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Maroc : campagne virtuelle de boycott inédite pour consommateurs mécontents

Maroc : campagne virtuelle de boycott inédite pour consommateurs mécontents

Une mystérieuse campagne de boycott de trois marques célèbres a été lancée au Maroc avec un mot d’ordre viral sur les réseaux sociaux, forme de contestation inédite contre la cherté de la vie dans un pays où les citoyens protestent habituellement dans la rue.

Lancé il y a quinze jours, le mouvement vise avec ses logos en forme de panneaux d’interdiction les stations d’essence Afriquia, l’eau Sidi Ali et le lait Danone, tous trois leaders sur le marché.

Il focalise l’attention de la presse locale, qui s’interroge sur son origine et ses motivations.

« La dynamique de l’expression collective sur le digital est un baromètre sur la situation socio-économique du pays », analyse Rachid Jankari, expert en nouvelles technologies. Pour lui, le mouvement « reflète la maturité des usagés des réseaux sociaux », et « l’émergence d’une opinion publique +digitale+ ».

Selon un récent sondage de l’institut marocain privé Averty, 79% des internautes soutiennent le boycott. Le Maroc compte 22 millions d’internautes (63% de la population totale).

Signe de l’écho de la campagne, le groupe Danone a été obligé de s’excuser après des propos maladroits d’un de ses responsables qui avait qualifié les partisans du boycott de « traîtres à la nation ». Le ministre de l’Economie, Mohamed Boussaid a pour sa part fustigé les « écervelés » à l’origine du mot d’ordre en appelant à défendre les entreprises marocaines.

Le mouvement a « pris une ampleur qui a surpris tout le monde », commentait récemment le site d’information Media24 en soulignant ses vidéos élaborées, ses photomontages « mis en ligne en un temps record », ses messages « diffusés massivement » avec une « réactivité étonnante ».

– « Professionnels du boycott » –

« Les professionnels du boycott sont invisibles. Ils se cachent derrière un discours simpliste et populiste pour galvaniser les jeunes mécontents de leur situation sociale », décrypte Abderrahmane Rachik, un sociologue spécialiste des mouvements sociaux.

« Certains adhèrent spontanément (…) dans l’espoir de mettre fin à l’augmentation continue des prix de consommation de base, d’autres expriment un discours haineux et stigmatisant contre des personnes physiques et contre l’ordre social établi », poursuit-il.

Un homme est particulièrement visé: le milliardaire Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture depuis 2007, patron d’un parti politique libéral (RNI) et première fortune privée du pays.

Les pages Facebook qui ont relayé le mot d’ordre fustigent ses positions « hégémoniques », le « mélange business et politique » ou son rôle dans la chute de l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane (PJD, islamiste), une figure politique populaire. M. Akhannouch s’est jusqu’à présent refusé à tout commentaire.

Les mêmes soulignent toutefois que la campagne « ne répond à aucun règlement de compte politique » mais vise à « demander une baisse des prix ».

– Pas à la rue –

« L’entente sur les prix » entre grandes entreprises fait partie des griefs. Il existe un Conseil de la concurrence au Maroc, mais « ses organes sont gelés depuis trois ans », a expliqué à l’AFP son président Abdelali Benamour en se disant « incapable, de fait, de publier un rapport préparé par le conseil sur les prix des carburants ».

Les passants interrogés par l’AFP à Rabat se disent tous très heureux d’exprimer leur mécontentement via ce boycott, même si les produits visés ne sont pas les plus chers du marché. Les commerçants sont unanimes sur la baisse des ventes des produits visés.

Alors qu’en 2007, le Maroc avait connu une série de manifestations contre la cherté de la vie, les promoteurs du boycott virtuel, eux, appellent à surtout ne pas descendre dans la rue.

« Pour la première fois, le peuple marocain s’est montré uni et a pris conscience du rôle des réseaux sociaux pour changer la situation (…) toute protestation de rue serait un piège pour casser le mouvement », affirme une des pages Facebook qui soutiennent cette campagne sans nom et sans visage.

La « contribution virtuelle n’est pas risquée, aucune confrontation avec la police, pas d’intimidation possible, ni arrestation ni condamnation », estime Abderrahmane Rachik.

Selon un rapport de la Banque mondiale, la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages marocains se maintient à un « niveau élevé » (environ 40 %), « témoignant du faible pouvoir d’achat des familles ».

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