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Logement : les raisons d’un désastre

Logement : les raisons d’un désastre

Plus de 1300 hectares, et quelques 44 000 logements de diverses formules en vue. Pour le projet de ville nouvelle de Draa Erich, près d’Annaba, l’État a vu grand.

« Le projet entre dans le cadre de la stratégie de l’État algérien qui vise à améliorer le cadre de vie des citoyens », expliquait, en février dernier, le Wali de Annaba. Et au wali d’ajouter : « nous avons veillé à ce que la ville réponde aux normes internationales ».

 

 

Normes internationales et cadre de vie ? De loin, tout semble correct dans les nouvelles constructions. Mais il y a une semaine, le 15 août, une vidéo-amateur est mise en ligne sur la plateforme Youtube. L’auteur nous invite à visiter l’un de ces innombrables immeubles de la ville nouvelle…

La caméra pénètre dans un appartement. Surprise : des ouvriers s’attèlent à une drôle de besogne : refaire un travail déjà fait. Les murs aussi sont démolis. À la main. Le mortier, dites-vous ? Il est réduit en poussière sous la seule pression des doigts.

Une autre vidéo intitulée : « Qui veut un appartement AADL ? Malfaçon en veux-tu en voilà ! » était diffusée une journée avant. Un homme arrache des briques à un mur sans aucune difficulté. « Normes internationales, mon œil ! », répétait l’homme.

Des vidéos comme celles-ci sont tellement nombreuses qu’il serait difficile de les compter. Nous citerons celle tournée à Reghaia où un homme, rien qu’en usant de ses doigts, a réussi à dénuder un mur. De Sidi Bel Abbès, exactement de la cité 1 500 logements, c’est une autre vidéo qui montre de l’eau, censée être potable, mélangée aux eaux usées…

 

 

Un vrai désastre architectural et écologique. C’est d’ailleurs devenu une règle en Algérie : quand on acquiert un logement, il faut tout refaire : murs, plafonds, faïence, carrelage…

Malfaçon, mode d’emploi

Comment en est-on arrivé là alors que l’État a déboursé des dizaines de milliards de dollars dans les programmes immobiliers ? C’est la question que se pose, à juste titre, tout algérien. « Ce qui a prédominé dans les politiques du logement en Algérie c’est le souci du nombre (la quantité) et non pas celui de la qualité », explique Boudaoud Hamid, président du Collège national des Experts Architectes.

Obnubilées par la sempiternelle crise du logement, les autorités ont donné comme mot d’ordre de « construire vite ». Et le résultat – peut-être fallait-il s’y attendre – est loin d’être à la hauteur des attentes des acquéreurs.

Des murs fragiles, une peinture vite défraichie, des plafonds égouttant les eaux du voisin d’en haut à peine installé, des sols rarement bien faits…

Pour qu’une telle médiocrité soit atteinte, il a fallu que des conditions soient réunies, à commencer par l’absence d’une main d’œuvre spécialisée. « A croire que les centres de formation professionnels ne forment que des coiffeurs », s’insurge un entrepreneur.

Et d’ajouter : « Trouver un bon maçon n’est guère facile. J’ai dû refuser beaucoup de travail, notamment la finition des salles de bains. Les faïenciers sont très rares. Et quand on en trouve, c’est chèrement payé ».

En Algérie, entre employeurs et employés, la balle ne tarde jamais dans le même camp. « Travaillez et nous vous payeront », disent les uns. « Payez-nous et nous travailleront », répondent les autres.

Pire que l’incompétence, il y a le laisser-aller. « Total », assure le même entrepreneur. Pour cela tout un langage a été inventé par les Algériens : « tiri barek », « d’rebe bark », « boumedrah »… Il reflète le désamour nourri par les Algériens envers le travail bien fait.

« Il y a bien des entrepreneurs qui font exprès de frauder, mais le grand mal vient de l’incompétence et de l’inconscience des travailleurs. On a beau les surveiller, ils trouvent toujours un moyen de bâcler », explique notre interlocuteur.

Cette mentalité – il s’agit bien d’un problème de mentalité – fera de l’Algérie un immense chantier à ciel ouvert. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on se retrouve avec plus de 2 200 000 bâtisses inachevées.

Les étrangers, les « bons » élèves

Même les entreprises étrangères de réalisation, chinoises et turques notamment, n’ont pas réussi à imposer un minimum de qualité dans les réalisations.

« Les étrangers ont bien compris que c’est un pays qui ne tourne pas rond. Ils ne s’encombrent pas des normes, car ils savent que le contrôle ne se fera que superficiellement. Ils refusent de déclarer les travailleurs algériens, car rien ne les y obligent… Ils font les quatre cents coups et, quand ils ont des soucis, ils glissent un petit quelque chose sous la table et tout est réglé », regrette Abdennour, un jeune algérien qui a aidé une entreprise turque à s’installer en Algérie..

Cela est le cas de beaucoup d’étrangers venus nous construire des logements en centaines de milliers. Les murs qui se démontent comme un puzzle pour enfants en est la preuve. Et les constructions chinoises, à bien considérer les vidéos qui circulent sur la toile, sont les plus touchées.

« Vous pensez que chez eux, les chinois construisent comme ça ? », s’interroge Kamel, un chef de chantier dans une entreprise privée.

La sous-traitance, le grand mal

Le moins-disant est, bien évidemment, la règle. Et c’est loin d’arranger les choses, puisque les entreprises, sous les contraintes financières, se retrouvent dans l’obligation d’embaucher mal, de travailler vite et de tenter de faire des économies sur les matériaux.

L’autre phénomène qui prévaut dans le secteur est la sous-traitance. Souvent l’entreprise qui a acquis le projet le soustraite en partie ou – ça arrive aussi – en entier. Et le sous-traitant, en manque de moyens matériels et humains, n’hésite pas, à son tour, à sous-traiter.

La chaine peut s’allonger indéfiniment, et le vrai exécutant se retrouve avec des miettes. « Même quand le cahier des charges l’interdit, la sous-traitance se fait sans contrat », raconte Hassen un entrepreneur à la tête d’une petite entreprise de peinture. Et d’ajouter : « ceux qui font réellement le boulot ne gagnent souvent pas la moitié du prix initial ».

Un entrepreneur qui dit avoir décroché un projet en troisième main raconte : « c’est à peine si je peux payer des maçons et des manœuvres débutants. Pour ne pas travailler gratuitement, j’essaie de gagner un peu sur les prix des matériaux ».

Au point de jouer sur le dosage du mortier, par exemple ? « Oui, mais pas au point de ne mettre que des petites quantités de ciment », répond-il. Ne mettre que des petites quantités de ciment n’est pas rare. Cela donne du mortier qui, sous la simple pression des doigts, est réduit en poussière.

Le contrôle, le maillon faible

On est en droit de poser la question du comment peut-on réceptionner des constructions avec des malfaçons aussi faciles à détecter.

La qualité de mise en œuvre, la fiabilité, la sécurité ainsi que la recherche de performance des matériaux sont pourtant devenues aujourd’hui des préoccupations majeures du domaine de la construction.

La tâche du contrôle incombe, bien évidemment, au maître d’ouvrage ainsi qu’aux bureaux d’études qui encadrent le projet. Une tâche qui est loin d’être convenablement accomplie.

On ne parle même pas du confort thermique, acoustique, spatial et visuel, thèmes chers aux architectes. On parle du minimum, soit des constructions sans malfaçons, du moins sans trop de malfaçons.

Le nombre de chantiers lancés, de l’avis des experts, rend très difficile le contrôle. À cela s’ajoute le manque de formation des contrôleurs, ainsi que les moyens mis en œuvre.

Mais ce n’est pas tout. « Quand on ferme les yeux, c’est qu’il y a le sandwich. Et – proverbe de chez-nous – quand on mange, les yeux ont tendance à avoir honte de se relever », commente M. Boudaoud Hamid.

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