Économie

Pouvoir d’achat en Algérie : faut-il augmenter le SMIG ?

Brahim Guendouzi est professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, il explique les raisons de l’inflation en Algérie et l’impact des mesures prises par les pouvoirs publics pour améliorer le pouvoir d’achat des citoyens. Il revient sur la hausse de l’euro et du dollar sur le marché parallèle des devises.

Les Algériens se plaignent de la cherté de la vie. Les prix de nombreux produits agricoles, des viandes ont connu de fortes hausses cette année. Est-ce que les hausses des salaires opérées par le gouvernement n’ont pas eu l’effet attendu sur le pouvoir d’achat ?

De prime abord, et à l’instar de nombreux pays, l’économie algérienne est entrée dans un cycle inflationniste, dont les mécanismes déclencheurs sont connus.

Quatre facteurs présents alimentent encore le processus inflationniste : l’insuffisance de l’offre, les hausses des prix des intrants à l’importation, la désorganisation des circuits de distribution et les limites de la régulation commerciale.

L’ensemble forme un tout. Il est clair qu’une hausse importante des prix permet d’acheter un nombre moindre de produits, d’où la perte du pouvoir d’achat aussi bien pour les ménages que pour les entreprises.

Ainsi, la hausse des salaires et des pensions opérées graduellement par les pouvoirs publics, reste évidemment insuffisante si l’on ne se limite qu’à ces actions, dès lors que l’inflation continue à progresser.

Mis à part cette hausse des revenus fixes d’une catégorie de la population, il n’y a pas eu, en réalité, adoption d’une véritable politique économique visant à combattre efficacement l’inflation dès son enclenchement, avant qu’elle ne se transforme en spirale incontrôlable et dommageable pour la société toute entière. On le ressent actuellement !

Ces hausses des salaires accordées aux fonctionnaires n’ont-elles pas attisé l’inflation qui a atteint 9,7% en août dernier ?

 Les quelques actions mises en œuvre pour lutter contre la hausse rapide des prix se sont avérés largement insuffisantes. Avec l’inflation, il y a modification des prix relatifs. Tous les prix n’augmentent pas au même rythme.

Cette fois-ci, ce sont les prix des biens alimentaires qui ont le plus grimpé comparativement à d’autres biens. À titre d’exemple, l’augmentation des prix a touché particulièrement les produits alimentaires puisque l’on est passé de 1,8% d’augmentation en 2020 à 14,4% en 2021, et la tendance s’est poursuivie pour 2022 et 2023, alors que le mécanisme de subvention des prix de première nécessité soit toujours en vigueur.

Dans ce contexte, l’Algérie n’est-elle pas entrée dans une impasse ?

L’inflation perdure certes, avec toutes ses répercussions aussi bien sur le pouvoir d’achat des ménages que par rapport aux entreprises qui se retrouvent par la même pénalisées.

Cependant, du fait de sa spécificité en tant qu’économie pétrolière, et eu égard à la conjoncture favorable liée aux cours du pétrole brut et la forte demande en gaz naturel à l’international, l’Algérie se retrouve, quoi qu’on dise, avec des équilibres macroéconomiques appréciables lui permettent d’amortir le choc de l’inflation.

On n’est pas dans un contexte de récession économique. L’investissement est encouragé par la disponibilité du crédit et la politique incitative des pouvoirs publics.

La dépense publique de plus belle avec l’augmentation des recettes budgétaires induite par la hausse de la fiscalité pétrolière. Il n’y a pas aussi de coupes dans les budgets consacrés aux transferts sociaux et le système des subventions, directes et indirectes, reste tel quel.

Le budget prévisionnel pour 2024 s’inscrit dans la même démarche, soutenir le pouvoir d’achat des ménages et maintenir le système des subventions, sans qu’il y ait jusqu’à l’heure actuelle une démarche cohérente visant à réduire sensiblement la croissance rapide des prix.

La hausse des salaires est-elle suffisante pour améliorer le pouvoir d’achat des Algériens ? 

L’une des principales caractéristiques de l’inflation est qu’elle modifie la répartition des revenus car effectivement tous les revenus ne la subissent pas de la même façon. Les plus fragilisés sont les salariés et les retraités.

Les mesures prises par les pouvoirs publics concernant les revenus salariaux, les pensions et l’allocation chômage, s’inscrivent en quelque sorte dans une logique de rattrapage du pouvoir d’achat en chute libre.

Sinon, c’est aussi pour éviter le creusement des inégalités sociales, déjà criardes dans la société algérienne, afin d’éviter une fracture sociale.

Ne faut-il pas augmenter le SMIG pour que la hausse des salaires puisse toucher un important nombre de salariés et pas uniquement les fonctionnaires ?

Le SMIG a fait l’objet d’une valorisation en 2021 passant de 18000 DA à 20 000 DA, soit au tout début du processus inflationniste.

Le SMIG touche l’ensemble des salariés tous secteurs confondus. Au vu de la persistance de l’inflation dans le temps, il serait évidemment opportun de procéder à une révision du SMIG en tenant compte évidemment des répercussions sur les dépenses publiques mais aussi sur l’ensemble des employeurs publics et privés.

L’essentiel reste dans la volonté de sauvegarder le pouvoir d’achat des citoyens, préoccupation exprimée à maintes reprises par les pouvoirs publics.

Quelles sont les principales causes de la hausse des prix en Algérie ? Est-ce dû à l’inflation importée ? Est-ce que c’est la conséquence de la sécheresse, de la baisse du dinar par rapport aux devises étrangères ? 

Deux principales raisons peuvent être avancées. La première se rapporte à la nature de l’économie algérienne qui est principalement une économie extravertie.  Il y a une forte dépendance vis-à-vis des importations.

Les cours des matières premières et des produits alimentaires sur les marchés internationaux ont énormément augmenté en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement ainsi que des problèmes géopolitiques qui bouleversent le monde actuellement.

La seconde raison concerne l’offre nationale de biens qui connaît un certain ralentissement dû à plusieurs facteurs. On distingue alors la sècheresse qui a des retombées négatives sur la production agricole.

On y ajoute au niveau de l’élevage, la faiblesse constatée dans les cheptels bovins et ovins ainsi que ceux concernant l’aviculture (abattages sauvages, conditions d’élevage non adéquates, etc.). 

L’augmentation des coûts en termes de hausse des prix des aliments du bétail et les produits phytosanitaires et de vaccination, ont incité de nombreux éleveurs à abandonner leurs activités.

Par ailleurs, le taux de change était initialement un facteur ayant contribué à la hausse des prix des produits importés à la fin de 2021 et durant le premier trimestre 2022.

Par la suite, la valeur du dinar s’est appréciée et s’est stabilisée par rapport aux deux principales monnaies que sont le dollar et l’euro, suite à la nette amélioration de la balance des paiements et des réserves de change.

La politique d’augmenter les salaires des fonctionnaires et le maintien des subventions généralisées des prix a montré ses limites quand les exportations des hydrocarbures avaient baissé. Cette politique est-elle viable à moyen terme, notamment si les prix du pétrole baissent à nouveau ?

Tant que les équilibres macroéconomiques sont stables, la marge de manœuvre est appréciable sur le plan des finances publiques. Le niveau des transferts sociaux, particulièrement le système des subventions, sont maintenus dans des proportions élevées eu égard à l’engagement qui est fait par les plus hautes autorités de l’État de veiller sur le côté social et de défendre le pouvoir d’achat des citoyens, notamment ceux des franges démunies.

Evidemment, en cas de retournement de la conjoncture pétrolière internationale, amenant un amenuisement des ressources extérieures, un autre calcul économique serait fait et qui toucherait sans doute le système des subventions dont le poids sur le budget de l’État est non des moindres.

L’ONS a fait une comparaison entre les prix de 2001 et ceux d’août 2023. La différence est très importante. Comment expliquez-vous cette hausse fulgurante des prix en 20 ans alors que les salaires n’ont pas suivi ?

La trajectoire des prix ne suit pas celle des revenus, et rarement les ajustements sont faits pour faire correspondre les évolutions prix-revenus salariaux.

Les pouvoirs publics ont privilégié la solution des transferts sociaux et de subventions des prix des produits de première nécessité, plutôt que d’opérer des rattrapages régulièrement.

Sur le plan statistique, une faiblesse est constatée quant à la disponibilité des données concernant aussi bien la répartition des revenus que la politique des prix. Le secteur informel représente en tous les cas un biais sur la fiabilité des statistiques des prix-revenus.

 Si le taux officiel du dinar algérien est stable sur le marché officiel, il ne l’est pas sur le marché noir où il continue d’augmenter. Pourquoi ? 

Les opérations sur devises effectuées sur des places informelles au niveau de certaines villes du pays, à l’instar de celle du « square » à Alger », obéissent à une autre logique que celle de la cote officielle.

Il s’agit de ressources en devises, essentiellement des euros et des dollars, obtenues par un autre canal alimenté généralement soit par les pensions de retraite versées directement dans des comptes en devises, soit par des membres de la diaspora à l’occasion de leurs séjours dans le pays.

Les détenteurs de ces sommes en devises exigent un certain prix ou un taux de change pour se départir de leurs devises et ce, en dehors du canal bancaire.

Ces ressources sont captées par des personnes opérant dans l’informel et agissant en intermédiaires, moyennant une commission, pour une clientèle particulière composée essentiellement de voyageurs nationaux se rendant vers l’étranger et ne pouvant effectuer le change mis à part l’allocation touristique fixée annuellement.

La forte demande qu’il y a actuellement sur les monnaies étrangères, fait suite à l’augmentation des flux de départ vers l’étranger aussi bien de touristes que d’étudiants et des opérateurs économiques se déplaçant dans le cadre d’affaires avec des partenaires étrangers.

Par contre, l’offre de devises étant stable car provenant des sources habituelles du marché, les cours appliqués sur les places informelles sont alors en hausse.

Le gap entre taux officiel et taux informel est évidemment supporté par les acheteurs dans l’informel, et ils n’ont pas le choix. Il est à rappeler que le taux de change officiel est calculé hebdomadairement par la Banque d’Algérie en prenant en considération les fondamentaux de l’économie nationale.

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