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«  Macron devrait plutôt s’occuper de la situation dramatique des Français »

«  Macron devrait plutôt s’occuper de la situation dramatique des Français »

Abderrahmane Dahmane, franco-algérien, est un fin connaisseur des arcanes de l’administration et de la politique en France. Au bout de 43 ans de service, il a terminé inspecteur général de l’éducation nationale en France et a même été conseiller de l’ancien président Nicolas Sarkozy.

Dans cet entretien exclusif à TSA, il parle de l’actualité brûlante, dont l’affaire des caricatures et les propos du président Emmanuel Macron sur l’Algérie, de la situation des musulmans en France et de la place des Algériens dans ce pays. Sur toutes ces questions, il a un avis tranché qu’il livre avec son franc-parler habituel. 

Les derniers propos du président français Emmanuel Macron sur la situation en Algérie ont suscité de nombreuses réactions. Pourquoi selon vous ?

Il faut comprendre que les Algériens ont une profonde histoire et qu’ils ne se sont jamais laissés avoir par des propos venant de l’extérieur, que ce soit émanant des Américains, des Européens ou autres. Les Algériens ont une histoire profonde et ils ont toujours défendu leur indépendance et leur liberté. Depuis les Phéniciens, ils n’ont pas cessé de lutter et ce n’est pas Macron qui va leur donner l’exemple. Avec le Hirak, ils ont montré au monde entier leur simplicité et leur volonté de démocratie et de liberté, sans violence. Je crois que Macron devrait plutôt s’occuper de la situation dramatique des Français qui font face au Covid et au chômage.

L’affaire des caricatures avait déjà suscité des réactions dans une partie du monde musulman. Les responsables français ont-ils bien géré cette crise ?

Quelle que soit la caricature, c’est inadmissible. Le Prophète Mohamed n’est pas un individu lambda. C’est deux milliards de musulmans dans le monde qui adorent ce Prophète. Lorsqu’on est président, ou responsable politique de quelque niveau que ce soit, et qu’on a une communauté musulmane de 12 à 13 millions, la moindre des choses c’est de respecter cette communauté. Même si on n’est pas croyant, on ne peut pas se permettre la caricature d’un prophète de deux milliards de musulmans avec qui la France a des intérêts. Les musulmans achètent les produits français et tu ne peux pas insulter ta clientèle finalement. Macron a un grand mépris et il va le payer cher. Je suis moi-même en train d’organiser un grand comité. Je rappelle que Nicolas Sarkozy était venu me supplier de l’aider pour gagner l’élection (de 2007, ndlr). Mais une fois qu’il a gagné, il a changé.

Mais le président Macron s’est défendu en disant qu’il a été mal compris…

Ce n’est pas vrai. C’est lorsqu’il a vu que les produits français étaient boycottés dans certains pays, qu’il est allé voir les Qataris et il a fait une émission dans Al Jazzera. Au lieu d’avoir une attitude très sereine, comme Ségolène Royal qui a déclaré qu’il faut respecter la communauté musulmane, lui il a défendu les caricatures et en plus, il a dit : vous pouvez les montrer, allez-y. Et il l’a dit publiquement. Le problème, c’est que lorsqu’il a voulu devenir président, il était venu à Alger où il a critiqué le colonialisme. Non, il n’a rien fait, il a envenimé la situation. Les gens qui sont laïcs disent : oui les caricatures c’est bon, elles sont là, mais il faut respecter les millions de musulmans.

Même Marine Le Pen n’est pas allée dans le sens des caricatures. Voyez tous ses propos, elle s’est attaquée aux terroristes, aux intégristes, mais elle n’a jamais insulté les musulmans. En tout cas, elle n’a pas essayé de faire des caricatures un moyen politique pour faire avancer ses idées. Pour moi, il y a un seul responsable, c’est Macron et ceux qui sont autour de lui.

Les musulmans de France sont-ils bien représentés actuellement ?

La communauté musulmane la plus forte en France, c’est la communauté algérienne. Il y a cinq millions de franco-algériens, mais ils ne sont pas organisés. Il y a des médecins, des informaticiens, des techniciens, ils sont dans tous les domaines, même dans la police.

« Tu n’es pas là pour courir derrière Macron »

Mais ils n’ont pas eu la chance d’avoir des responsables crédibles. Le recteur actuel de la mosquée de Paris s’est félicité dans le Figaro des caricatures. On n’a pas idée, quand l’Algérie subventionne la Mosquée de Paris à hauteur de 2 millions d’euros par an, on n’a pas idée de permettre à cet individu, qui était l’avocat de l’ambassade, de la mosquée, du consulat et du centre culturel, de s’installer en tant que recteur. Il n’y a pas d’Algériens ici à la hauteur, qui connaissent l’Islam ?

Tu n’es pas là pour courir derrière Macron, tu es là pour courir derrière ta communauté. Parce que ta communauté pèse six millions d’électeurs, et demain, c’est Macron qui viendra te voir. François Hollande m’a reçu et avant lui Sarkozy a sollicité mon aide. Je l’ai aidé, avec des conditions. Le jour où Fadéla Amara (secrétaire d’État chargée de la ville entre 2007 et 2010, ndlr) a été nommée, je peux vous dire que j’étais à l’origine. Au lieu d’aller cirer les pompes aux uns et aux autres, moi je ferais en sorte que des Algériens qui sont capables, soient nommés ministres.

Et le CFCM (Conseil français du culte musulman), vous pensez qu’il remplit convenablement son rôle ?

J’étais présent au moment de la création du CFCM. Lorsque Sarkozy m’en a parlé, je lui avais dit : ça c’est une attitude qui n’est pas la vôtre et vous êtes en train de reproduire le colonialisme. C’était dans son bureau à la place Beauvau, il était fou furieux. Sarkozy voulait une structure qu’il maîtrise. J’avais dit à l’époque que le CFCM n’a pas à s’occuper de l’organisation de l’Islam. C’est une structure qui ne représente absolument pas l’Islam. Maintenant Macron se dit : tiens, j’ai une structure néocoloniale à ma portée et à chaque fois que je les appelle, ils viennent en courant.

Le gouvernement veut créer un conseil national et « labelliser » les imams pour lutter contre la radicalisation. C’est une bonne idée ?

Les imams qui venaient en France, la plupart sont des Algériens. Ils étaient formés à l’école de Constantine, ils avaient une connaissance profonde, y compris de la législation française.

Maintenant Macron veut créer le Conseil national des imams. Là il se casse le nez, de toute façon il va le savoir, car dans deux ans il y a les élections. Quand on dit labelliser les imams, de quel droit toi, en tant que président de la République, tu t’occupes des imams musulmans ? D’abord la laïcité ne te permet pas de te mêler de ces affaires. Ce président a mis la France dans un état lamentable dans tous les pays musulmans. Les produits français sont jetés, le drapeau français brûlé dans de nombreux pays. S’il n’a pas compris qu’il fait fausse route, qu’il continue.

Concernant le terrorisme, les Algériens ne le sont pas. C’est le seul pays qui a souffert pendant dix ans du terrorisme. Tous les coups du terrorisme ici en France, ça n’a jamais été des Algériens. Les Algériens ont au contraire sauvé la France en 14-18 et en 39-45.

Une partie de la communauté musulmane de France remet en cause le « porte-parolat » de l’imam Hassen Chalghoumi. Pourquoi ?

S’il y a quelqu’un qui connait très bien Chalghoumi, c’est moi. Il était porteur de valises à l’aéroport Charles De Gaulle, puis d’un seul coup, il sort et rencontre des gens. Il connaissait quelques sourates du Coran et il ouvre une mosquée par le biais du maire de Drancy. Il n’a rien d’un imam. Il ne sera jamais porte-parole, les gens ici le connaissent.

« Il faut absolument qu’il y ait un mouvement des Algériens à l’étranger » 

Vous avez passé 43 ans dans l’administration et occupé de hautes fonctions. Êtes-vous l’exemple de l’immigré parfaitement intégré ou simplement l’arbre qui cache la forêt ?

Je suis arrivé très jeune en France, j’ai fait le lycée, le Bac, j’ai fait une licence de lettres, puis une licence de droit, une maîtrise et un DESS de droit bancaire. J’ai travaillé dans l’enseignement et j’ai fini inspecteur général de l’éducation. J’ai montré ma capacité à faire mon boulot correctement et à partir de là, je n’ai jamais eu de problème.

Il n’y a pas de politique d’intégration, il ne faut pas se faire d’illusions. Le gars qui veut s’intégrer sait ce qu’il doit faire. Les 10 000 médecins algériens qui sont dans les hôpitaux n’ont pas attendu que le pouvoir français, Macron ou autre, les intègre.

« Ce sont les héritiers de la wilaya VII »

Vous insistez beaucoup sur l’importance de la communauté algérienne en France…

Il y a cinq millions de franco-algériens, parmi lesquels des médecins, des informaticiens, des économistes, des cadres de la police… Il y a aussi des chefs d’entreprise. J’ai écrit une note au président Tebboune, je lui ai expliqué que c’est une chance d’avoir une communauté qui est très forte, ce sont les héritiers de la wilaya VII grâce à laquelle le gouvernement du GPRA à Tunis recevait de l’argent.

Une communauté de cinq millions où il y a des cadres installés dans tous les rouages de l’État français. Plus de 10 000 médecins algériens font fonctionner les hôpitaux. Ce n’est pas un hasard si on a un Zineddine Zidane. Il faut voir comment permettre à ces Algériens d’être en harmonie avec leur pays d’origine. Il faut absolument qu’il y ait un mouvement des Algériens à l’étranger.

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