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Marches contre le 5e mandat : les enseignements de la révolte des Algériens

Marches contre le 5e mandat : les enseignements de la révolte des Algériens

La révolte populaire contre le cinquième mandat n’est qu’à ses débuts et nul ne sait sur quoi elle débouchera concrètement. Mais ses enseignements sont déjà là, indéniables. Il a suffi de deux week-ends successifs de marches et de mobilisation pour que de vieux clichés tombent, des certitudes jusque-là inébranlables s’évaporent.

La première, c’est celle des tenants du pouvoir qui ont fini par se convaincre que le peuple algérien ne se soulèvera pas pour autre chose que le pain, le lait, le logement… C’est Abdelaziz Bouteflika lui-même qui a commencé à semer l’idée dès son retour aux affaires en 1999.

Le président avait procédé à une sorte de hiérarchisation des droits de l’Homme, plaçant les droits sociaux en haut de l’échelle. Il n’y avait pas meilleure façon de tordre le cou aux acquis démocratiques d’octobre 1988 que de soutenir que la révolte était une conséquence de la chute des prix du pétrole deux ans plutôt.

M. Bouteflika l’avait dit dans plusieurs de ses discours et tout le microcosme de son système a fini par y croire, d’où l’importance accordée à l’achat de la paix sociale durant ces deux dernières décennies durant lesquelles le pouvoir a dépensé sans compter. La conviction s’est trouvée renforcée d’année en année avec la multiplication des mouvements de protestation sporadiques et des grèves cycliques dans plusieurs secteurs, pour les salaires, le logement, le raccordement aux réseaux d’énergie…

Même lorsque la candidature surréaliste de Bouteflika pour un cinquième mandat a été retenue, on a cru que la pilule allait passer avec une simple Loi de finances ne contenant officiellement aucune mesure antisociale. Fatale erreur ! Le 22 février puis le 1er mars, contre toute attente, le peuple est descendu dans la rue pour porter une revendication tout ce qu’il y a de politique, de surcroît au moment où les effets de la chute des prix du pétrole n’ont pas commencé à se faire sentir. La population a fait preuve d’une maturité politique insoupçonnée en produisant spontanément un discours de rupture, une charte pour l’avenir.

L’autre certitude qui a fait les frais de la révolte des jeunes, c’est celle qui voulait que les Algériens soient traumatisés par la décennie de terrorisme et qu’ils étaient suffisamment conscients pour ne pas risquer de perdre la paix et la stabilité chèrement retrouvées. La paix et la stabilité sont deux mots clés de la littérature du pouvoir depuis quelques années, notamment ces dernières semaines.

La veille même des marches historiques du 1er mars, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, s’en est allé prêcher ses mises en garde contre un scénario à la syrienne. La maturité du peuple lui a répondu dès le lendemain avec des marches jamais vues dans l’histoire du pays et un pacifisme qui ferait pâlir d’envie les sociétés les plus avancées. Même le feu qu’ont tenté de mettre des bandes de voyous n’a pas pris. Amar Ghoul et les autres avaient raison de dire que le peuple algérien était vacciné contre la violence. Il l’est aussi contre la peur.

Le gros mensonge de la main étrangère évoquée à chaque fois qu’un soulèvement a lieu dans le monde arabe ou en Afrique du Nord se trouve également formellement démenti. Une fois n’est pas coutume, même les plus zélés des soutiens du pouvoir hésitent à parler de manipulation. Ils ne pouvaient du reste pas le faire avec la présence aux premières lignes des manifestations d’une certaine Djamila Bouhired, icône vivante de la guerre de Libération, pour ne citer que celle-là.

Les deux week-ends passés ont aussi suffi pour tordre le cou à l’une des plus perverses tares collées injustement au peuple algérien depuis l’indépendance, celle d’être fortement imprégné par le régionalisme.

Le 22 février, puis le 1er mars, ce peuple « régionaliste » est sorti aux quatre coins du pays comme un seul homme pour porter la même revendication, scander les mêmes slogans. Une première depuis l’indépendance. Sans doute que personne, à commencer par les tenants du pouvoir, ne s’y attendait. La belle leçon est venue de Tlemcen, région d’origine de Bouteflika et de dizaines de hauts responsables du gouvernement, de l’administration, de la diplomatie… Le mythe du régionalisme est définitivement tombé lorsque les Algériens sont sortis par dizaines de milliers à Tlemcen même, à Maghnia, Ghazaouet, Nedroma, dire non au cinquième mandat de Bouteflika, oui pour un changement pacifique de système.

Pour retrouver trace d’une telle adhésion autour d’un projet national, il faut remonter à la guerre de Libération. Non, les marches du 22 février et du 1er mars ne sont pas une simple contestation d’un mandat de trop… C’est une nouvelle révolution qui est en marche contre le système en place.

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