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Médecins résidents : le conflit s’enlise

Médecins résidents : le conflit s’enlise

Les médecins résidents en ophtalmologie ont boycotté, ce lundi 19 mars, leur examen de DEMS censé sanctionner la fin de leurs études de spécialisation.

Après le boycott général de la session ordinaire du DEMS, en janvier et février, le ministère de l’Enseignement supérieur a programmé cette deuxième session pour les mois de mars et avril, de façon unilatérale et contre l’avis des résidents.

Ceux-ci souhaitaient le report des examens jusqu’à résolution du conflit les opposant à leur tutelle depuis près de quatre mois. Ils avaient affirmé, dès l’annonce du calendrier de la deuxième session, leur volonté de « reboycotter » les examens.

La spécialité d’ophtalmologie, chronologiquement la première de cette deuxième session a été totalement boycottée par les résidents. Seuls quelques médecins relevant du ministère de la Défense ont passé l’examen.

Le boycott qui fait peur à la tutelle

Un boycott « réussi » pour le Collectif autonome des médecins résidents algériens (Camra) qui souligne néanmoins, à travers son porte-parole, le Dr Boutaleb, que ce deuxième boycott, contrairement au premier, s’est passé dans de mauvaises conditions.

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Lors de la session ordinaire du DEMS, les examens se déroulaient dans les CHU de la capitale et dans le calme. Aucune présence policière n’a été constatée aux abords des centres d’examens, malgré la mobilisation des résidents pour soutenir les « boycotteurs ».

Ce lundi, les résidents ont été surpris par un déploiement sans précédent des forces de l’ordre autour de la faculté de médecine de Ziania où s’est déroulée l’épreuve. Dès 9 heures, des résidents non-concernés par l’examen, présents sur place en soutien aux résidents examinés, ont été arrêtés par la police et conduits vers divers commissariats d’Alger où ils ont été retenus plusieurs heures sans qu’aucune explication ne leur soit donnée.

« Ils m’ont arrêté à 9 heures, en compagnie de plusieurs autres résidents. Ils nous ont conduits au commissariat de Sidi Fredj où ils nous ont retenus jusqu’à 16 heures. Pendant notre détention, nos téléphones ont été confisqués, les photos du rassemblement des résidents qu’ils contenaient ont été supprimées par les policiers, certains téléphones ont été totalement formatées », a expliqué le Dr Hamza Boutaleb à TSA.

Violation de la franchise universitaire

En plus des arrestations effectuées aux abords de la faculté de médecine, la police a violé la franchise universitaire, selon le Camra. Son porte-parole a affirmé que « des résidents qui étaient présents à l’intérieur de la faculté de médecine ont été appréhendés par des policiers en civil ».

En tout, ce sont près de 50 résidents qui ont été arrêtés. La plupart ont été libérés vers 14 heures alors que ceux détenus au commissariat de Sidi Fredj ne l’ont été qu’après 16 heures.

Suite à ces arrestations, les résidents ont organisé un sit-in au CHU Mustapha Pacha, pendant lequel des échauffourées ont éclaté lorsque des policiers ont pénétré l’enceinte de l’hôpital pour appréhender d’autres résidents. Plusieurs blessés ont été recensés par le Camra, dont le Dr Meriem Hadjab, membre du bureau national du collectif. « Elle a été agressée par des policiers et sa blessure a nécessité plusieurs points de suture », a appris à TSA le Dr Saboundji, membre du Camra de Tizi-Ouzou.

Cette tentative de réprimer et d’empêcher le boycott des examens du DEMS est inédite et n’a pas été constatée lors de la session ordinaire. Ce qui fait dire au porte-parole du Camra que les autorités « craignent ce nouveau boycott et font des pieds et des mains pour l’empêcher ».

« L’examen de ce lundi devait se tenir au CHU de Bab El Oued mais par crainte d’une éventuelle action des centaines de résidents travaillant dans l’établissement, il a été délocalisé, à la dernière minute, vers la faculté de médecine », a expliqué le Dr Boutaleb. Un autre indicateur de l’importance que revêt cette deuxième session du DEMS aux yeux des autorités.

La répression policière est, pour le Camra, une « tentative d’intimidation » qui vient s’ajouter aux récentes mises en garde du ministre de l’Enseignement supérieur, Tahar Hadjar. « Les examens (du DEMS) ne seront pas reportés, ceux qui viendront les passer seront les bienvenus et ceux qui ne viendront pas devront assumer leurs responsabilités », avait déclaré le ministre deux jours auparavant.

Mais malgré les mises en garde du ministre de l’Enseignement supérieur et les pressions policières exercées sur eux, les résidents semblent déterminés à aller jusqu’au bout du boycott du DEMS et de leur mouvement.

« Les résidents ont réussi à bloquer le premier jour des examens, nous avons accompli le plus important. Nous allons continuer notre combat jusqu’à la fin de ce mois d’examens », explique Moussa Bacha, membre du Camra.

Ce qui attend les hôpitaux algériens

Le conflit qui oppose les résidents à leurs deux ministères de tutelle s’enlise de plus en plus depuis la rupture du dialogue à la fin février. Même si les résidents sont, du point de vue de la satisfaction de leurs revendications, presque au même point qu’au début de leur mouvement, la situation du ministère de la Santé paraît plus tendue puisque les résidents peuvent encore abattre deux cartes décisives : celles de l’année blanche et de la démission collective.

L’éventualité de l’année blanche est largement admise par les résidents. Dans la plupart des CHU, des assemblées générales ont été organisées, pendant lesquelles les médecins grévistes se sont exprimés en faveur de la déclaration de l’année blanche en cas de blocage de la situation.

Avec le boycott de cette deuxième session du DEMS qui sera « total », comme l’affirment les délégués nationaux du Camra, l’année blanche semble être inévitable. Dans ce cas, les hôpitaux et le ministère de la Santé seront les grands perdants.

Une année blanche causée par l’annulation des examens du DEMS signifierait que le système de santé provoquera un manque d’environ 2000 médecins, pharmaciens et dentistes spécialistes. Un vide que le ministère aura du mal à combler, beaucoup de régions algériennes souffrant déjà et de façon aiguë d’un manque de personnel médical.

L’autre éventualité, celle de la démission collective à laquelle les résidents se préparent, est sous-estimée par le ministère de la Santé. « Il faut savoir que les structures qui accueillent les résidents représentent 6% seulement des établissements publics et n’existent que dans neuf wilayas », explique à TSA Slim Belkessam, responsable de la communication au ministère de la Santé.

Mais c’est là un chiffre à prendre avec des pincettes puisque, même s’il est vrai, les 6% d’établissements ayant recours aux services des résidents sont les centres hospitalo-universitaires qui se situent dans les grandes villes algériennes. Ces hôpitaux se chargent de la totalité des cas graves et d’une grande partie des malades chroniques.

Si l’année blanche est déclarée ou si les résidents décident d’une démission collective, le ministère de la Santé se retrouvera dans une situation inédite. Les hôpitaux principaux du pays, ceux qui prennent en charge les malades les plus lourds perdront une grande partie de leur personnel médical le plus qualifié et le plus utile, puisque, même si le règlement interdit que les résidents se chargent seuls des gardes, en pratique c’est presque la règle dans tous les hôpitaux.

Le pourrissement du conflit entre les résidents et le ministère de la Santé mène le pays vers une crise sanitaire sans précédent.

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