Politique

Mokhtar Said Mediouni : « Nous vivons en Algérie une situation d’exception »

Le chef d’état-major a annoncé hier mercredi avoir instruit la gendarmerie pour interdire l’accès des manifestants à Alger à partir des autres wilayas. Que pensez-vous de cette mesure ?

Mokhtar Saïd Mediouni, officier supérieur de l’ANP à la retraite : pour moi, cette décision est légale. Tant qu’il y a des paramètres de sécurité en jeu, que la sécurité de la Nation est elle aussi en jeu, alors oui elle est légale. La menace dont le chef d’état-major a parlé, hier dans son discours, est réelle. Le complot qui visait l’Algérie et son peuple est réel. Les services de sécurité détiennent des preuves. Je me pose une question : est-ce que le chef d’état-major a, dans son discours, interdit la tenue des manifestations ? Non, il ne l’a pas fait. A-t-il dit que les Algériens n’ont plus le droit de manifester ? La réponse est également non. Il a dit plutôt maintenant que la situation est telle qu’on doit éviter que les gens viennent d’autres wilayas sur Alger le vendredi. Et il n’y a pas qu’Alger qui soit visé par cet afflux de manifestants venant d’autres wilayas, il y a aussi Oran et les autres grandes villes… La tenue des élections qui a été décidée est en train de créer une panique au sein des réseaux qui ont toujours refusé le dialogue et l’organisation du scrutin. La décision d’interdiction s’est faite conformément à la Constitution dont l’article 28 charge l’Armée d’assurer la sécurité de ce pays.

Comment peut-on faire la différence entre un citoyen qui vient à Alger pour ses occupations et un autre qui vient pour manifester ?

Pensez-vous que le professionnalisme des services de sécurité va interdire à quelqu’un qui a une urgence de se rendre à Alger ? Les agents des services de sécurité sont formés pour détecter le bon grain de l’ivraie. On sait quand il y a une urgence et on sait qui va manifester. Ceux qui viennent manifester sont connus et répertoriés depuis 8 mois, car ce sont les mêmes personnes.

Le chef d’état-major a, dès le départ, dit qu’il allait sécuriser le Hirak jusqu’à l’obtention de ses revendications. Il n’appartient pas au Hirak de dire comment le sécuriser ni avec quels moyens. Il y a trois jours, un lot d’armes a été découvert à Bouira, des actes terroristes ont eu lieu en Kabylie…Donc, la menace est réelle. Si on laisse tout le monde entrer sur Alger, comment savoir s’il n’y a pas des terroristes qui ne vont pas s’infiltrer pour porter atteinte au Hirak ?

Et que pensez-vous de l’article de la Constitution qui garantit la liberté de circulation des citoyens à travers le territoire national ?

Vous savez aussi qu’il y a des états d’exception. Revenons aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le Patriot Act a été une loi qui a touché à un droit constitutionnel des Américains notamment le fait de les mettre sur écoute et de vérifier leurs comptes bancaires… Ce fut une démarche dans une situation d’exception. Aujourd’hui, nous vivons en Algérie une situation d’exception. Il y a un complot qui a été découvert et qui se trame contre la sécurité de la Nation, donc, il est temps de prendre les mesures nécessaires. En revanche, prendre ces mesures ne signifie pas la remise en cause de la liberté de circuler, mais on peut à n’importe quel moment faire abstraction d’un article de la Constitution pour garantir la sécurité d’un pays.

Peut-on se diriger vers l’interdiction pure et simple des manifestations ?

Je ne peux pas vous dire s’il y aura interdiction ou pas. Je vous fais juste remarquer que le chef d’état-major, dans son discours d’hier, n’a pas parlé d’interdire les marches. Les marches sont autorisées sur le territoire national, et c’est ça aussi la démocratie. Il a parlé uniquement de l’accès à la capitale, car il s’est avéré que des entités espéraient rameuter tout le monde sur Alger pour essayer de faire gonfler les chiffres en portant atteinte à la sécurité même sur le plan de la gestion risque. Depuis le premier jour, le chef d’état-major avait parlé de sécuriser le Hirak et ce n’est pas au Hirak de dicter la manière ou les moyens pour le sécuriser.

Au moment où l’opinion et des personnalités appellent à des mesures d’apaisement, le pouvoir politique oppère une série d’arrestations de militants du Hirak. Comment expliquez-vous cela ?

Personnellement, j’aurais aimé que le Hirak continue tel qu’il l’a été le 22 février. Malheureusement, ces dernières semaines, le Hirak a dévié de sa ligne en devenant plus radical et extrémiste et en n’acceptant pas la voix de l’autre. Cette attitude du Hirak est antidémocratique. Il y a de soi-disant activistes qui portent atteinte à la sécurité de l’Etat en touchant aux institutions sur fond de diffamations. Ces gens-là doivent en répondre devant la justice. Seulement, il faut laisser la justice faire son travail. Ceux qui font des déclarations doivent prendre leurs responsabilités sachant que ce sont des déclarations qui sont enregistrées, filmées ou écrites.

Ne pensez-vous pas que tout ce qui se passe ne fait qu’ajouter à l’inquiétude des citoyens ?

Moi je vous poserai la question autrement. Lorsqu’à chaque vendredi, des gens vous disent non aux élections. Donc, s’ils ne veulent pas le dialogue et les élections pour une sortie de crise, ils veulent quoi ? Tout le monde est d’accord que la seule voie de sortie de crise ne peut se faire qu’à travers des élections. Aujourd’hui, les garanties ont été obtenues, ce qui est historique. D’un côté, la loi électorale qui doit être modifiée après l’élection d’un président et qui donne une chance à tous les candidats, le fait d’élever le niveau d’instruction des candidats, etc. Et de l’autre côté, l’autorité indépendante qui va superviser et annoncer les résultats des élections. Quand on donne les prérogatives de quatre ministères à cette autorité, vous ne trouvez pas que c’est un acquis extraordinaire ?

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