Économie

Nouvelles « Routes de la soie » : quelles opportunités pour l’Algérie ?

Les autorités algériennes qui ont pris conscience tardivement du caractère déséquilibré de la relation économique avec le partenaire chinois ont commencé à le lui faire savoir au cours des toutes dernières années en réclamant plus d’investissements des entreprises chinoises dans notre pays.

C’est dans le prolongement de cette démarche que le Premier ministre algérien signait, à Pékin, le 4 septembre dernier, un « mémorandum d’entente » qui a été interprété comme une adhésion au gigantesque projet chinois de « Routes de la soie ».

Ahmed Ouyahia avait notamment indiqué à cette occasion que l’adhésion de l’Algérie à l’initiative chinoise « apportera une densité plus forte à notre coopération et à notre partenariat avec la Chine, comme le laissent entrevoir déjà nos projets communs majeurs du port centre et du complexe de phosphate intégré ».

Le projet chinois et les chances qu’il offre à l’Algérie ainsi qu’aux pays du Maghreb était précisément, voici quelques jours, le sujet choisi par le think-tank Care pour la reprise de ses activités.

L’économiste Mouloud Hedir a proposé un exposé très pédagogique sur ce « thème majeur et d’un retentissement mondial » qui, jusqu’à une date récente, n’avait curieusement reçu que très peu d’échos dans notre pays. L’adhésion officielle, et toute fraîche, de l’Algérie à ce projet est donc « une occasion de s’y intéresser ».

Pour le conférencier, l’initiative du gouvernement chinois, par son ampleur et ses ambitions, est tout simplement de nature à faire bousculer beaucoup des règles et des habitudes prises depuis la fin de la dernière guerre mondiale en matière de financement du développement.

Ce qui est connu sous le vocable de Routes de la soie est en réalité le résultat, et le prolongement, d’une politique mise en œuvre par les autorités chinoises depuis 20 à 30 ans.

Mise à jour au cours des dernières années, elle a été adoptée officiellement par le parti communiste chinois. Elle a été popularisée et déployée sur le plan diplomatique dans une période récente par le président Xi Jin Ping .

Une nouvelle démarche de recyclage des excédents commerciaux chinois

L’économie chinoise accumule depuis longtemps des excédents commerciaux considérables. Mouloud Hedir mentionne le chiffre de 510 milliards de dollars rien que pour l’année 2016. La moitié de cet excédent commercial est réalisé avec les États-Unis. Mais ils sont loin d’être les seuls concernés.

Dans des proportions plus modestes, le déficit commercial de l’Algérie avec le partenaire chinois était quand même supérieur à 7 milliards de dollars en 2017. Ce qui a représenté près des trois-quarts de notre déficit global l’année dernière.

Jusqu’à une période toute récente, l’essentiel des excédents commerciaux chinois était recyclé sous forme d’achat de bons du Trésor américain. Ce qui explique sans doute la modération des réactions suscitées pendant longtemps, côté américain, par le gonflement de ce déficit colossal.

C’est cet équilibre fragile qui est aujourd’hui en train d’être remis en cause. Les performances commerciales chinoises avaient été favorisées depuis les années 80 par un rapide développement des IDE occidentaux. La situation s’est inversée spectaculairement et la Chine est devenue exportateur net de capitaux en 2015.

Commentaire de Mouloud Herdir : « Tant que les excédents chinois étaient recyclés à travers le système financier américain , il n’y avait pas de problème majeur. C’est le nouvel usage de ces excédents commerciaux qui est la cause du raidissement de l’attitude des États unis. C’est aussi cette nouvelle démarche qui est à la base de la conception du projet de Routes de la soie » .

Des financements d’un montant considérable

Pour l’économiste algérien, l’initiative des autorités chinoises renverse un paradigme classique. Jusqu’ici, en gros, avec les bailleurs de fonds occidentaux « on avait beaucoup de besoin, relativement peu de financements, et des délais importants pour finaliser les projets ».

Les Chinois nous disent maintenant : « Le financement on s’en occupe, quels sont vos projets et vos priorités ? ».

Les premiers jalons de cette démarche ont été posés au cours des dernières années par la Chine avec la création d’institutions financières internationales qui ont souvent été présentées comme concurrentes des institutions sous influence occidentale.

Une Banque de développement asiatique, qui marche clairement sur les traces de la Banque Mondiale, a été dotée d’un capital de 40 milliards de dollars. Récemment, la Banque de développement des BRICS, avec une dotation de 100 milliards de dollars, envisage de financer des plans de stabilisation, à l’image des activités du FMI.

La montée en puissance de ce nouveau dispositif financier s’ajoute aux activités plus anciennes des banques de développement chinoises, Exim Bank, Banque de l’Agriculture, ou même des banques des provinces chinoises, qui ont déjà été à l’origine de financements de plus de 850 milliards de dollars de projets à travers le monde.

Le nom des principaux bénéficiaires peut surprendre. Au premier rang figure l’Arabie Séoudite avec des financements de 180 milliards de dollars dont 100 milliards réservés à un programme de développement de centrales nucléaires. L’Égypte est également en bonne place avec des financements prévus de plus de 20 milliards de dollars.

Quelles opportunités pour l’Algérie ?

Du fait de la qualité de sa relation politique avec la Chine, mais aussi du fait de son poids économique, de son potentiel énergétique et de son positionnement stratégique à l’intersection entre Europe, Afrique et Monde arabe, l’Algérie semble particulièrement bien placée pour se positionner en partenaire pivot pour de gros investissements en infrastructures orientés notamment vers le désenclavement du continent africain.

Notre pays n’est d’ailleurs pas absent des projets de financement chinois au cours des dernières années. Dans le prolongement de l’accord de partenariat stratégique signé par les présidents chinois et algérien en 2014, deux projets importants sont notamment en cours de finalisation.

Ils concernent la réalisation du port de Cherchell pour environ 3 milliards de dollars et un ambitieux projet d’exploitation des gisements de phosphate de la région de Tébessa avec un investissement prévu de près de 6 milliards de dollars.

On peut y ajouter trois projets de partenariats industriels conclus entre des entreprises algériennes et chinoises dans les domaines des véhicules utilitaires, de la production de terminaux électroniques de paiement et dans l’industrie du marbre.

Des pistes pour de nouveaux projets

Reste à identifier les nouveaux projets qui pourraient faire l’objet de financements dans des domaines où les pays voisins ont déjà avancé leurs pions.

Mouloud Hedir suggère quelques pistes dans une réflexion qui n’est encore qu’à ses débuts et à propos de laquelle les autorités algériennes se montrent encore très avares de communication.

Il mentionne notamment la réalisation d’une zone franche d’exportation au Sud du pays à l’image des expériences de « Zones économiques spéciales » qui ont permis de booster les exportations chinoises. Une telle zone permettrait notamment, selon le conférencier, de rentabiliser la route transsaharienne Alger –Lagos dont la partie algérienne est quasiment achevée. Dans le même esprit, la construction d’une voix ferrée Alger – Tamanrasset – Lagos pourrait favoriser les débouchés africains du futur port de Cherchell.

À la même échelle colossale, les investissements chinois pourraient permettre de faire décoller le programme algérien des énergies renouvelables, notamment solaire, qui dispose d’atouts naturels évidents.

Mouloud Hedir rappelle que la Chine a déjà investi plus de 40 milliards de dollars à l’international dans ce domaine.

Le développement, avec des partenaires chinois, du transport maritime national, qui est actuellement assuré en quasi-totalité par des compagnies étrangères et qui engendre la plus grande partie du déficit de notre balance des services, est une autre piste avancée par Mouloud Hedir.

Absence d’une approche maghrébine

C’est de la même voix que le conférencier et son hôte, le président de CARE, Slim Otmani, ont regretté l’absence d’une « approche maghrébine » en réponse à l’initiative chinoise.

En attendant, même en rangs dispersés, nos voisins ont pris quelques longueurs d’avance sur l’Algérie en adhérant depuis plus d’un an au projet de Routes de la soie.

Les Marocains ont identifié deux gros chantiers avec les projets Tanger Tech et véhicules électriques. En Tunisie, on travaille déjà sur un projet de « route de la soie digitale » ainsi que sur le développement de l’électricité issue des énergies solaires en vue de son exportation vers l’Europe.

Des interrogations encore nombreuses

Si l’offre chinoise est souvent jugée « attrayante », elle n’est cependant pas « gratuite » et pose à la fois le problème de l’efficience des investissements envisagés, des modalités de financement des projets et du montage des partenariats. Sujets sur lesquels on dispose souvent de très peu d’informations dans le cas des projets déjà finalisés dans notre pays.

Beaucoup de spécialistes, instruits dans ce domaine par l’expérience des dernières décennies, relèvent que les investisseurs chinois savent ce qu’ils font et gardent les pieds sur terre.

Les financements des Banques de développement et des Fonds d’investissement chinois qui gèrent une partie des immenses réserves de change du pays sont conditionnés par l’attribution des marchés aux entreprises chinoises et aux services et fournitures de biens chinois pour les besoins des projets.

Sans stratégie de partenariat du coté algérien, le recours à ce type de financements fait donc augmenter les importations et accroît notre dépendance technique et financière vis-à-vis de l’étranger si ces projets ne sont pas mis à profit pour capitaliser le savoir-faire.

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