Économie

Pourvoir d’achat : quel salaire de « la dignité » pour les Algériens ?

Le niveau de vie des Algériens ploie sur le poids de la hausse continue des prix et de la dévaluation du dinar qui a perdu 20 % de sa valeur face à l’euro en 2020.

Dans ce contexte de baisse inexorable du pouvoir d’achat des Algériens se pose la question de savoir quel est le salaire de « la dignité » ou combien faut-il pour une famille algérienne pour vivre décemment et subvenir à ses besoins.

Le 26 janvier, le SG de l’UGTA, Salim Labatcha, évaluait à 75 000 DA le salaire moyen qui permettrait à une famille algérienne moyenne composée de cinq membres de subvenir à ses besoins élémentaires en matière d’alimentation essentiellement.

Même s’il est d’accord avec la proposition de l’UGTA, le président de l’Association de protection du consommateur (Apoce), Mustapha Zebdi, estime qu’on ne peut raisonnablement pas avancer un salaire moyen « sans qu’on ait une idée sur la hausse des prix des produits et des services ».

« On peut dire que nous partageons la moyenne de salaire avancée par le SG de l’UGTA qui est de 75 000 DA par mois, affirme M. Zebdi à TSA. C’est ce qu’il faut pour assurer une vie décente pour une famille de 5 membres ». 

Cependant, le président de l’Apoce précise que tant que l’inflation, la perte de la valeur du dinar, la spéculation et la non régulation du marché persistent, « on sera appelé à annoncer un autre salaire de la dignité ».

« Nous demandons que tous ces déséquilibres, vieux de plusieurs années, soient régulés. Si on arrive à contrôler les prix en les maintenant stables, à ce moment-là on parlera d’une hausse des salaires. Or, réclamer en l’état actuel de l’économie nationale une hausse des salaires c’est comme tenter de remplir un bidon troué. L’eau continuera à couler tant que les pores ne sont pas bouchés », développe le président de l’Apoce.

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« Mettre en place de mécanismes de protection du pouvoir d’achat »

Si le salaire moyen proposé par l’UGTA satisfait, pour le moment, l’Association des consommateurs, le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) et membre de la Confédération des syndicats algériens (CSA), le rejette catégoriquement.

« Nous préférons parler de mécanismes de protection du pouvoir d’achat. Celui-ci n’est pas uniquement tributaire d’une augmentation de salaire ; il n’en est qu’un des éléments », soutient-il dans une déclaration à TSA.

Pour le Dr Merabet, la solution vient de la « maîtrise du taux d’inflation et la mise en place de mécanismes de protection du pouvoir d’achat ».

« Au sein de la CSA, et auparavant dans le cadre de l’Intersyndicale, nous avons toujours appelé à la mise en place d’un observatoire national pour la protection du pouvoir d’achat. Ce dispositif ne serait pas une invention algérienne puisqu’il existe dans d’autres pays. Sa mission consiste essentiellement en l’évaluation de manière régulière des taux d’inflation, de la parité de la monnaie nationale par rapport aux autres devises, ou encore l’indice des prix des produits de large consommation », développe Lyes Merabet.

Le président du SNPSP ne manque pas d’accuser l’UGTA d’être à « l’origine du marasme dans lequel se débat le travailleur algérien. «

« L’UGTA n’a rien dit au sujet de toutes les décisions irréfléchies et irresponsables prises par les gouvernements précédents, notamment la planche à billets. Au contraire, ses dirigeants ont même cautionné et applaudi la mesure », critique Merabet.

« Des déclarations aussi simplistes et superficielles n’apportent pas de solutions. Et c’est l’occasion de rappeler à ceux-là que ce sont eux qui ont installé le pouvoir d’achat dans les conditions actuelles. Ils se sont tus lorsque les syndicats autonomes étaient dans la rue, et que les lois qui ont instauré l’austérité, augmenté les impôts, gelé les postes de travail, et rendu facile le licenciement des travailleurs, ont été votées, etc. », s’emporte-t-il.

« Pour nous, syndicats, la question de l’amélioration du pouvoir d’achat se ne résume pas seulement à une augmentation de salaire », enchaine le membre de CSA.

Au cours d’une réunion tenue  jeudi dernier à Alger, la Confédération des syndicats algériens a noté la nécessité d’élargir l’exonération d’impôt au-delà des salariés qui touchent 30 000 DA. Les syndicats ont appelé à une révision globale de l’impôt sur le revenu (IRG), ainsi que la revalorisation du point indiciaire pour les salaires, « figé » à 45 DA depuis le 1er janvier 2008.

« Treize ans après, on en est toujours au même niveau alors que le dinar s’est déprécié à plusieurs reprises et a pratiquement perdu toute sa valeur, tandis que les prix (des produits de consommation) ont été multipliés par 10 ou 20, le transport qui a augmenté. Additionner tout cela aux autres charges : scolarisation des enfants, les loyers, etc. », énumère Lyes Merabet.

« L’urgence c’est de sortir de la récession économique »

D’après lui, et c’est l’avis des autres membres de la CSA, il y a certes lieu d’agir sur l’augmentation des salaires, mais surtout il est question de mettre en place des mesures afin de contenir le niveau d’inflation, organiser le secteur du commerce, numériser l’activité commerciale et économique, et réglementer le marché de l’informel qui a imposé sa loi.

« On ne peut pas concevoir une solution en faveur du pouvoir d’achat uniquement à travers une augmentation des salaires. Laquelle augmentation va rapidement être laminée par l’inflation, l’informel, et je pense que cette situation va profiter plus aux gens de l’informel qu’aux contribuables et aux travailleurs que nous sommes », déplore Dr Merabet.

L’économiste et enseignant à l’université de Tizi-Ouzou, Brahim Guendouzi, estime que compte tenu de la détérioration du pouvoir d’achat, un salaire moyen pourrait aller jusqu’à 70 000 DA y compris pour certaines catégories de cadres.

« L’urgence, c’est de faire face à la récession économique »

« A mon avis et à titre indicatif en l’absence de statistiques, un salaire moyen varie entre 60 000 et 70 000 DA en tenant compte des subventions. Car si l’on supprime les subventions, forcément le salaire moyen sera supérieur », propose l’économiste qui précise toutefois que ce genre d’exercice nécessite une étude approfondie.

Pour l’heure, M. Guendouzi estime que cette question n’est pas une priorité. « Je pense qu’en l’état actuel, la priorité consiste à sortir de la récession économique. Une grande partie de l’économie est à l’arrêt, on procède à des licenciements, l’inflation est en train de s’installer. Plus on tarde à prendre des mesures, plus on s’installera dans une spirale inflationniste », prévient l’économiste.

De plus, relève Guendouzi, l’Algérie fait face à une pandémie de Covid-19 qui n’est pas encore terminée. « L’urgence c’est de faire face à la récession économique, atténuer les suppressions des postes de travail, permettre aux entreprises de reprendre leurs activités normalement. Et pourquoi pas relancer l’investissement. La machine économique doit fonctionner à nouveau de manière ordinaire. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra se fixer des objectifs sociaux ou économiques. Pour le moment, cette surenchère ne sert à rien. La situation est critique », conclut-il.

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