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Logement : « Le laisser-aller, on le voit partout »

Logement : « Le laisser-aller, on le voit partout »

L’Algérie a lancé plusieurs milliers de programmes de logements ces dernières années. Quel constat peut-on en faire aujourd’hui ?

Boudaoud Hamid, président du Collège national des experts architectes – Le constat est tout simple : quand un citoyen algérien reçoit les clés de son logement, il est aux anges pendant un mois. Puis commencent les déceptions : malfaçons, inconfort, pas de transport, pas de marché, pas de dispensaire…

La vérité est que ce qui a prédominé dans les politiques du logement en Algérie c’est le souci du nombre (la quantité) et non pas celui de la qualité. Tous les responsables ont d’ailleurs le même langage : « Moi, j’ai réalisé tel ou tel nombre de logement ».  Mais jamais un mot sur la qualité.

Et quelles sont les raisons de ce désastre architectural ?

Depuis 1962 qu’on a commencé à construire. Malheureusement, on l’a souvent fait sans permis, sans acte et surtout sans conformité. Toutes les constructions qui ont été réalisées depuis 1962 et jusqu’à 2010, à l’instar des ministères, des écoles, des universités, des cités…, et ce sur tout le territoire national, n’avaient ni permis, ni acte de propriété et ne répondaient souvent pas aux normes internationales.

L’autre mal du secteur est le manque d’une main d’œuvre spécialisée. Aujourd’hui, on a 1368 centres de formation professionnelle, ce qui est énorme. Cependant, on n’a jamais vu un directeur d’une entreprise quelconque demander à celui d’un centre de formation de lui former dans telle ou telle branche. Or, si d’autres pays ont pu réussir c’est plutôt grâce à la formation. La coordination entre divers secteurs est la grande absente.

D’un autre côté, on a asphyxié le secteur avec une pléthore de lois qui sont, du reste, les meilleures au monde. Sauf qu’on n’a pas formé des personnes pour les appliquer.

Durant les années 1990, on a commis une autre erreur impardonnable : dissoudre les entreprises publiques qui étaient plus ou moins performantes.  Les entreprises privées qui étaient censées prendre le relais ont manqué terriblement de professionnalisme.

On a aussi gardé l’architecte à l’écart. Un exemple très significatif : quand il y a un projet à présenter ou à proposer, ce n’est jamais un architecte qui le fait, mais plutôt un P/APC ou un P/APW. L’architecte est marginalisé. Il est carrément hors-jeu. Comment peut-on, au final, avoir de la qualité quand il y a absence des génies de la construction ?

Certains pointent la précipitation dans les réalisation et les études…

Effectivement. Mais il y a aussi un laisser-aller déconcertant. À ce titre, je puis citer un exemple : la loi 90.29 du 01 décembre 1990, portant loi domaniale, stipule que quand quelqu’un commence à construire, les services concernés ont la charge de vérifier si la construction se fait ou non selon le plan approuvé. Malheureusement, personne ne s’en est encombré.

Des années après, on se retrouve avec la loi N° 08-15 du 20 juillet 2008, fixant les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement, et avec – c’est là le pire – 2 200 000 bâtisses inachevées, ne répondant à aucune norme.

Le laisser-aller, on le voit partout. Si on prend l’exemple de l’AADL, le premier projet (55 000 logements) remonte à 2001. La réception était prévue pour 2005. Et, à ce jour, 18 ans après, le projet n’est pas encore achevé.

Un autre exemple du laisser-aller : on a 1478 ascenseurs qui sont en panne. Comment peut-on lancer un programme d’un million de logements sans jamais penser à créer une usine d’ascenseurs ainsi que des ateliers de maintenance.

Pour ces programmes présidentiels, les retards ne sont que trop flagrants. Quand on dit que tel projet prendra 18 mois, il faut y ajouter un « 0 ». Et le problème est que quand on retarde, les matériaux n’attendent pas. En 1969, le mètre carré était à 750 DA, maintenant il est à 55 000 DA.

Il faut noter que parmi les 36 000 entreprises recensées, il n’y a que 456 qui sont capables de réaliser 200 logements/an. Et aussi de quelle manière ? On a tous vu la cité Ali Mendjeli. Un vrai désastre urbain !

Il y a aussi un point fondamental qu’on n’arrive pas à écarter : le moins-disant. On ne peut pas, dans ce contexte, exiger la qualité. Il aurait fallu juger en fonction des compétences et de l’offre technique.

Incompétence, laisser-aller, hâte… mais aussi corruption ?

Certes, quand on ferme les yeux, c’est qu’il y a le « sandwich ». Et – proverbe de chez-nous – quand on mange, les yeux ont tendance à avoir honte de se relever.

Cette façon de construire n’aura-t-elle pas justement des conséquences fâcheuses sur le plan culturel et social ?

Ça sera à qui aura le courage d’entrer dans ces cités dépourvues de la moindre structure d’accompagnement.

On a tous vu ce classement qui relègue Alger à la 132e place. L’architecture n’est-elle pas l’une des raisons de ce sinistre classement ?

C’est justement la base. Vu d’en haut, Alger ressemble à l’Irak ou la Syrie d’après-guerre. Nous n’avons pas la moindre politique de la ville. Rien qu’entre 2010 et 2016, on a déboursé 69 milliards de dollars en logements. Et on a rien construit qui puisse rendre l’Algérien fier de ce qu’il a. On ne demande pourtant pas trop : un logement, un marché, des transports, une école et un dispensaire.

Récemment, le ministre a résilié les contrats de 475 entreprises dont 5 étrangères. N’est-il pas en train de tenter de rattraper le coup ?

Le problème n’est pas là. Pour une entreprise, c’est le personnel technique qui doit être performant et surtout présent. Aussi, le bureau d’études doit-il connaître son sujet aux bouts des doigts.

Le problème ne vient pas uniquement des entreprises. Comment peuvent-elles justement fonctionner quand elles ne sont pas payées durant une année ou deux , sachant pertinemment que la réalisation demande beaucoup d’argent ? Elles, aussi, ont des bouches à nourrir.

Quand on lance un projet, on devrait avoir son budget. Les retards de paiement engendrent des pertes énormes pour l’entreprise notamment à cause des prix des matériaux qui sont en continuelle hausse. Je défie quiconque à me présenter un projet où les engagements financiers du maître d’ouvrage ont été respectés.

Condamner 500 ou 1 000 entreprises ne veut rien dire. Il faut aussi écouter les doléances de l’autre partie qui souvent n’a pas voix au chapitre.

La bureaucratie fait de réels ravages. J’explique : il y a le maître d’ouvrage, l’entreprise réalisatrice et le bureau d’études qui est l’aiguille de la balance entre l’entreprise et le maître d’ouvrage. Même quand l’entreprise fait du bon travail et que le bureau d’études fait les attachements, le maître d’ouvrage prend un temps fou pour accorder les paiements.

L’autre décision prise par le gouvernement est l’interdiction de l’importation d’un certain nombre de matériaux. Est-ce que ça ne va pas nuire au rythme et à la qualité de la construction qui, déjà à ce stade, sont loin d’être à la hauteur ?

En 1985, on avait interdit l’importation du bois de coffrage car on a dit au ministre de l’époque qu’une entreprise à Rouïba confectionnait des coffrages métalliques. Cela a causé énormément de retard au secteur de la construction en Algérie. Il a fallu longtemps pour qu’on sache que ladite entreprise était loin de pouvoir couvrir la demande nationale.

En principe, avant de prendre de telles décisions, des statistiques et des études doivent être réalisées. Il faut qu’on estime convenablement les besoins et les capacités de la production nationale. Quand du bouche-à-oreille du genre : « Oui, monsieur le ministre, on a tout », domine, il y a beaucoup de chance qu’on tombe dans la pénurie.

Le ministère ne devrait jamais prendre de décisions sur les seules déclarations des entreprises et le taux de leurs productions. Des enquêtes périodiques doivent être menées pour s’assurer aussi du rythme, car on peut commencer avec des grandes quantités et finir avec de très petites.

Aussi faut-il noter qu’il ne s’agit pas uniquement de la quantité. Il y a aussi la qualité qu’il faut prendre en considération. Et là-dessus, il y aura beaucoup à dire.

Par rapport aux capacités de construction, on parle de programmes et des réalisations en millions d’unités. Les chiffres ne sont-ils pas exagérés ?

On a 1541 communes et 50 offices OPGI. Le ministère, en date du 14 juin de cette année, a réuni les 50 directeurs de l’OPGI et leur a demandé de faire les statistiques des projets réalisés, des projets en cours et des projets en études. À ce jour, aucune réponse.

On garde délibérément le flou…

Effectivement. À la lumière de ces données, il est vraiment difficile de croire les chiffres qu’on avance.

Donc, on n’a pas des chiffres bien arrêtés !

Justement, on n’en a pas. C’est pourtant facile. Chaque P/PAC peut faire le décompte au sein de sa commune.

On est obnubilé par la crise du logement. Si on fait des statistiques réelles, on trouvera peut-être qu’on n’a pas besoin de logements. Si chaque bâtisse des 2 200 000 bâtisses inachevées contient 2 logements, on aura déjà 4 400 000 logements.

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