoir politique réel, de type collégial, que l’imaginaire collectif et l’histoire politique a personnifié dans l’institution militaire dans sa grande complexité et son hétérogénéité.

L’irruption de cette notion dans la conjoncture actuelle est particulière du fait que pour la première fois, les dissensions au sein du pouvoir politique algérien sont devenues publiques ; auparavant, ces dissensions existaient mais elles étaient latentes, cachées.

En deuxième lieu, les déclarations auxquelles vous faites allusion suggèrent qu’elles inscrivent leur auteur dans une logique de défense d’un pouvoir présidentiel formel contre un pouvoir réel occulte. On se souvient que l’ancien secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, a bâti une partie de sa réputation dans son offensive contre les services de renseignements au nom de la « civilianisation » de l’État algérien.

Or, cette intention résiste mal à l’épreuve des faits dans la mesure où les attaques passées et présentes ne peuvent absolument pas correspondre à une volonté de « civilianiser » le système politique. Pourquoi ? Ce faisant, il s’appuie sur une partie du pouvoir réel pour neutraliser l’autre partie. L’objectif n’est donc pas de civilianiser, c’est-à-dire dépolitiser l’institution militaire, mais d’imposer un groupe d’intérêts sur l’autre. La finalité de son discours est précisément d’empêcher la neutralisation de l’État profond et donc de garantir la reproduction du système politique.

Quels sont alors ses objectifs ?

Le discours produit sert les explications complotistes puisqu’il consiste à désigner des pouvoirs occultes comme source des échecs. Mais dans ce cas de figure, ces accusations servent aussi à défendre une partie de l’institution militaire, contre une autre, ce qui suggère que Saadani ne s’inscrit pas dans une logique de lutte contre l’État profond mais plutôt dans une logique de lutte contre des personnes.

Ces personnes sont-elles incarnées par Ahmed Ouyahia puisqu’il concentre l’essentiel des attaques de Saadani ?

Effectivement, mais là encore il y a un problème de cohérence dans son discours. Combien de fois Ahmed Ouyahia a-t-il été chef du gouvernement sous Bouteflika ? N’a-t-il pas toujours défendu le programme du président ?

Pourquoi maintenant ?

Je pense que la personnification des griefs est une stratégie qui vise à focaliser la colère sociale sur des personnes précises. La stratégie du fusible est bien connue pour désigner les personnes à sacrifier en cas d’échec. Elle sert aussi à dédouaner les autres figures politiques impliquées dans ces échecs.

  • Les derniers articles

close