Économie

Nouvelle loi sur les hydrocarbures : les critiques pleuvent

L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures, adopté la semaine dernière en conseil du gouvernement, fait débat. Il est l’objet de nombreuses critiques se rapportant à sa teneur notamment concernant la nature des partenariats (concession ou contrat de partage de production), mais aussi à son timing, sachant que son élaboration survient à quelques semaines de l’élection d’un nouveau président de la République.

Ali Kefaifi est expert en questions énergétiques. Dans une contribution adressée à TSA, il résume la nécessité de ne pas se précipiter par cette formule paradoxale : « Il est urgent d’attendre ».

Pour lui, il faut « déterminer une nouvelle politique énergétique, préalable à toute mesure légale ou opérationnelle nouvelle ».

« La mère des Etudes est d’abord constituée par l’élaboration d’une politique énergétique et minière, conduisant à cette banale Loi pétrolière, dont la construction sera un exercice facile pour nos jeunes frères et sœurs (ingénieurs, économistes, sociologues, environnementalistes, géo stratèges, communication, etc.) », dit-il.

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« Droit souverain à la société étrangère »

L’expert explique la différence de taille entre le régime contractuel institué par la loi de 1986 (contrat de partage production) et celui de la concession qui « donne le droit souverain à la société étrangère qui considère le pétrole comme sa propriété ».

Il préconise le retour au principe de la loi de 1986, soulignant qu’« il ne s’agit pas d’une mesure de nationalisme conjoncturel, mais d’une mesure dictée par la faillite de la loi scélérate 2005 dont les résultats sont quasi nuls (absence de gestion des gisements pétroliers, aucune découverte autre que des ré-évaluations de gisements découverts et développés de 1956 à 1999) ou le fiasco des appels d’offres assis sur la loi de 2005, en fait seulement 4 contrats attribués sur 31 proposés (2014) ».

Ali Kefaifi préconise aussi, entre autres, de « proposer de nouveaux prospects pétroliers dont ceux de la frontière géologique dans le nord algérien », « ignorer l’offshore coûteux, non rentable et à très faible probabilité de découverte commerciale », « reporter le gaz de schiste, non rentable et environnementalement inacceptable en l’état actuel des choses ».

Pour sa part, Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach, estime qu’il n’y a aucune urgence à changer de loi, d’autant que les effets ne peuvent être attendus qu’à long terme.

« S’il s’agit d’un amendement, cela veut dire qu’il y a urgence en matière de production d’hydrocarbures, de rente, etc. S’il s’agit d’une nouvelle loi, cela veut dire qu’il n’y a pas urgence, parce qu’une nouvelle loi, et même un amendement, ne va pas s’appliquer à l’activité et aux contrats qu’il y avait jusqu’à ce jour, parce qu’ils ne peuvent pas être rétroactifs », dit-il dans un entretien à TSA.

Pour lui, l’idéal, c’est de revenir à la loi de 1986. « La loi 86-14 est la meilleure loi qu’on n’ait jamais faite et il vaut mieux revenir à ce texte, quitte à modifier un petit peu la fiscalité, l’adapter à la rentabilité actuelle, aux difficultés de découvrir et de développer, au prix du baril actuel, à la transition énergétique dans le monde… Il y a beaucoup de paramètres qu’il faut prendre en considération et qui nécessitent le changement de la fiscalité, le mode de contrats, etc. Mais le contrat de partage de production de la loi 86-14 reste le meilleur, c’est lui qui a donné les meilleurs résultats durant les années 1990 », assure-t-il, même s’il estime que le véritable problème est dans le climat des affaires : « Vous faites la meilleure loi du monde, si vous ne changez pas le climat des affaires, si vous ne supprimez pas la bureaucratie, vous n’obtiendrez rien du tout. »

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L’instabilité juridique pointée du doigt

M. Attar met en garde en outre contre les effets de l’instabilité juridique si la loi qui est en voie d’adoption est remise en cause par les futurs dirigeants du pays.

« Si le futur gouvernement modifie la loi, ça va être un signe très négatif au partenariat, parce que les partenaires étrangers cherchent la stabilité législative. Le changement de la loi entre 2005 et 2006 a été très négatif pour le partenariat en Algérie, et depuis, rien n’a marché », explique-t-il.

Le professeur Mourad Preure pointe lui aussi du doigt l’instabilité juridique. « Vingt ans durant, dit-il dans un entretien à El Watan, la réglementation n’a pas changé, ce qui rassurait les compagnies pétrolières qui n’aiment pas trop le changement qui ajoute à tous les risques le risque juridique. Puis, en l’espace d’une année (2005 et 2006), la réglementation a changé deux fois, puis à nouveau en 2013.

Cela a brouillé l’image de notre pays et fait fuir les compagnies pétrolières au moment où l’investissement dans l’exploration-production dans le monde atteignait son pic historique, soit 721 milliards de dollars. Il y a eu une désaffection pour notre pays qui s’est traduite par l’échec des appels d’offres lancés. La conséquence est un désinvestissement, particulièrement sur Hassi Messaoud et Hassi R’mel, outrageusement surexploités plus d’une décennie durant. Ces gisements représentent 70% de notre production, c’est dire ! Nous en voyons les effets aujourd’hui avec la baisse de notre production de l’ordre de 18% depuis les années 2006-2008, ainsi que nos exportations. »

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M. Preure plaide lui aussi pour le retour au principe de la loi de 1986. « J’ai toujours appelé au retour à la loi 86/14. Le cœur de cette loi est le contrat de partage-production. Quelques explications : dans ce contrat, l’Etat accorde le permis d’exploration à Sonatrach, sa propriété (constitutionnellement inaliénable, incessible et insaisissable, les fameux trois «i») et son bras armé dans le domaine pétrolier.

Sonatrach signe un contrat, qui relève non du droit minier mais du droit commercial avec un partenaire étranger. Dans ce cadre partenarial, la compagnie étrangère assure la totalité de l’investissement et prend le risque exploratoire, elle apporte, de même, sa technologie (…) Ce type de contrat soulage Sonatrach de tout investissement dans l’exploration, protège la souveraineté nationale sur les ressources et reporte le risque exploratoire sur le partenaire étranger qui ne peut ouvrir droit qu’au maximum de 49% des hydrocarbures découverts tout au long de la vie du gisement. La loi de 2005 est fondée sur une autre logique et nous ramène carrément au système des concessions, ce qui est un grave recul », déplore-t-il.

Concernant l’offshore, Mourad Preure ne semble pas chaud non plus. « L’offshore algérien est complexe (…) La nouvelle loi doit prendre en considération ces paramètres et être particulièrement attractive car le risque exploratoire est ici amplifié par l’importance des investissements engagés », estime-t-il.

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