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Maroc : l’agriculture en péril et le modèle agricole remis en cause

Maroc : l’agriculture en péril et le modèle agricole remis en cause

La sécheresse qui affecte le Maroc porte un coup dur à son agriculture. En cause le dérèglement climatique, mais également une politique agricole qui conduit à l’épuisement des réserves en eau. Fait nouveau, la presse locale n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme et à dénoncer cette politique.

Ces derniers jours, le Maroc a connu plusieurs jours de fortes chaleurs. Il a fait jusqu’à 36 °C dans le sud du pays. Selon l’Observatoire européen de la sécheresse (EDO) : parmi les pays du Maghreb, c’est au Maroc que la situation est la plus grave.

Les images du satellite de Copernicus montrent actuellement des sols de couleur marron autour des villes de Casablanca, El Jadida et Safi alors qu’en janvier 2023, ils étaient de couleur verte. Des restrictions d’eau ont été déclenchées en plein mois de janvier.

Dans la région de Casablanca et de Settat, la baisse des précipitations est de 54 % par rapport à une année normale, et de 41 % comparée à la saison précédente 2022-2023 indique la météo locale.

Maroc : canicule en hiver

« Le secteur agricole national a perdu une grande partie de la production, en seulement quatre jours de forte chaleur en hiver. Si cette situation perdure cette année, la production ne sera pas au rendez-vous, il risque de ne pas y avoir tout simplement pas (sic) de production », pronostique le site Maroc diplomatique dans un article publié mardi.

Dans ce contexte, le modèle agricole marocain qui est basé sur des cultures gourmandes en eau dont les produits sont destinés à l’exportation, doit être repensé, plaide ce journal proche du Palais royal.

Au Maroc, des experts plaident pour un changement radical du modèle agricole pour privilégier les cultures moins gourmandes en eau et qui sont destinées au marché local, selon le journal.

Un de ces « experts » est le spécialiste en hydraulique agricole Marcel Kuper. Ses observations de terrain lui ont permis d’aboutir à la conclusion que 50 % des aquifères étaient surexploités. En 2010 le ministère marocain de l’Eau notait que : « Les investigations récentes évaluent les prélèvements à 5 milliards de m3/an, soit un puisement sur le potentiel non renouvelable de 1 milliard de m3/an ». Un phénomène qui concerne « les nappes phréatiques, mais aussi des nappes plus profondes » s’alarme Marcel Kupper.

Auparavant, le débat restait alors entre experts. Les choses ont changé avec l’un des premiers coups de semonce donné en juillet 2022 par Mohamed Taher Sraïri, enseignant-chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat.

Face au manque d’eau de l’été 2022, le site Médias24 l’avait interrogé sur le Plan Maroc Vert (PMV) puis le Plan Génération Green qui avait suivi.

Sans concession aucune, l’universitaire avait alors déclaré : « Le PMV a amplifié le passage d’une agriculture traditionnelle pluviale – céréales, légumineuses, élevage pastoral… – à un modèle productiviste reposant sur l’intensification de l’irrigation à des niveaux insoutenables ».

Bon connaisseur du terrain, il argumentait alors : « On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride ! ». « On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1 000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques », a-t-il ajouté.

Entre-temps les cultures stratégiques sont délaissées. C’est le cas du blé tendre dont les importations ne font qu’augmenter : 5,40 millions de tonnes sur la campagne 2023/24 contre 4,80 en 2022/23.

Avec les cycles de sécheresse que connaît le Maroc depuis 2019, les analyses critiques de la politique agricole autrefois cantonnées au seul milieu académique sont aujourd’hui reprises par la presse.

Or, il s’agit d’analyses en totale contradiction avec la politique agricole actuelle basée sur l’exportation à outrance de produits agricoles. En octobre 2020, Aziz Akhannouch, alors ministre de l’Agriculture depuis 2007 se félicitait du niveau des exportations de produits agricoles : « Les exportations agricoles devraient culminer à 39 milliards de DH en 2020 ».

Devenu chef du gouvernement en 2021, Aziz Akhannouch n’en continuait pas moins en mai 2023 à défendre le modèle agricole marocain, notamment devant le Parlement. Une stratégie en échec. Début 2023, le quotidien français Les Echos se demandait : « Jusqu’où ira l’inflation au Maroc ? Elle continue de grimper, dépassant les 10 % sur un an. Une hausse des prix qui touche en particulier les produits alimentaires ».

Un modèle que l’économiste marocain Najib Akesbi rend responsable de l’inflation que connaît le pays : « Actuellement, la situation économique et agricole au Maroc est préoccupante et ça fait des années qu’on le crie. La politique agricole actuelle est centrée sur la production pour l’exportation. Elle n’est pas destinée à la consommation interne ».

L’ex-ministre marocain de l’Agriculture aime asséner que pour développer les filières de production – et d’exportation – le Maroc bénéficie « d’avantages compétitifs » dont les superficies au goutte-à-goutte qui ont « quadruplées » ces dernières années.

Mais c’est oublier la réalité du terrain. Une réalité scrutée par les universitaires locaux dont Zhour Bouzidi de l’université de Meknès. Co-auteur d’une étude sur le sujet, elle note que l’encouragement à l’adoption de techniques « d’économie d’eau à la parcelle, notamment l’irrigation localisée » devrait se traduire par une réduction de 20 à 30 % de la consommation d’eau.

Cependant, au contraire, elle a conduit à « une augmentation des prélèvements ». En cause, l’octroi de la subvention sur ce type de matériel d’irrigation n’est pas conditionné par la limitation de la surface irriguée. Oubli du législateur que les agriculteurs se sont empressés de mettre à profit. Avec l’eau économisée, ils ont agrandi leurs superficies irriguées pour les cultures d’exportation.

Maroc Diplomatique en appelle à des alternatives : « Pour trouver des alternatives à cette équation, les agronomes appellent à repenser le modèle agricole du pays, en tenant compte des impératifs écologiques, économiques et sociaux ». Une critique à peine voilée de la stratégie d’exportation de produits agricoles d’Aziz Akhannouch.

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