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Mémoires de « Rabe Edzayer » des années rouges

Mémoires de « Rabe Edzayer » des années rouges

Chronique livresque. À 80 ans passés, miné par les maladies, retiré de la vie politique, le général Khaled Nezzar fait toujours parler de lui. Dans les mémoires de ceux qui l’ont pratiqué, comme Belaid Abdesslam dans ses « Chroniques et réflexions inédites », qui le qualifie de véritable maître de l’Algérie début des années 90, sinon par ses propres ouvrages qui ont la régularité du métronome.

On l’oublie un peu et bang : voilà un livre qui sort, jamais anodin, suscitant toujours le débat. C’est que le général Nezzar ne laisse personne indifférent. Qu’on l’aime beaucoup ou qu’on le déteste pareillement, on ne peut nier qu’il fut mêlé de près à la tumultueuse histoire de notre pays. Au fil du temps, il est devenu une sorte de porte-parole de la grande muette avant de se faire éclipser par le très communicant vice-ministre de la Défense.

Nezzar, un militaire politique qui se méfie des politiciens

J’ai toujours pensé que Nezzar est un général politique qui avait au départ une haute idée de la politique, avant que la fréquentation des politiciens ne le dégoûte des hommes politiques si bien qu’il a fini par les considérer, ayant la force des armes avec lui, comme des marionnettes sans principes, ni estomac.

Cette conviction a été forgée dès le 19 mars 1962 et la course vers le pouvoir, la course vers Alger : « C’est à partir de ces journées de grand désarroi que j’ai acquis une méfiance instinctive de la « politique » menée pour des considérations égoïstes. Je me suis promis, pendant cette marche sanglante sur Alger, de privilégier toujours les intérêts de mon pays au-delà des cacophonies partisanes et des calculs politiciens. Je m’en souviendrai trois décennies plus tard, quand je serai face à de grands choix. »

Dans ce recueil de mémoires, il s’attache à revenir sur sa carrière militaire sans langue de bois. Mais ça on l’a déjà lu dans ses mémoires parues en 1999 et dans ses autres livraisons. En fait, l’essentiel du livre a été déjà publié sous une autre forme dans ses précédents ouvrages. On peut même dire que c’est le moins intéressant sur le plan informationnel.

Dans le premier livre, il raconte crument, du vivant de Chadli « comment il a désigné Zeroual », « la connivence Hamrouche-Chadli-Fis », « la mauvaise gestion de la crise sahraouie par Chadli », « la gestion catastrophique des deniers du MDN par Belloucif », et ce raccourci terrible qui résume la gestion Chadli : « L’avis du mouhafedh dominait désormais celui du gestionnaire. »

Quel est alors l’intérêt de cet ouvrage si tout ce qui est dit est une redite ? Essentiellement la quatrième partie inédite dans son ensemble, avec des aveux intimes, oh ! À peine, mais juste ce qu’il faut pour montrer que l’homme a un cœur ; et puis aussi une analyse sans concession des choix militaires de Boumediène et Chadli, et, surprise, ce dernier ne reçoit pas, comme dans les ouvrages précédents, que des critiques.

Dès la préface, celui qui tient la plume, Mohamed Maarfia, met le couteau sur la plaie : celui de l’appartenance de Nezzar à l’armée française avant qu’il ne rejoigne l’ANP. Il ne fut ni harki, ni rallié de la dernière heure, il fut pareil à ceux qui l’ont précédé dans cette voie qui a permis à de jeunes algériens de se roder d’abord sous la tenue coloniale pour mettre, ensuite, leur expérience des armes au service de la cause libératrice de leur pays.

À ce titre, il cite nombre de moudjahidin exemplaires : Abderrahmane Bensalem, Abdallah Belhouchet, Ben Boulaid, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Ben Bella, Ouamrane et tant d’autres qui ont fait honneur au pays.

Boumediene joueur d’échecs, Chadli modernisateur de l’armée

La quatrième partie s’ouvre par la critique des choix militaires de Boumediene qui a détourné l’armée, selon lui, de ses véritables missions constitutionnelles par les calculs de pouvoir et par ses phobies. L’admiration pour Boumediene n’exclut pas chez Nezzar un droit d’inventaire très critique.

Ainsi, Pour Boumediene, le développement économique du pays passe avant celui de l’armée qui n’était pas sa priorité. Il se méfiait d’elle après les tentatives de putsch de Tahar Zbiri, et l’attentat dont il a été victime. Ce n’est qu’avec Amgala « qu’il se rend brusquement compte qu’une armée ce n’est pas seulement des directeurs centraux réduits à des rôles de chefs de bureau travaillant sous la férule d’un secrétaire général attentif à ne pas faire de l’ombre au « patron », de braves chefs de région enlisés dans leur routine et d’une poignée d’officiers professionnels sans pouvoir et surtout sans moyens. » Autant dire que l’armée algérienne était alors un tigre en papier. Elle vivait sur le mythe de la glorieuse ALN.

Boumediene chef de guerre ? Nezzar n’y croit pas en dépit de son affection et de son respect pour lui : « Boumediene possédait quelques notions militaires rudimentaires teintées de vagues réminiscences des batailles de la seconde guerre mondiale, mais il confondait les grands espaces sahariens avec une table d’échecs. » La formule fait mouche. Qui oserait cette tirade sinon Nezzar ? C’est que le général ne mâche pas ses mots. En cela, il se situe aux antipodes des politiciens qui usent d’euphémismes et de circonvolutions dans leurs mémoires, ménageant l’avenir qui pourrait leur réserver un retour aux affaires.

Quoiqu’il en soit, Boumediene rappelle Nezzar de l’école de guerre de Paris et lui demande de partir à Tindouf pour étudier la situation avec des propositions au final. Il y passera de nombreuses semaines. Dans le rapport écrit qu’il remet au président, Nezzar met l’accent sur un certain nombre de points pouvant permettre à l’armée d’accomplir ses missions comme l’approvisionnement, l’encadrement, l’entraînement, l’organisation ainsi que les commodités nécessaires qui permettront de supporter les conditions difficiles du grand Sud.

Mais en fait c’est avec Chadli que cette région militaire sensible connaîtra un bond qualitatif et une modernisation de l’outil militaire sans précédent. Nezzar le reconnait : « Chadli, parce qu’il était issu de l’armée, connaissait ses insuffisances et ses imperfections. Il n’avait de contentieux avec aucun des cadres de l’institution. Bendjedid n’avait pas les mêmes blocages psychologiques et les mêmes peurs que son prédécesseur. L’organisation, la formation, l’équipement et la modernisation, commencés lentement dans les années 1960 et 1970 connaîtront un rythme plus profond et plus accéléré au cours de la décennie 1980 ».

Chadli et son « Oudro’ssou »

Plus loin et plusieurs critiques sur Chadli, il le résume cruellement en cousin de François Hollande : « Chadli Bendjedid -c’est une constante chez lui- ne tranche pas. Il renvoie la balle avec une formule passe-partout. Il écoute, reste pensif un moment, puis il dit : « Oudro’ssou. » Ce « oudro’ssou. » vague, imprécis, formulé en italiques minuscules et tremblotantes, n’est jamais conclu par un point d’exclamation, mais par une infinité de points de suspension. Mais qui doit étudier quoi, où, comment dans combien de temps ? » Constat accablant.

Nommé chef d’état-major, avec le soutien de son prédécesseur Abdallah Belhouchet, Nezzar enverra à la retraite des généraux, compagnons de lutte, qu’il jugeait inaptes à la fonction. Ils lui garderont une solide rancœur et de terribles inimités. Il cite, à ce titre, un cas édifiant : « Avant même ma décision de mettre à la retraite ces anciens, il y a eu une décantation naturelle sur le terrain. L’exemple d’Amgala est à cet égard significatif. Mohamed Salah Yahiaoui, chef de la « 3e région militaire, incapable de faire face aux entreprises marocaines, cède la place à un parfait professionnel, Selim Saadi en l’occurrence. Yahiaoui ira au parti où il pourra donner libre cours à ses talents d’orateur, grand défenseur des constantes et de la guerre idéologique au français et aux francophones. Il mènera un combat victorieux contre Mostefa Lacheraf, ministre de l’Éducation nationale, qui avait une vision avant-gardiste de l’école algérienne. »

Lacheraf, lui-même, dans ses mémoires souligne qu’il a failli se faire tabasser à Guelma par une milice du FLN à la solde de Yahiaoui. Et il était ministre de l’Éducation nationale ! Que lui reprochait Yahiaoui ? De ne pas parler l’arabe académique. Ce qui était tout à fait faux, Lacheraf étant un parfait bilingue, maniant la langue de Réda Houhou avec le même bonheur que celle de Molière. Mais même s’il ne maniait pas l’arabe scolaire, où est le problème, serait-on tenté d’écrire ? Le constat de l’auteur, pour terrible qu’il soit, plonge aux racines du mal de l’école algérienne prise en tenaille entre les baathistes et les islamistes qui font souvent alliance contre toute réforme ouverte à la modernité.

Les trois cercles d’une vie

Dans les mêmes pages, Nezzar laisse parler son cœur. Il dépose les armes pour dire, avec émotion, que ses années à Biskra en tant que chef de l’école des parachutistes sont peut-être les plus heureuses de sa vie. Il évoque les trois cercles qui font l’existence d’une vie.

« Le premier est plein du visage de feu mon épouse et de celui de mes enfants avec les multiples et inoubliables détails. » L’autre cercle est le professionnel où il a été heureux d’inculquer à ses hommes à la base de Biskra les règles qui font les soldats d’élite alors. Enfin le troisième cercle est l’amical. Toujours à Biskra, il a connu la véritable amitié qu’on retrouve en cas de besoin. Il a des mots touchants et poétiques pour parler de ceux qui lui ont fait aimer la reine des Zibans.

Sous l’armure du soldat qui ne craint pas de dire ce qu’il pense y compris avec des formules les plus outrancières, se cache un cœur qui croit à l’amour d’une femme, la fraternité des armes et l’amitié qui se nourrit de sacrifices.

Même si par certains côtés, on l’a déjà souligné, ces mémoires donnent une impression de déjà-vu, ils ont le mérite d’exister, car écrites par un acteur de premier plan qui ne craint pas de dire , parfois avec brutalité, ses vérités sur les hommes et les événements, quitte à écorner parfois les mythes. Ce qui nous change des livres de certains politiques qui ménagent la chèvre et le chou. Et parfois nous font croire que c’est le chou qui a mangé la chèvre.


Recueil de mémoires du général Khaled Nezzar (Tome 1)
Chihab Editions
Prix public : 1500 DA

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