Depuis quelques jours, une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant un agriculteur à El Hamoul près d’Oran, qui dénonce l’expropriation de ses terres agricoles pour l’implantation de la future usine algérienne de Peugeot.
« Pourquoi, bon Dieu, pourquoi ? Pourquoi vendre cette terre ? (…) Ils veulent y construire l’usine de Peugeot…comme si on manquait de voitures ! Et qu’est ce qu’on va manger maintenant ? De l’acier ? », a grondé l’agriculteur. Le cri de colère de l’homme a suscité des réactions et un début de polémique sur la transformation des terres agricoles en terrains industriels.
Ce lundi 30 avril, TSA s’est rendu sur les lieux et a interrogé les habitants de cette localité située dans la commune d’El-Kerma à une vingtaine de kilomètres au sud d’Oran. Les avis sont partagés.
« Moi, personnellement, je souhaite épargner ces terres agricoles et faire implanter ces usines dans un endroit plus éloigné d’ici », affirme Said, 38 ans, attablé dans le seul café, situé sur la route principale du village.
Ce n’est pas le cas de son ami, qui se dit « favorable à l’installation des usines qui vont générer beaucoup d’emplois pour les jeunes de ce village ».
Le terrain choisi pour l’implantation de l’usine Peugeot s’étale sur une surface de 120 hectares sur des terres en partie exploitées où des céréales sont cultivées. Une autre partie vaste de ces terres est laissée en jachère.
« Au début, toutes ces terres étaient en jachère. Mais dès l’annonce de ce projet, certains ont vite fait de cultiver des céréales pour faire monter la valeur de ces terrains dans le cadre des indemnisations liées aux expropriations », révèle un des habitants de ce village.
Pas loin d’ici se trouve la sebkha d’Oran, un lac salé. « Ces terres agricoles sont réputées pour leur faible rendement de production car le sol est très affecté par la salinité », souligne une source de la Direction des services agricoles (DSA) de la wilaya d’Oran.
Ces dernières années, une zone d’activité y a vu le jour. Elle s’étale sur une superficie de 80 hectares. Le site d’El Hamoul a été retenu comme site industriel eu égard à sa position jugée « stratégique », puisque situé à proximité de deux routes nationales, les RN 4 et 108, et la voie ferrée reliant Oued Tlelet (Oran) , Sidi Bel Abbès, Tlemcen et Alger et non loin de l’autoroute Est-Ouest, qui passe à une dizaine de kilomètres, au Sud.
Dans cette zone, plusieurs unités industrielles sont déjà en activité. D’autres sont en cours d’installation. Outre le projet de l’usine de montage automobile Peugeot, cette zone abritera aussi une unité de trituration des graines oléagineuses, de raffinage et de conditionnement des huiles alimentaires.
Le chantier de construction de cette usine appartenant au groupe agroalimentaire SIM a été lancé, en mars 2017. En janvier dernier, la direction locale de l’Industrie et des Mines a débloqué un budget de 600 millions DA pour l’aménagement et la réhabilitation de cette zone d’activité.
Cette zone va bénéficier de plusieurs opérations comme la réhabilitation des accès, les réseaux d’assainissement et l’éclairage. Les travaux de réalisation de l’usine Peugeot seront lancés dès que seront achevées les opérations d’indemnisation des propriétaires terriens qui seront expropriés.
« Pour le moment, aucune expropriation n’a encore été entamée », précise une source proche du dossier qui souligne que « l’heure est à l’achèvement des procédures techniques et l’achèvement de l’étude géotechnique du terrain qui accueillera le projet ».
La polémique suscitée par la déclassification des terres agricoles menace-t-elle le projet Peugeot ? « Non, répond un proche du dossier. Il n’y aucun changement, le projet avance normalement. La première voiture sortira de l’usine en 2019. La procédure de déclassification du terrain a atteint sa phase finale ». Et d’ajouter : « Le projet a été validé par le CPE (Conseil des participations de l’État). C’est un investissement important ».
Une question reste posée : le gouvernement est-il vraiment contraint de déclassifier les terres agricoles pour les besoins des projets de logements et pour l’industrie ?
Il faut d’abord relever que cette option du recours aux terres agricoles est en vigueur depuis 2010 à l’échelle nationale. En 2010, 5400 hectares de terres agricoles ont été déclassifiés pour les transformer en terrains urbanisables dans 15 wilayas.
Pas moins de 304 hectares de forêts ont été aussi déclassifiés pour les mêmes besoins d’urbanisation. Une année après, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, signe une directive permettant la réalisation de 50 nouvelles zones industrielles sous la responsabilité directe des walis auprès desquels l’opération a été décentralisée.
Les walis peuvent en vertu de cette circulaire prendre possession des terres agricoles devant servir d’assiettes foncières pour la réalisation de projets d’utilité publique.
Les décisions de distraction des terres doivent impérativement faire l’objet de validation par le comité interministériel. Le déclassement est prononcé par arrêté du wali avant d’être consacré a posteriori par décret exécutif.
En 2012, le Conseil des ministres a affecté pas moins de 9.974 hectares, répartis à travers 22 wilayas, pour la construction de près de 550.000 logements publics.
En 2014, près de 4.000 hectares de parcelles de terres agricoles situées sur le territoire de 19 wilayas ont été déclassifiées pour les besoins de création de zones industrielles et ce à la faveur de la parution d’un Décret exécutif.
Le 14 mars dernier, le Conseil des ministres, présidé par le président Bouteflika, a adopté un décret portant déclassement de terres agricoles très faibles productivité agricole à l’effet de réaliser onze zones industrielles. Elles se situent à Constantine, Souk Ahras, Oum El Bouaghi, Chlef, Tizi-Ouzou, Bouira, Tlemçen, Mostaganem et Bethioua (Oran). Ces zones industrielles font partie d’un ensemble de cinquante nouvelles zones industrielles à réaliser.