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Première sortie publique de Ali Ghediri : l’homme a séduit, le candidat un peu moins

Première sortie publique de Ali Ghediri : l’homme a séduit, le candidat un peu moins

Principale leçon à tirer de la première grande sortie publique du général Ali Ghediri  : on n’improvise pas une candidature à l’élection présidentielle.

Ceux qui sont venus le voir- ou le découvrir- ce dimanche 27 janvier au forum du journal Liberté, sont repartis de l’hôtel Sofitel comme ils sont arrivés très tôt dans la matinée. C’est-à-dire sans être davantage édifiés sur le programme électoral et le projet de société de l’homme dont tout Alger parle depuis maintenant plusieurs semaines.

Le plus « sérieux » parmi les candidats déclarés jusque-là pour le scrutin d’avril prochain n’a pas entamé sa précampagne de la meilleure des façons. Le grand show promis n’a pas eu lieu et les questions auxquelles les citoyens attendaient des réponses n’ont pas été abordées. Que ce soit son programme qui n’est pas encore prêt ou son staff qui n’a pas peaufiné sa communication, ça sent l’improvisation.

Un homme qui ne craint rien, ni personne

Cela dit, Ali Ghediri, l’homme, n’a pas déçu. Bien au contraire. Même s’il ne s’est pas montré aussi bon à l’oral qu’il l’est à l’écrit, il a étalé des qualités. Beaucoup de qualités. Une grande aisance face à l’assistance, le verbe facile aussi bien en arabe qu’en français, un calme à toute épreuve, une grande culture et, par-dessus tout, une pointe d’humour qui change des discours ennuyeux de nos politiques.

Surtout, il a montré une détermination d’acier, une profonde conviction et une constance dans les idées. Il ne semble impressionné ni par l’enjeu ni par l’adversité qui lui est promise. L’homme n’a peur de rien. Ni de personne. « Je ne construis pas ma stratégie sur la candidature ou la non-candidature de Bouteflika. Qu’il vente ou qu’il neige, je suis partant et je gagnerai », lance-t-il.

La salle est enthousiasmée. Mais il manque ce brin de fermeté dans la maîtrise des débats. Un paradoxe pour quelqu’un qui a gravi quasiment tous les échelons de la hiérarchie militaire. On s’arrache le micro, on répète les mêmes questions, on tourne autour du pot. Gaid-Salah, Bouteflika, le général Toufik, Rebrab, puis rebelote. Le candidat, impassible, répond à tout le monde et ne semble nullement importuné par la tournure prise à certains moments par le débat. Il ne cède pas à l’agacement, ce qui est déjà un bon point de marqué, mais une petite colère saine lorsque le niveau atteignit le ras des pâquerettes lui en aurait fait gagner beaucoup.

Le conte de fée de l’enfant d’El Ouenza    

Pourtant, tout avait bien commencé. La ponctualité de M. Ghediri et des organisateurs du forum épate l’assistance. À 9h30 précises, la salle est déjà pleine à craquer et l’homme devant le micro. Il est habillé sobrement, en costume gris et cravate. Sa coupe militaire à la brosse conforte l’image d’enfant du peuple qu’il tient à renvoyer. C’est encore gagné.

Il décrit avec force les détails de son enfance à El Ouenza, cette localité minière de l’extrême Est du pays, où son père gagnait sa croûte à des centaines de mètres sous terre. Il se souvient de la fréquence à laquelle passaient les trains qui transportaient le minerai de fer vers le port d’Annaba et qui obstruaient le chemin de l’école. La suite est un conte de fée. Le fils de mineur fera une belle carrière dans l’armée où il passera « les deux tiers de (sa) vie ». Il en sortira en 2015, à sa demande, insiste-t-il comme pour faire passer quelque message, avec le grade de général-major, presque le plus élevé de la hiérarchie de l’armée algérienne, et un diplôme de docteur d’État en sciences politiques. Pas mal. Surtout qu’au confort de la retraite dorée, il a préféré entamer un autre combat, titanesque celui-là : sortir le pays du marasme dans lequel il se débat et provoquer une rupture avec le mode de gouvernance en vigueur depuis l’indépendance.

Avec un tel profil, les Algériens n’ont aucune raison de ne pas le suivre, sauf qu’il ne leur dit pas comment il compte concrètement y parvenir. C’est sans doute le grand ratage de cette première « prise de contact » avec le peuple. La faute d’abord à la conception même de la forme de cette première sortie : un forum ouvert à tous. On est donc venu de partout. Ali Ghediri est une curiosité depuis qu’il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle contre l’avis de l’armée. Les représentants des médias sont nombreux, mais ils ne sont pas seuls. Des soutiens du général et de simples curieux occupent également le parvis. 

Ghediri-Mellouk : même combat

Un septuagénaire, la voix fatiguée, prend la parole et interpelle le candidat sur la corruption qui gangrène la justice. Lorsque le vieil homme décline son nom, toute la salle se retourne : c’est Benyoucef Mellouk, le fonctionnaire du ministère de la Justice qui a fait éclater au début des années 1990 le scandale des magistrats faussaires.

Broyé par la machine du système, M. Mellouk garde toutefois des forces, en tout cas suffisamment pour venir voir le « candidat du changement » et lui parler de vive voix. « Vous parlez de rupture, on est d’accord. Mais la rupture que le peuple attend, c’est l’épuration de toutes les institutions de l’État, en premier lieu la justice qui est gangrenée. Il faut l’assainir sérieusement. Il faut assainir aussi la mafia politico-judiciaire et la mafia politico-militaire qui règnent dans ce pays. Il faut ouvrir les grands dossiers comme ceux des assassinats politiques », lance Mellouk sous les applaudissements de la salle.

Ali Ghediri aussi applaudit et dit toute son admiration pour le courage de l’homme : « Si Benyoucef Mellouk, je suis agréablement surpris de vous voir ici. Je vous connais et je vous admire. Je vous ai beaucoup lu et je salue votre combat et votre refus du fait accompli, je salue en vous cet esprit et cette force qui a fait que vous renonciez à tout pour défendre vos idées. Vous m’avez interpellé sur la justice, je vous dis que la justice n’est que la partie visible de l’iceberg. Une nation sans justice n’en est pas une et un État sans justice ne peut être un État national. La première chose que fait un État colonial c’est de faire en sorte que les gens ne se sentent pas égaux devant la loi. Je pense que malheureusement, nous sommes dans cette situation. Vous parlez de la corruption d’un point de vue moral et économique, moi je dis qu’elle constitue une menace pour la sécurité nationale. Pour la combattre, il faudra tout remettre à plat, ouvrir tous les dossiers, sans tabou, si cela est la volonté du peuple ».

Les deux hommes ont un point commun : celui d’avoir renoncé au confort que procure le silence pour dénoncer des situations d’injustice. Ali Ghediri raconte son expérience dans ce registre : « J’ai défendu la moudjahida Zohra Drif quand elle a été attaquée et j’ai pris la défense du général Benhadid (présent dans la salle, ndlr) quand il a été mis en prison. Je l’ai payé très cher. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, je paye pour mes prises de position. Ma famille aussi paye la facture, je le dis haut et fort. Mes enfants et mes frères payent. Je vous épargne les détails mais je suis prêt à payer encore, jusqu’au sacrifice ».

« Le problème du pays n’est pas économique »   

Les propos sensés de Benyoucef Mellouk et de son admirateur contrasteront vite avec ceux, inopportuns, de certains individus présents dans la salle. Comme ce candidat à la présidentielle venu solliciter une action commune avec l’invité du jour pour récuser ensemble le qualificatif de « lièvres ».

« On n’est pas dans une partie de chasse ou dans une savane », lui répond avec ironie M. Ghediri.

Ou encore ce bonhomme venu raconter au monde ses hallucinations. « Je suis surveillé en permanence par trois drones… ». Le spectacle est pathétique. Pendant ce temps, les journalistes, venus poser les « bonnes » questions, réclament le micro. Beaucoup ne l’auront pas. Un correspondant d’un média étranger pique une petite colère et quitte la salle en exhibant sa carte et son accréditation. Cela dit, même lorsque les « bonnes » questions ont pu être posées, la réponse ne fut pas toujours convaincante.

Quand TSA l’a interrogé sur les solutions qu’il prévoit dans la perspective du tarissement total des réserves de change, Ali Ghediri botte en touche : « Le problème du pays n’est pas économique. Le problème est fondamentalement politique ».

Du forum, tout le monde est sorti sans une idée de ce que fera concrètement Ghediri président pour l’économie, le social, l’école, le chômage, les importations…

De même que sont restés sur leur faim ceux qui s’attendaient à voir du beau monde autour du candidat. Comme son programme, la divulgation de son staff est remise à plus tard.

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