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Manque de médicaments en Algérie : entretien avec le Pr Bouzid

Manque de médicaments en Algérie : entretien avec le Pr Bouzid

Dans cet entretien, le Pr Kamel Bouzid, chef du service oncologie au CPMC d’Alger, revient sur le manque de sang au niveau des structures de santé, la pénurie des médicaments et les failles dans les services de traitement par radiothérapie.

Les malades souffrent  de pénuries de sang dans les structures de santé. Pourriez-vous nous parler de ce manque dans les hôpitaux en Algérie ?

En effet, nous connaissons un manque de sang et de tous ses dérivés dans nos hôpitaux. C’est particulièrement important dans la spécialité que je dirige, et surtout dans mon ancienne spécialité, l’hématologie. 

Depuis la pandémie de covid-19, on a un manque flagrant de sang non seulement en Algérie mais aussi dans d’autres pays. Il devient urgent de remédier à cela, que ce soit en sang comme en dérivés sanguins comme les plaquettes.

Si nous n’avons pas de plaquettes par exemple, nous ne pouvons pas soigner certaines maladies, comme la leucémie. Et nous ne pouvons pas pallier les conséquences des traitements curatifs en oncologie ; nous perdons les malades car ils saignent, et nous n’avons pas les moyens d’arrêter les saignements.

Une sonnette d’alarme a été tirée par mes confrères sur tout le territoire national. On fait appel aux citoyens entre 18 et 60 ans et qui sont en mesure de donner leur sang afin de se présenter dans les centres de perfusion pour être prélevés.

Il n’y a pas de réticence de la part des citoyens, encore faut-il les sensibiliser à l’importance du don de sang. Par exemple, une fois où j’avais besoin de sang pour un patient, 80 personnes ont répondu présent à mon appel.

Qu’est-ce qui est fait pour renforcer la sensibilisation pour le don de sang en Algérie ?

Il y a l’Agence nationale du sang, qui travaille à la sensibilisation de la population, en insistant sur l’importance d’aller spontanément dans les centres de transfusion sanguine.

C’est un geste salvateur et il n’y a pas de plus beau geste de solidarité vis-à-vis de ses concitoyens. Les centres de transfusion algériens sont équipés pour préparer tous les dérivés du sang.

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Les malades algériens ne souffrent pas uniquement du manque de sang dans les hôpitaux. Ils souffrent aussi de pénuries récurrentes de médicaments notamment pour le traitement du cancer… 

Effectivement, nous avons suivi les déclarations des responsables, qui affirment qu’on a tout ce qu’il faut. Mais sur le terrain, nous avons des ruptures de stocks de médicaments essentiels, et je ne parle même pas des médicaments innovants qui ne sont même pas rentrés en Algérie.

Cette rupture concerne notamment les médicaments essentiels au traitement du cancer du sein, et dure depuis maintenant six mois. Ce qui fait mal au cœur, c’est que nous n’allons pas en avoir avant au moins janvier 2023, si tout se passe bien. 

Selon les déclarations des autorités, on privilégie la production nationale. Le groupe Saidal, par exemple, s’est engagé dans le programme de fabrication de quatre produits. 

A ce jour, on est en rupture de ces quatre produits, dont on n’a reçu que des échantillons. Maintenant, nous nous retrouvons dans l’impasse, compte tenu de la rupture de ces médicaments, y compris des traitements de base et qui ne coûtent pas cher.

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Le problème des médicaments en rupture dure depuis plusieurs années en Algérie. Que se passe-t-il ?

Il y a un problème de gestion. Il y a trois mois, j’ai lancé un message au directeur de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) de l’époque pour qu’il nous appelle et nous écoute, mais personne ne nous sollicite.

On nous accuse même de ne pas savoir faire de prévisions, mais ça fait 40 ans qu’on les fait. Ce n’est pas une explication, il y a un problème de gestion qui date depuis 1994. Les responsables ne savent pas gérer les médicaments. 

On parle pourtant d’exporter la production nationale en Afrique…

Je veux bien qu’on aille à Dakar ou à Abidjan, mais on pourrait prendre exemple sur le Rwanda et le Botswana, qui n’ont pas de problèmes de médicaments. Ce sont les pays les plus développés en Afrique car leur indice de corruption est de zéro.

Il faut revoir impérativement ces problèmes de gestion et convier les différents responsables, comme les oncologues, les hématologistes qu’on oublie souvent, et les pharmaciens responsables d’hôpitaux et qu’on fasse une table ronde afin de régler le problème de médicaments.

Le nombre de malades en Algérie, notamment les cancéreux, ne cesse d’augmenter…

C’est clair, le nombre de malades atteints de tous types de cancers augmente, et ça va continuer d’augmenter. On va atteindre les chiffres des pays occidentaux probablement d’ici 2025/2030, soit 400 cas pour 100.000 habitants.

En plus du manque de médicaments, les cancéreux algériens souffrent aussi des pannes répétées des appareils de radiothérapie dans les hôpitaux publics. Que se passe-t-il ?

J’ai lu aujourd’hui dans un journal que trois accélérateurs, pourtant neufs, sont tombés en panne dans des hôpitaux publics de Sidi Bel Abbes. C’est une catastrophe.

On dit aux malades d’aller à Bechar. Là-bas, on a refusé de les prendre en charge et ils ont été redirigés vers Sidi Bel Abbes. On est en train de se moquer des gens. 

Comment trois accélérateurs tombent-ils en panne ? Dans le privé, il n’y a jamais de problèmes. C’est le cas aussi à Adrar, qui était censé couvrir le sud du pays, mais les douze radiothérapeutes de cet hôpital ne travaillent pas car leur matériel n’a jamais fonctionné à ma connaissance.

La radiothérapie est un traitement important contre le cancer. Lorsque ce sont des formes localisées, elle est fondamentale car elle permet de guérir. Mais, au CPMC, les rendez-vous sont à juillet 2023, ce qui est absurde. On ferait mieux de ne pas la faire, ou de les orienter chez le privé.

La question qui se pose et qui se répète, c’est pourquoi est-ce que dans le secteur public ces appareils sont systématiquement en panne, alors que ce n’est pas le cas dans le secteur privé ?

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