Économie

Loi de finances 2020 : les faibles marges de manœuvre du gouvernement Bedoui

Un avant-projet de Loi de finances pour 2020 doit être présenté cette semaine au gouvernement Bedoui qui semble s’installer ainsi dans la durée en dépit de sa très forte impopularité. Si on en juge par les habitudes prises dans ce domaine par l’Exécutif, il n’est pas certain que beaucoup d’informations filtrent sur son contenu et ses orientations dans les prochains jours.

En guise d’informations officielles, on devra donc se contenter encore quelque temps des dernières déclarations de Bensalah et Bedoui qui sont cependant assez loin d’avoir éclairé notre lanterne.

Mardi dernier, Abdelkader Bensalah a invité le gouvernement « à la rigueur et à la rationalité dans l’élaboration de la loi de finances 2020, sans que cela se fasse au détriment de la politique sociale de l’Etat ».

Noureddine Bedoui, lui, avait présenté un exposé sur les préparatifs de la Loi de finances 2020 et les mesures adoptées par le gouvernement « pour la maîtrise de la dépense publique et la résorption du déficit budgétaire ».

Le décor avait déjà été planté quelques jours auparavant par le président de l’APN, Slimane Chenine, qui avait estimé important, à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle session du parlement, que « la prochaine Loi de finances ne comporte pas de hausses impactant le pouvoir d’achat des citoyens, tout en préservant les grands équilibres de l’Etat » .Très significativement, M. Chenine a, en outre, averti que « la situation économique du pays était de plus en plus tendue ».

Comment concilier « rigueur » et maintien de la politique sociale de l’Etat ? Comment « maitriser la dépense publique et résorber le déficit budgétaire » dans un contexte politique explosif alors que des élections présidentielles figurent sur la feuille de route de l’exécutif ?

La « rigueur » improbable

Pour la plupart des spécialistes interrogés par TSA, la réponse à ces questions, qui relèvent apparemment de la quadrature du cercle, est en réalité très simple. Il n’y aura  probablement aucune « rigueur», autre que purement rhétorique, dans la préparation de la prochaine Loi de finances qui a de très fortes chances  de ressembler comme une sœur à celles des  deux années précédentes.

Explication. Depuis 2015, dans le sillage de la chute des prix pétroliers, les finances publiques algériennes accumulent des déficits considérables qui varient entre 10 et 15% du PIB. Les efforts éphémères des Lois de finances 2016 et 2017 en matière de contrôle des dépenses ont cédé la place, dès l’été 2017, à la gabegie de la planche à billets qui a provoqué une explosion des dépenses publiques dont le montant est supérieur à 8500 milliards de dinars, soit l’équivalent de plus de 70 milliards de dollars, dans les deux dernières Lois de finances.

La mise en œuvre d’une politique de rigueur budgétaire exigerait aujourd’hui des ajustements  douloureux qui sont hors de portée du gouvernement actuel confronté à l’urgence politique du maintien de la paix sociale dans la perspective d’échéances électorales rapprochées.

L’économiste Alexandre Kateb nous confie qu’il « n’aperçoit pas aujourd’hui de stratégie évidente dans la démarche de l’exécutif. Si tant est qu’il y en ait une »

Un déficit énorme et persistant

Première conséquence, le gouvernement va sans doute laisser filer le déficit budgétaire. Des sources fiables indiquent déjà que le déficit  prévu par la prochaine Loi de finances devrait encore être proche de 2000 milliards de dinars. Soit pas très loin des 2200 milliards de dinars de la loi de finance 2019.

Le gouvernement pourra toujours se féliciter d’une légère diminution de ce déficit en présentant cette « performance » comme une politique  de rigueur. C’est d’ailleurs exactement ce qu’a fait récemment l’agence officielle à propos des dernières données disponibles, celles du déficit budgétaire enregistré au premier trimestre 2019, qui a quand même atteint le niveau considérable de 1000 milliards de dinars en trois mois.

Les institutions financières internationales ne se font d’ailleurs aucune illusion à ce sujet. Dans leurs rapports publiés au printemps dernier, le FMI tout comme la Banque mondiale évoquent  des déficits budgétaires qui se maintiendront à des niveaux compris entre 8 et 9 % du PIB en 2019 et 2020.

Une fiscalité pétrolière qui plafonne

Les raisons de la persistance d’un déficit aussi important sont à rechercher aussi bien dans le niveau très élevé des  dépenses de l’Etat que dans la faiblesse de ses recettes.

Coté recettes, il n’y a raisonnablement pas beaucoup de bonnes nouvelles à attendre des cours pétroliers qui seront, selon quasiment toutes les sources, encore certainement très déprimés au cours des prochaines années. Le cours de référence du baril retenu  par la loi de finance 2020 sera donc encore de 50 dollars. Ce qui devrait conduire, comme dans les lois de finances 2018 et 2019, à des prévisions de  recettes de fiscalité pétrolières comprises entre 2700 et 2800 milliards de dinars.

Ce plafonnement de la fiscalité pétrolière semble être désormais  une tendance durable. Elle s’est encore confirmée au premier trimestre 2019 par des recettes en hausse de seulement 3%  alors que les prix du baril ont atteint la moyenne élevée de plus de 67 dollars sur cette période, selon les derniers chiffres rendus publics par le ministère des finances.

De nouvelles taxes et l’impôt sur la fortune au rendez-vous ?

C’est une des rares bonnes nouvelles des dernières années. La fiscalité ordinaire se porte un peu mieux. Une tendance confirmée au premier trimestre 2019 avec des recettes recouvrées qui étaient en hausse de 10 % au cours des 3 premiers mois de l’année en cours.

L’augmentation  sensible du produit de la fiscalité ordinaire est une petite surprise dans le cadre d’une Loi de finances qui n’avait prévu « aucune hausse des impôts ». Elle pourrait être due notamment  à l’introduction de droits de douanes supplémentaires (les DAPS) sur certaines catégories de produits importés.

Comment maintenir cette tendance en 2020 dans un contexte ou la croissance économique devrait ralentir sensiblement ? C’est un des rares domaines ou le gouvernement Bedoui disposera d’une marge de manœuvre significative. La reprise de l’augmentation des prix du carburants, voire de l’électricité, sera-t-elle au rendez-vous de la loi de finance 2020 ? L’augmentation des taxes sur le tabac ou l’alcool  pourrait également être une source non négligeable de recettes fiscales.

En toutes hypothèses ce sont quelques dizaines de milliards de dinars supplémentaires qui pourraient alimenter les caisses de l’Etat sans modifier significativement les (dés)équilibres budgétaires.

Plus symboliquement, l’introduction d’un impôt sur la fortune, retoqué par les députés depuis quelques années, est une opportunité que le gouvernement pourrait ne pas laisser passer en vue de tenter de redorer son image.

Au total côté recettes budgétaires, selon les estimations des spécialistes consultés par TSA, on ne devrait pas s’attendre à une prévision supérieure à 6500 milliards de dinars y compris les versements exceptionnels de la Banque d’Algérie.

50 milliards de dollars de dépenses de fonctionnement

Côté dépenses, en revanche, les marges de manœuvre du gouvernement semblent se rétrécir de plus en plus. Au premier trimestre 2019, elles se situaient globalement déjà à près de 2450 milliards de dinars. Ce qui les plaçait sur une pente nettement plus élevée que les 8500 milliards de dinars prévues par la loi de finance pour l’ensemble de l’année 2019.

Plus encore que leur montant, c’est leur structure qui est un sujet de préoccupation. Ce sont en effet les dépenses de fonctionnement de l’Etat qui étaient  en hausse très sensible au premier trimestre. Cette augmentation, proche de 12 %, est nettement supérieure aux prévisions de la loi de finance et n’a pas pour l’instant reçu d’explication convaincante.

Au premier trimestre 2019,  les dépenses de fonctionnement de l’Etat ont grimpé à plus  de 1550 milliards de dinars. Extrapolé à l’ensemble de l’année en cours, ce niveau de dépenses courantes, supérieur à 500 milliards de dinars par mois, place les dépenses de fonctionnement de l’Etat sur une trajectoire record de 6000 milliards de dinars en 2019 (près de 50 milliards de dollars).

S’agissant, à hauteur d’environ 60% de salaires et pour 40 % de transferts sociaux, ces dépenses sont, dans la situation actuelle, réputées « incompressibles  »,voire même sujettes à un gonflementautomatique  en raison principalement de la progression ( ancienneté , reclassement) de la rémunération des fonctionnaires. Cette progression automatique n’est compensée que partiellement par le non remplacement partiel des départs à la retraite.

Des coupes en perspective dans les dépenses d’équipement

La « maitrise des dépenses » annoncée par Noureddine Bedoui pourrait en revanche bien passer par une réduction  du budget d’équipement de l’Etat. Le mouvement est d’ailleurs largement amorcé et  les dépenses d’équipement étaient en pleine dégringolade au premier trimestre 2019. Enregistrant une baisse de 28 %, elles ne représentaient plus que 890 milliards de dinars contre près  de 1250 milliards l’année dernière à la même époque.

Cette tendance pourrait être prolongée dans la Loi de finances 2020. Certains spécialistes n’hésitent pas à parler d’une réduction potentielle de près de 1000 milliards de dinars. Alexandre Kateb estime que « le gouvernement va probablement raboter le budget d’équipement mais les coupes dans les crédits d’investissement risquent de précipiter la crise »

Elles risquent de renforcer aussi  les inquiétudes exprimées par beaucoup d’associations professionnelles, qui  tirent  la sonnette d’alarme sur la situation des entreprises dépendantes de la commande de l’Etat. C’est en particulier le cas des entrepreneurs du BTP qui dénoncent depuis quelques mois l’accumulation des arriérés de paiement et la baisse de leur plan de charge qui aurait déjà  conduit à la fermeture de plusieurs milliers d’entreprises et la mise au chômage de plus de 200 000 travailleurs depuis le début de l’année en cours .

Le financement du déficit en question

La réduction probable et sensible du budget d’équipement n’empêchera sans doute pas le déficit du budget de l’Etat d’atteindre de nouveau un niveau proche de 2000 milliards de dinars en 2020.

Comment financer un tel déficit ? Deux options sont en théorie disponibles. La première est recommandée par de nombreux économistes nationaux ainsi que par les institutions financières internationales. Il s’agit d’une dévaluation du dinar qui remettrait en cause les engagements de « stabilisation de la valeur de la monnaie nationale pour une période de trois ans » contenus dans la Loi de finances 2019.

Cette dévaluation augmenterait mécaniquement le niveau de la fiscalité pétrolière mais aussi et surtout les « profits exceptionnels » réalisés par la Banque d’Algérie  à travers la vente de devises et qui sont reversés à l’Etat.

Cette première option semble avoir été écartée récemment par le ministre des finances, Mohamed Loukal, qui l’a assimilé au cours de l’été à une « manœuvre financière » (sic).

Quelques mois après l’annonce officielle de la « fin de la planche à billets », la poursuite du financement monétaire du déficit risque, dans ces conditions, de constituer l’unique moyen dont dispose encore  l’Etat pour financer un déficit budgétaire énorme et persistant en dépit de la réduction drastique des dépenses d’équipement.

Si on en juge par les informations données en avril dernier par la Banque d’Algérie, les ressources mises à la disposition du Trésor public par la Banque centrale, mais non encore utilisées,  pourrait permettre de financer le déficit pour au moins une année. Une fausse sortie probable donc pour la planche à billets qui n’a, semble-t-il, pas encore dit son dernier mot.

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