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« L’instabilité législative est le véritable talon d’Achille de notre commerce extérieur »

« L’instabilité législative est le véritable talon d’Achille de notre commerce extérieur »

Capture d'écran / Youtube

Ancien Directeur du commerce extérieur et négociateur pour l’accession de l’Algérie à l’OMC, Mouloud Hedir analyse pour TSA les récentes décisions du gouvernement concernant l’abandon des licences d’importation et la confection d’une liste de produits interdits à l’importation. Entretien.

Après avoir annoncé l’abandon des licences, le gouvernement adopte une liste de « 1.000 produits » interdits à l’importation pour 2018. Comment interpréter ces deux décisions et quels en sont les avantages et les inconvénients ?

Pour être complet, cette liste de produits interdits à l’importation fait partie de tout un paquet de mesures qui incluent l’abandon du système des licences (hors véhicules de transport), l’augmentation, dans la loi des finances pour 2018, des tarifs appliqués (jusqu’à 60%) à toute une série de produits importés qui sont fabriqués localement et enfin l’application de taxes intérieures élevées sur des produits généralement importés et dont on souhaite décourager la consommation.

On comprend que l’objectif serait, pour une fois, de mieux protéger des productions locales, tout en s’efforçant de limiter le déficit de la balance des paiements. C’est le bon côté des choses.

Ce qui pose problème, en revanche, c’est qu’un choix économique aussi important ne soit pas assumé en tant que tel et qu’il soit engagé sous couvert de simples aménagements techniques. Le débat sous cet angle aurait permis de répondre à quelques questions importantes telles que : quel bilan aura été tiré de deux années d’application du système des licences ? Sur quelles bases ont été choisies les productions locales à protéger par des taxes fiscales ou douanières ?  Comment traiter plus efficacement le déficit inquiétant de la balance des paiements dont on peut estimer qu’il avoisinera les 20 milliards de dollars en 2017 ?

L’absence d’un vrai débat laisse penser que nous sommes encore une fois en face de mesures ponctuelles et transitoires, qui seront vite oubliées, comme on le fait aujourd’hui avec le régime des licences. Ce qui ne fera qu’ajouter un épisode de plus dans la valse des changements qui affectent notre régime d’importation.

Par ailleurs, on ne peut manquer de relever que, selon la loi de 2003 qui régit le commerce extérieur, l’interdiction d’importation ne peut s’appliquer (article 2) qu’aux « produits portant atteinte à la sécurité, à l’ordre public et à la morale ». Au-delà des perturbations prévisibles qu’elle va générer dans un marché gangrené par l’informel, l’interdiction d’importation projetée viole clairement notre législation en vigueur.

De même, toutes ces mesures annoncées sont en contradiction flagrante avec les engagements pris dans les accords commerciaux internationaux ratifiés par notre pays. Même si nos partenaires ne protestent que mollement, l’Algérie se doit d’honorer ses engagements et sa signature. Si un accord commercial quelconque ne lui convient pas, elle n’a qu’à s’en retirer ouvertement.

Tout ceci pour dire que nous n’en avons pas fini avec l’instabilité législative et réglementaire dont chacun sait qu’elle est le véritable talon d’Achille de notre commerce extérieur.

Le ministère du Commerce continue d’afficher des objectifs de réduction des importations à 30 milliards de dollars en 2018. Cet objectif est-il réaliste ?

Je ne pense pas qu’il faille attacher d’importance à ce type d’objectifs quand ils sont annoncés subrepticement, au détour d’une phrase, par tel ou tel responsable. Pour qu’il soit crédible, un tel objectif a besoin d’être affiché clairement, tout en étant adossé à un véritable programme d’actions chiffré, officiellement avalisé par le gouvernement. Ce qui n’est pas le cas jusqu’ici.

Sur le fond, l’objectif en lui-même pose un problème sérieux de cohérence. On ne peut pas d’un côté décréter la liberté du commerce d’importation, subventionner des produits importés, surévaluer le taux de change, refuser les IDE, démanteler les droits de douane ; et de l’autre, s’attendre à baisser le volume des importations.

Quels sont, selon vous, les objectifs qui sous-tendent la politique du commerce extérieur, conduite par le gouvernement algérien ?

La politique commerciale extérieure est une chose très sérieuse, c’est un pan de la sécurité globale du pays. Elle met en jeu la manière dont nous entendons défendre notre territoire économique dans la coopération avec tous nos partenaires et en nous insérant au mieux dans le système des échanges mondiaux.

Pour l’heure, nous la confondons avec la gestion erratique des importations, en alimentant ce débat stupide et sans fin sur la manière de dépenser les ressources de plus en plus maigres que nous tirons non pas de notre travail mais d’une richesse non renouvelable de notre sous-sol. Cette attitude puérile nous détourne de l’essentiel, à savoir comment faire de notre politique commerciale un outil efficace qui aide à promouvoir et stimuler la production interne, à attirer les capitaux étrangers et les apports de technologies sur notre marché et, priorité des priorités, à entamer la diversification de nos exportations.

Tous les experts sérieux confirment qu’à l’horizon 2030, la rente pétrolière qui permet aujourd’hui à notre pays de tenir debout va s’épuiser inévitablement. Face à ce défi économique gigantesque qui nous attend, nous n’avons pas encore initié la moindre réforme sérieuse qui nous prépare à y répondre.

La gestion actuelle de nos échanges extérieurs manque totalement de consistance. Elle a oublié depuis longtemps de se préoccuper du producteur local. Nous nous contentons d’importer sans compter pour notre alimentation, pour notre santé, pour notre sécurité, pour nos transports et même pour nos loisirs et notre détente. Voilà longtemps que notre pays a même oublié d’établir un véritable bilan annuel de ses échanges extérieurs. Même les instituts comme l’INESG, l’ISGP et d’autres qui tentaient de réfléchir à notre relation au monde ont cessé depuis longtemps de produire quoi que ce soit. Notre position atone à l’OMC, une organisation universelle qui regroupe le monde entier et où nous faisons semblant de négocier depuis trente ans une improbable accession, renvoie de nous l’image d’un État défaillant.

Les gestionnaires qui président au destin de notre commerce extérieur ne donnent pas vraiment l’impression de savoir où ils vont. Dans ce domaine sensible qu’est la politique économique extérieure, autant les atouts sont nombreux, autant l’Algérie reste pour l’heure un pays en jachère.

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