Économie

Multiplication des signaux contradictoires : l’économie algérienne en panne de projets

L’Algérie manque de projets économiques clairs. Le gouvernement multiplie les signaux contradictoires et les opérateurs économiques manquent de visibilité.

Les orientations économiques des gouvernements placés sous l’autorité du président de la République Abdelmadjid Tebboune suscitent une perplexité croissante au sein des milieux économiques.

Sur le terrain tout d’abord, c’est l’immobilisme qui semble dominer le plus souvent et on a bien du mal à discerner des améliorations notables par rapport à la situation qui prévalait au cours des dernières années.

Depuis son entrée en fonction, le gouvernement dirigé par Abdelaziz Djerrad n’a pourtant pas été avare de déclarations sur la nécessité de « réformer en profondeur » le fonctionnement de l’économie algérienne. Ces bonnes résolutions semblent pour l’instant être restées au stade des intentions.

Au rythme soutenu d’un Conseil des ministres par semaine, le président Tebboune instruit régulièrement, et avec une impatience de plus en plus visible, les ministres de passer à l’action en annonçant des mesures concrètes qui tardent à voir le jour et à produire des effets visibles par la population .

Au mois de juin dernier, le président Tebboune avait déjà manifesté son mécontentement en remerciant la plupart des ministres détenteurs de portefeuilles économiques.

Mis sous pression par le chef de l’Etat, le gouvernement tente bien de faire quelques annonces. Elles se sont limitées au cours de l’été qui vient de s’achever à la création fortement médiatisée de quelques produits de finance islamique dans un petit nombre d’agences de la BNA et à l’annonce de la création prochaine de quelques dizaines de coopératives de jeunes qui seront encouragées à aller prospecter l’or du Hoggar.

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De son côté, le ministre de l’Industrie, Ferhat Ait Ali, a continué pendant tout l’été à peaufiner ses cahiers des charges destinés à réguler l’importation de véhicules tandis que les fermetures d’usines et les licenciements se multipliaient dans le secteur dont il a la responsabilité.

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Les « dysfonctionnements » de l’été 2020

En fait, les changements et les nouveautés constatés sur le terrain seraient plutôt à classer au chapitre des « dysfonctionnements » qui semblent se multiplier.

Les pénuries de liquidités et les files d’attente devant les bureaux de poste ont été le principal événement économique de la saison écoulée. Des coupures d’eau intempestives pendant l’Aïd el Adha ont provoqué le licenciement de tout l’état-major de la SEEAL. Les perturbations dans l’accès à internet semblent s’installer dans la durée.

Au point que c’est le Premier ministre lui-même qui évoquait au mois d’août l’hypothèse d’un sabotage organisé.

Abdelaziz Djerad avait estimé que les phénomènes liés au manque de liquidités au niveau des bureaux de poste, aux feux de forêt et aux perturbations de l’alimentation en eau potable (AEP) ainsi que les coupures d’électricité enregistrées dans plusieurs régions du pays étaient des « actes prémédités » visant à « créer la fitna et l’instabilité » dans le pays.

« Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, m’a chargé d’ouvrir une enquête sur les feux de forêt, le manque de liquidités au niveau des bureaux de poste et les perturbations de l’AEP », avait indiqué, début août, M. Djerad dans une déclaration à la presse. On ne connait pas encore le résultat de ces enquêtes.

Une gestion drastique de la crise du coronavirus

Depuis maintenant près de 7 mois, la pandémie de coronavirus n’a pas épargné l’économie et la société algériennes. On peut certainement sur ce plan distinguer la gestion de la crise sanitaire de ses conséquences économiques et sociales.

A fin septembre, la gestion de la crise sanitaire par les autorités algériennes semble enregistrer des résultats probants. Si on en juge par les chiffres officiels sur les contaminations, la progression du virus a été enrayée et l’épidémie semble en recul régulier depuis près d’un mois. Un résultat qui contraste fortement avec le réveil de la pandémie dans les pays voisins ainsi qu’en Europe occidentale.

Ces résultats ont été obtenus au prix de mesures drastiques de confinement et de mise en sommeil de l’activité économique. Fin septembre, les frontières du pays sont toujours fermées, les transports aériens, maritimes et inter-wilayas sont à l’arrêt et aux dernières nouvelles, on n’envisage pas de reprise du système éducatif avant fin octobre ou début novembre.

Les mesures très strictes de confinement adoptées pour enrayer la pandémie du coronavirus ont paralysé de larges pans de l’économie algérienne.

Bâtiment, travaux publics, transports, commerces, hôtellerie et restauration ont été parmi les plus touchés. Parmi les sources indépendantes crédibles, l’expert algérien Aberrahim Bessaha évoquait tout récemment « des données préliminaires à fin juin 2020 qui font apparaître un recul net de la croissance économique de 6% »

Dans le but d’atténuer l’impact de ce ralentissement général sur le tissu économique, des décisions d’accompagnement économique et financier ont été adoptées par le gouvernement.

Les premières ont concerné principalement la fonction publique et le secteur public économique dans lesquels plus de 50% des effectifs ont été invités à rester chez eux en continuant à percevoir leurs salaires. Des dispositions ont été prises plus tardivement pour soutenir les entreprises privées et préserver l’emploi. En plus du report de payement des impôts et de la suppression des pénalités à propos de la réalisation des marchés publics, les entreprises ont bénéficié d’un ajournement, jusqu’à septembre, du remboursement des crédits bancaires.

A la fin de la semaine dernière, le président de la Confédération algérienne du patronat citoyen (ex-FCE), Sami Agli, estimait que les mesures d’accompagnement décidées par le gouvernement en faveur des entreprises privées sont insuffisantes à l’heure actuelle.

« Il y a énormément de détresse chez les TPE et les PME. Elles ont subi beaucoup de pertes. Je salue l’annonce faite récemment par le président de la République relative à la création d’un fonds de compensation. Il s’agit d’une étape très importante. Il faut aller vite vers la structuration de ce fond pour accompagner les entreprises d’une manière concrète », ajoutait M. Agli .

Les réserves de change pour seule boussole

Au-delà de la gestion des urgences qui semble devoir résumer la première année du quinquennat du président Tebboune, les opérateurs économiques ainsi que beaucoup d’observateurs nationaux et étrangers formulent des interrogations de plus en plus fréquentes sur les orientations et le type de modèle économique souhaité par le nouvel Exécutif pour notre pays.

Dans ce domaine, les signaux envoyés par le gouvernement paraissent largement contradictoires et n’offrent aucune visibilité, ni sur les intentions réelles de l’Exécutif, ni sur les perspectives (principalement financières) de notre économie.

Au chapitre des signaux contradictoires, la volonté affichée au début du printemps par le président Tebboune de « réduire les dépenses publiques de 50% » a débouché en juin dernier sur une Loi de finances complémentaire rectificative qui prévoit tout à fait officiellement une diminution des dépenses de fonctionnement limitée à 1,6% en 2020.

On est bien loin du compte en matière de « rigueur budgétaire » et beaucoup d’analystes indépendants, ainsi que les institutions financières internationales, annoncent déjà un déficit record du budget de l’Etat qui pourrait largement dépasser 15% du PIB à la fin de l’année en cours. Pour de nombreux économistes algériens, c’est la persistance de ce déficit d’un niveau très élevé qui est la principale cause de la « crise de liquidité » que traverse actuellement le système financier algérien.

En matière de climat des affaires, les choses ne sont pas beaucoup plus claires. Les deux gouvernements Djerad ont manifesté des signes d’ouverture en approuvant la nouvelle loi sur les hydrocarbures préparée par le gouvernement Bedoui et en confirmant l’abandon de la règle du 51/49 et du droit de préemption de l’Etat. De l’avis même des responsables gouvernementaux, ces nouvelles orientations ne sont cependant toujours pas opérationnelles, faute de décrets d’application.

Plus récemment, le nouvel Exécutif a également beaucoup insisté sur la nécessité de « lutter contre la bureaucratie économique » dans le but d’encourager l’investissement. Malheureusement et pas plus tard que la semaine dernière, le dernier Conseil des ministres évoquait la nécessité de « soumettre, à l’avenir, tout engagement financier dans l’importation et toute transaction en devises à l’approbation préalable du Conseil du gouvernement ».

« Comment , souligne un industriel , peut-on en même temps affirmer que l’on va supprimer tous les obstacles devant l’acte d’investissement et déclarer la guerre à la bureaucratie ainsi que le fait le gouvernement depuis des mois et parler aujourd’hui d’un contrôle a priori et préalable de toute opération d’importation qui risque de bloquer l’approvisionnement de l’ensemble de l’outil de production national » ?

Commentaire d’un haut fonctionnaire qui a préféré rester anonyme : « La stratégie des autorités politiques est aujourd’hui essentiellement dilatoire et dictée par le court terme. Elle consiste à gagner du temps en surveillant le niveau des réserves de change comme le lait sur le feu. La solution ne consiste pas à scruter de façon obsessionnelle le niveau des réserves de change, elle réside dans la définition et l’adoption de trajectoires soutenables dans la durée pour le budget de l’Etat et la balance des paiements. Aujourd’hui, nous ne disposons d’aucune visibilité économique au-delà d’un horizon de 18 mois ».

En dépit du discours « réformateur » affiché depuis son installation en janvier dernier, le nouveau pouvoir algérien semble impuissant à définir un projet économique clair en mettant en œuvre des réformes significatives qui risquent d’être impopulaires et de nuire à ses objectifs politiques immédiats.

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