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Me Khaled Bourayou : « Il y a un fossé énorme entre le pouvoir et les droits de la défense »

Me Khaled Bourayou : « Il y a un fossé énorme entre le pouvoir et les droits de la défense »

Me Khaled Bourayou, revient dans cet entretien sur les raisons de la grève des avocats en cours depuis hier dimanche. Il plaide pour une réforme du secteur judiciaire en Algérie.

Une ordonnance a été prise par le ministère de la Justice sur la généralisation des procès par visioconférence, tout en élargissant cette technique aux procès jugés importants. En quoi consiste cette ordonnance et dans quel contexte intervient-elle ?

L’Ordonnance 20/04 est intervenue le 31 août 2020 au moment où les détenus dans les procès pour corruption (procès impliquant des hommes d’affaires, Ndlr) ont fait appel des décisions du tribunal. Dans l’intervalle de l’appel, cette ordonnance est intervenue. Elle a un objectif : c’est qu’on ne pourrait plus reporter les procès ; ils vont être accélérés par le renforcement des prérogatives du président (du tribunal) qui peut décider de la tenue par la visioconférence et rejeter les demandes de la défense. La décision est sans appel. Elle est exécutoire. Cette ordonnance, qui va être ratifiée par le Parlement, a été élaborée sans concertation avec l’Union des avocats. Elle vise à renforcer les prérogatives des juges qui peuvent décider de la tenue des procès par visioconférence.

A mon avis, cette ordonnance est frappée d’inconstitutionnalité pour la bonne raison que l’organisation des avocats n’a pas participé à son élaboration.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas opposés à cette ordonnance au moment de son élaboration ?

Comment s’opposer à une ordonnance qui fait valeur de loi ?

Vous n’avez aucun moyen de vous faire entendre, au moins ?

La question est de se demander pourquoi on n’a pas demandé l’avis de la corporation ? C’est parce que la conception du pouvoir, et ce depuis plusieurs années, est que c’est lui qui légifère par ordonnances ou par le biais de l’APN, afin de prendre en charge les besoins du pouvoir exécutif au détriment des droits de la défense. Nous disons, nous avocats, pourquoi la visioconférence est-elle nécessaire dans des procès importants ? On a bien transféré des détenus au plus fort du terrorisme !

Le décret 07/99 dispose dans son article 15 : « Le transfèrement (des détenus) se fait à l’issue de la décision définitive du prévenu ». Cette fois-ci, on a envoyé des détenus (transfèrement de Haddad et de Tahkout respectivement vers Batna et Khenchela, et Ahmed Ouyahia à Abadla, Ndlr), alors que leur appel est toujours en cours et on a fait un procès par visioconférence. Pourquoi les transférer et leur appliquer la vidéoconférence ? Mais tout ça c’est accessoire par rapport au véritable problème…

Où se situe alors le véritable problème ?

C’est dans le fait de savoir si l’Etat consacre une place à la corporation des avocats pour qu’ils soient une force de participation et de concertation. Aujourd’hui, il y a un fossé énorme entre le pouvoir et les droits de la défense. Les critiques de ce pouvoir envers la défense n’ont jamais cessé depuis vingt ans. Aujourd’hui, il faut que l’Etat, notamment le président de la République, opère une réforme fondamentale du secteur judiciaire. L’incident qui a eu lieu jeudi à la Cour d’Alger est malheureux. Le fossé est tellement grand qu’il y a absence de dialogue. Les interventions de Me Sellini, bien que passionnées, vont dans le sens du respect des droits de la défense.

En signe de solidarité avec leur bâtonnier, l’ordre des avocats d’Alger a décidé d’un boycott des audiences pendant une semaine, et un sit-in de protestation a eu lieu devant la Cour d’Alger. Un commentaire ?

Les récents incidents ont pour origine cette ordonnance. Cette action est positive mais ça reste insignifiant. C’est une protestation qui va durer une semaine mais qui, en fait, ne changera rien.

Que faudrait-il faire de plus, d’après vous ?

Il faut premièrement une conception nouvelle et objective du rôle de la défense. Le droit à la défense est fondamental. Il doit être pris en considération dans l’élaboration d’un texte juridique. Il faut de la concertation, et de la démocratie qui suppose de tenir de l’avis de l’autre. Aujourd’hui, il faut, à mon avis, une réforme du système judiciaire qui est devenu obsolète. On n’a pas aujourd’hui les réflexes d’une adaptation aux standards d’indépendance de la justice. Il est impératif que le pouvoir accorde une place importante à la justice. Elle n’est pas uniquement l’affaire du pouvoir exécutif mais elle est surtout l’affaire de ceux qui l’exercent. Pour qu’un procès soit équitable, le juge doit être équitable. C’est-à-dire qu’il va regarder la défense comme un droit objectif et essentiel dans la protection des intérêts du prévenu.

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