
Ils étaient pour la plupart jeunes enfants quand les événements du 17 octobre 1961, dont nous célébrons ce vendredi le 64eme anniversaire, avaient éclaté à Paris.
Ce jour-là, des milliers d’Algériens vivant dans les bidonvilles autour de Paris, à Nanterre, Gennevilliers ou Courbevoie, ont répondu à l’appel du FLN pour manifester pacifiquement contre le couvre-feu raciste imposé aux « Français musulmans d’Algérie » par le préfet de police Maurice Papon. La répression fut d’une brutalité inouïe : des centaines de morts, des corps jetés dans la Seine et des rafles massives.
A lire aussi : Visas diplomatiques : l’Algérie accuse la France de « mauvaise foi »
Longtemps étouffée, cette nuit sanglante et cet épisode restent une plaie ouverte dans la tumultueuse histoire franco-algérienne. Il aura fallu attendre 2012 pour qu’un Président français, François Hollande en l’occurrence, daigne enfin « reconnaître avec lucidité », au « nom de la République », la « sanglante répression » au cours de laquelle ont été tués « des algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ».
Plus de soixante ans après, ceux qui étaient alors enfants s’emploient à perpétuer la mémoire et militent pour que le 17 octobre 1961 soit pleinement reconnu par les autorités françaises et inscrit dans les manuels scolaires. Pour TSA, Louassini Djamai, Messaoud Bouzenzene, Ahmed Djamai et Djamel Charit reviennent sur cette journée qui a marqué leur enfance et façonné leur engagement.
A lire aussi : Imane Khelif dément sa retraite et accuse son ex-manager de trahison
« Je voyais des têtes tristes et mon père me tirait la main »
«Ce qui m’a marqué, c’est lors de la préparation, en sortant des bidonvilles…Ce sont les images d’enfants, quand on a huit ans, c’est un regard d’enfant », raconte Djamai Louassini alors âgé à peine de huit ans.
« Je voyais ces hommes différents, leurs parkas en cuir, leurs gabardines bien serrées, cette agitation autour de nous. Nous partions vers le pont de Neuilly. C’était pour moi le bout du monde », se souvient-il.
A lire aussi : L’Algérie instaure un triple contrôle des importations
Haut comme une pomme, le petit enfant, arrivé sur les lieux, ses mains tenus par ses parents, tente de lever la tête pour voir la foule qui défile, sans rien comprendre cependant.
« On a traversé le bidonville de « la Folie », à Nanterre. J’étais petit, je levais la tête pour voir les gens. Il y avait des têtes tristes. Mon père me tirait la main pour avancer. On a traversé 90 % du pont, puis on a été bloqués. Il y avait tellement de monde… », se remémore-t-il.
La nuit tombe, les premiers coups de feu retentissent. Le garçon, distrait regardant parfois les péniches sur la Seine, ne comprend pas encore ce qui se joue.
« On sent que la population repoussait ce qu’il y’a devant elle, je sentais qu’on a traversé le pont. Mon père m’a tiré la main, tout comme ma mère enceinte, il m’a mis sur le côté, on attendait… ».
Et ce n’est que bien des années plus tard et son parcours dans le théâtre, qu’il mesure la portée de ce qu’il a vécu. « C’est avec l’âge que j’ai compris. Je la classais dans la continuité de la guerre d’Algérie, puis j’ai réalisé que c’était plus que cela : une manifestation sur le territoire même de l’envahisseur. Tous les pays colonisés n’ont pas eu cette audace. L’Algérie, elle, a osé dire « non » chez l’agresseur »
Bouzenzene Messaoud : « Des Français ont aussi marché pour l’Algérie »
Président des « Chibanis » de Nanterre et membre du collectif du 17 octobre, Bouzenzene Messaoud, 68 ans, n’avait que quatre ans ce jour-là.
« Je me souviens des femmes du bidonville, militantes, qui parlaient de libérer Ahmed Ben Bella (premier président algérien). On ne parlait pas de Seine. Je suivais ma mère qui marchait avec un groupe de femmes. À un moment, on a entendu du bruit et on s’est sauvés », se souvient Messaoud qui lui aussi ne comprenait pas tout à fait l’effervescence qui s’était emparée de leur bidonville.
À peine avait-il entendu des femmes évoquer le nom de Benbella, un des dirigeants de la révolution emprisonné alors en France depuis 1956 en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Ait Ahmed, Mohamed Khider et Mustapha Lacheraf.
Il se souvient s’être retrouvé dans un dispensaire de Petit-Nanterre. «On était assis, accoudés, tremblotants, et c’est là que le soir une secrétaire du centre nous a vus et nous a emmenés chez elle et on a passé une semaine. Voilà le seul souvenir que j’ai du 17 octobre 1961. On est restés chez cette dame pendant plus d’une semaine. On n’avait pas de nouvelles de mon père…j’ai appris après qu’il était en détention à Vincennes ».
Cet accueil par cette famille va marquer à jamais le jeune enfant. « J’ai compris plus tard qu’il n’y avait pas que les Algériens, mais il y avait aussi des Français qui se battaient pour l’Algérie. Il faut le dire ! Certains Français ont marché avec nous. On n’en parle pas assez».
Quel regard porte-t-il aujourd’hui sur ces évènements ? « Avec le recul, c’était un combat difficile, on a subi, nos parents ont subi, on nous disait « les Algériens », on n’était pas un département français, on était colonisés, on était des sous-fifres, des sous-hommes pour eux, on nous appelait à l’époque les bougnoules, les ratons, c’est ce que nous avions subis depuis toujours ».
Aujourd’hui, Messaoud Bouzenzene milite pour que cette mémoire soit transmise et reconnue. « Aujourd’hui, notre combat avec l’association les « chibanis », c’est pour la mémoire, la reconnaissance du 17 octobre et du 8 Mai 1945. C’est le combat depuis toujours. Grâce au travail du collectif, on a un boulevard du 17 octobre à Nanterre, derrière la préfecture, ce n’est pas rien », se félicite-t-il. Mais, il veut que ces événements soient connus dans l’histoire officielle française. « Il faut que le France intègre cette date dans son histoire officielle, car il y a des français de souche qui ne connaissent pas ça ».
« J’entendais des cris, je voyais des gens qui courraient dans tous les sens »
Djamel Chirat est né en France. Sa famille s’est installée à Nanterre le 1er août 1961, à la cite des Marguerittes. « J’ai participé avec mon père au 17 octobre 1961 », raconte-t-il. Arrivés au pont de Neuilly aux portes de Paris, la répression éclate.
« J’entendais des cris, je voyais des gens qui courraient dans tous les sens, des hommes en noir. Mon père me serrait dans ses bras, et il a remboursé chemin », raconte Djamel qui a pense avoir sauvé la vie de son père ce jour-là. Arrivés à la cité, c’est la panique totale.
« Les gens comptaient ceux qui revenaient, ils étaient blêmes », se souvient-il. Pour lui, le 7 octobre 1961 a « permis de montrer au monde ce qui était la guerre d’Algérie, le comportement de la police de Maurice Paon ».
« Une histoire française qu’il faut écrire »
Ahmed Djamai, le plus jeune frère de Louassini, a grandi lui aussi dans les bidonvilles de Nanterre. Si ses parents avaient toujours refusé de lui parler des événements de 1961, de peur qu’il « ait des problèmes avec les Français », les péripéties qu’il a éprouvées, dès l’indépendance, lui ont ouvert les yeux sur une réalité dont il a fait depuis un combat.
« De un à dix-huit ans, j’étais considéré comme un immigré. À dix-huit ans, la gendarmerie m’arrête à Paris : j’avais une fiche de recherche alors que j’étais devenu Français d’office après 1962. On a mis dix-huit pour savoir que j’étais français», dit-il avant d’assurer que ses parents n’ont jamais voulu lui parler du 17 octobre.
« Ils avaient peur pour nous. Mais plus tard, en militant dans le monde associatif, j’ai fini par leur faire raconter, mon père et ma mère. Mon frère a fini par « cracher le morceau » il y a quelques années ».
Engagé depuis 35 ans dans le tissu associatif et une vingtaine d’années au sein du collectif du 17 octobre, Ahmed Djemai a porté le combat de la mémoire jusqu’à l’Assemblée nationale.
Internationaliser le combat pour la reconnaissance du 17 octobre 1961
« La mairie de Nanterre commémore désormais chaque année le 17 octobre, mais au niveau du gouvernement, rien n’a été reconnu officiellement. Je milite comme Français, parce que c’est une histoire de France. Une histoire sombre que la France doit regarder en face. Elle doit figurer dans les manuels scolaires», soutient-il.
« C’est ce qui est important, nous avons un regard plutôt français. On nous a dit qu’on était français après 1962, on a accepté, donc c’est l’histoire de France ».
Ahmed Djamai est convaincu que la France ne reconnaîtra pas ce massacre comme un crime d’Etat. « Les revanchards sont revenus en force et nous découvrons qu’une partie de la population est extrémiste, notamment quand il s’agit de l’Algérie. Il y a des villes autour de Nanterre ne veulent même pas parler du 17 octobre. Un refus total ».
Face à ce mur, Ahmed Djamai veut internationaliser la revendication de la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, saisissant l’ONU et les juridictions internationales.