Comme entre l’Éthiopie et l’Égypte avec le Nil, le Maroc et l’Algérie se partagent, ou se partageaient, les eaux de l’oued Guir qui est situé à la frontière entre les deux pays.
Avec la raréfaction des pluies, les eaux de cet oued sont de plus en plus convoitées.
Cela fait plusieurs mois que la ville de Béchar a vu son approvisionnement en eau menacé. En cause, la diminution du débit de l’oued Guir. Un oued dont l’eau alimente traditionnellement le barrage de Djorf Torba et permettait l’adduction en eau potable de la région de Béchar.
Le barrage construit entre 1965 et 1968 sur Oued Guir a été mis en service en 1973. Avec sa capacité de 365 millions de m3, il constitue l’un des plus grands barrages d’Algérie. Cette large retenue d’eau, très prisée des oiseaux migrateurs, a longtemps hébergé une grande variété de poissons et a permis le développement du périmètre irrigué d’Abadla.
Côté marocain, ces dernières années, les autorités ont décidé également de construire un barrage d’une capacité de 200 millions de m3 sur l’oued Guir.
À partir de 2021, le barrage de Kadoussa est entré en fonction, ce qui a réduit d’autant l’arrivée d’eau en aval vers Djorf Torba. Par ailleurs, ces dernières années le débit de l’oued Guir s’est considérablement réduit.
En cause, le manque de neige sur l’Atlas marocain. Des neiges, qui autrefois éternelles, se font de plus en plus rares avec le réchauffement climatique accéléré que connaît la bordure ouest du Maghreb et de l’Espagne.
Barrages agricoles côté marocain
Côté marocain, les agriculteurs ne se satisfont pas du seul barrage de Kadoussa. Ils réclament plus. À la mi-février, selon le média marocain Hespress, des agriculteurs ont réclamé à cor et à cri la construction d’une multitude de barrages de plus petites dimensions.
C’est le cas de Musaaf Al-Hassan, un agriculteur de la région de Tata, qui s’inquiète de « la gravité de ce problème pour l’agriculture et la production agricole dans la région du sud-est » marocain.
Pour cet agriculteur « la situation est devenue très préoccupante, surtout dans la situation actuelle que traverse notre pays » car note-t-il : « L’eau de la vallée se dirige vers l’Algérie ».
Et Musaaf Al-Hassan d’indiquer que « les autorités marocaines sont tenues de construire des barrages souterrains qui forment une ceinture d’eau qui préserve cette richesse », l’idée est d’ « d’épargner aux agriculteurs de la région une perte d’eau constante ».
Cet agriculteur ne serait pas le seul à réclamer que cette eau reste du côté marocain. Pour Hussein Baadi, un agriculteur de la région de Zagora : « Les eaux de la vallée du Draâ se perdent sur le territoire algérien et la construction de barrages empêchera ce phénomène qui affecte les villageois et le simple agriculteur ».
Ce dernier insiste sur l’intérêt des barrages à infero-flux ou barrages souterrains qui arrêtent le flux d’eau souterraine même lorsque les oueds sont à sec : « Il y a des petits barrages qui ont déjà été construits dans la région, mais ils ne sont pas suffisants, comparés aux barrages souterrains ».
L’agriculteur en question se plaint que les demandes des agriculteurs n’aient pas été entendues : « Ces revendications étaient anciennes, et aujourd’hui elles se renouvellent avec la détérioration de la situation de l’eau, qui menace non seulement le citoyen ordinaire, mais aussi, et dans une plus large mesure, les paysans ».
Oued Guir, au cœur de la guerre de l’eau entre l’Algérie et le Maroc
La région de Zagora située au sud-est du Maroc est notamment spécialisée dans la production de pastèques destinées à l’exportation. Des exportations érigées depuis 15 ans en politique agricole nationale et qui ont épuisé les nappes phréatiques alors que le Maroc est confronté à une baisse du niveau des précipitations.
Dès le mois de mars, Zagora est capable d’inonder les marchés européens de pastèques, une culture particulièrement rémunératrice mais qui présente l’inconvénient de consommer énormément d’eau dans un pays qui fait face à une sécheresse endémique.
Hussein Baadi alerte d’un fait qu’il juge grave, la migration des producteurs de pastèques de Zagora : « La plupart des agriculteurs du sud-est envisagent de partir en Mauritanie et dans d’autres pays africains ».
Comme l’Algérie, l’agriculture au Maroc semble être confrontée aux « entrepreneurs itinérants ». Il s’agit d’investisseurs de taille moyenne spécialisés dans un seul type de production : pastèque, pomme de terre ou oignons qui se déplacent selon les capacités en eau des régions d’accueil.
Travaux de transfert et d’interconnexion
Côté algérien, la réduction du débit de l’oued Guir a provoqué l’assèchement du lac de barrage à Djorf Torba entraînant une catastrophe écologique majeure. Dès juillet 2022, des associations algériennes de protection de la nature alertaient sur le sort de milliers de poissons retrouvés morts sur les berges.
Pour approvisionner en eau la ville de Béchar et les localités voisines, les pouvoirs publics ont adopté en urgence un transfert d’eau.
En mai dernier, lors d’une visite de terrain, le ministre de l’Hydraulique, Taha Derbal, a indiqué à l’agence APS que « le projet d’envergure de transfert des eaux albiennes du champ de captage de Guetrani (200 km au nord du chef lieu de wilaya), vers Béchar a pour unique objectif la sécurisation de l’alimentation en eau potable des habitants de cette région du sud-ouest du pays ».
Bien que moins ambitieux que celui amenant de l’eau d’In Salah vers Tamanrasset, il s’agit cependant d’un projet mobilisant d’énormes moyens dont 32 milliards de DA. Sur 200 km, une armada de pelleteuses réalisent une tranchée devant accueillir une canalisation de gros diamètre.
Selon Messaoud Maatar, directeur-général de l’Agence nationale des barrages et des transferts, le projet « porte sur la réalisation d’un total de 26 forages confiés à une entreprise publique spécialisée, d’un réseau de collecte des eaux sur un linéaire de 57 km, une canalisation de conduite vers Béchar de 213 km, trois grandes stations de pompage, un château d’eau d’une capacité de 20.000 mètres cube ».
À ce jour, les réservoirs et les stations de pompage sont en cours d’achèvement.