Politique

Présidentielle : doit-on avoir peur d’une « déstabilisation » ?

Plus qu’en 2014 où logiquement le thème devait faire débat pour la proximité chronologique des printemps arabes, la stabilité est déjà au cœur du débat à propos de l’option à retenir pour l’élection de 2019.

Paradoxalement, partisans et pourfendeurs de la continuité avancent le même argumentaire qui se résume en la préservation de la stabilité du pays dans un environnement régional porteur de dangers.

Cheval de bataille des partis de l’Alliance

Les partis de l’Alliance, avant de se taire énigmatiquement vers la mi-décembre, avançaient lorsqu’ils suppliaient encore le président Bouteflika de « continuer son œuvre », entre autres raisons de maintenir le statu quo, l’impératif de ne pas mettre en danger la stabilité du pays, fruit justement de la « clairvoyance » du chef de l’État.

D’abord en restaurant la paix civile par sa politique de concorde et de réconciliation, puis en évitant au pays d’être soufflé par les vents dévastateurs du printemps arabe comme le furent -et le sont toujours- beaucoup d’États de la région dont certains sont des voisins immédiats de l’Algérie. Le même souci est évoqué, avec les mêmes éléments de langage, lorsqu’un autre plan a commencé à s’esquisser, celui de la prolongation du mandat actuel de Bouteflika.

Si les chefs des partis de la majorité ont cessé de parler de la présidentielle, faute de visibilité et peut-être d’instructions claires, les voix officielles, elles, continuent à l’évoquer indirectement. C’est-à-dire en brandissant l’épouvantail de la déstabilisation.

D’Oran à Copenhague, le même discours…

D’abord le président Bouteflika lui-même. « Est-il normal que la stabilité de notre pays soit ciblée par des cercles de prédateurs et de cellules dormantes qui s’acharnent à attenter à sa crédibilité et à la volonté de ses enfants. Les manœuvres politiciennes que nous observons à l’approche de chaque échéance cruciale pour le peuple algérien est la preuve tangible de ces intentions inavouées, qui s’éclipsent dès que notre valeureux peuple leur tourne le dos », tonnait le chef de l’État dans son fameux message aux walis le 28 novembre dernier.

Les analystes avaient alors relevé que le discours présidentiel était un réquisitoire contre des parties qui auraient des velléités de s’opposer au cinquième mandat, déduisant que son insistance sur la stabilité était une manière claire de brandir le vieux spectre du chaos.

Plus récemment, c’est l’autre personnage important de l’État, Ahmed Gaid Salah, chef d’état-major de l’ANP, qui a repris le même argumentaire dans ses multiples réponses à l’initiative du général-major à la retraite Ali Ghediri qui l’avait publiquement exhorté à assumer ses responsabilités, c’est-à-dire à empêcher le projet de prolongation du mandat du président.

Sa dernière sortie sur le sujet insiste longuement sur la « stabilité ». « Je tiens à soulever une question qui mérite réflexion et méditation, à savoir : pourquoi certains individus ne sont pas satisfaits, voire sont dérangés par la stabilité de l’Algérie », disait le 9 janvier à Oran le chef de l’armée.

Et de préciser à qui nous devons tous la paix retrouvée : « Une stabilité concrétisée grâce à l’initiative de son excellence, monsieur le président de la République, en l’occurrence la Charte de la paix et de la réconciliation nationale approuvée par l’ensemble du peuple algérien, puis grâce aux sacrifices colossaux consentis par notre peuple dans toutes ses catégories à travers l’ensemble du pays, à leur avant-garde l’Armée nationale populaire. »

Pour conclure : « L’Algérie stable et sereine a su réussir son parcours vers davantage de réalisations de développement dans divers domaines, y compris celui du tourisme qui a connu un nouvel essor, où notre grand Sud s’accoutume d’accueillir, ces dernières années, des milliers de touristes. »

Deux jours plus tard, soit vendredi 11 janvier, le ministre de la Justice, qu’on dit très proche du cercle présidentiel, développait presque le même discours. L’édification de l’État de droit est une entreprise rendue possible « grâce à la sécurité et la stabilité restaurées et aux fruits de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui a offert les possibilités de réactiver les mécanismes du développement, de renforcer la démocratie et d’immuniser le pays contre toute tentative visant sa sécurité et sa stabilité », déclarait Tayeb Louh devant des avocats réunis en séminaire à Alger.

Et comme dans un plan ficelé où chacun exécute la partie qui le concerne, le chef de la diplomatie est allé presque simultanément prêcher les vertus de la stabilité aux partenaires de l’Algérie. En tournée dans les pays scandinaves, Abdelkader Messahel a lu le 10 janvier une longue communication devant le Collège de défense du Danemark.

Après avoir souligné que « cette stabilité dont jouit l’Algérie malgré les multiples défis sécuritaires qui marquent la région lui a valu son classement, en 2016 et 2017, au septième rang des pays les plus sûrs au monde par l’institut Gallup de Washington », le ministre est allé droit au but : « Ce résultat est l’aboutissement d’une vision de paix, de réconciliation, de dialogue et de développement à long terme préconisée par le président Abdelaziz Bouteflika dès son élection à la magistrature suprême en 1999. » S’ensuivra une longue explication de l’expérience de l’Algérie en matière de dé-radicalisation.

Les contre-arguments de Hamrouche et de l’opposition

Ce discours mettant en garde contre le risque de déstabilisation est curieusement développé aussi par les adeptes du changement. Tous les acteurs politiques de l’opposition ont à un moment ou un autre mis en garde contre le risque de dérapage si le statu quo est maintenu. Contrairement au discours officiel, le pouvoir actuel est présenté comme un facteur de déstabilisation.

Lorsqu’il a lancé son initiative de consensus national, Abderrazak Makri, président du MSP, avait mis en avant le souci de préserver la stabilité du pays surtout qu’une grave crise pointe à l’horizon. Les mêmes inquiétudes sont sans cesse exprimées par le RCD, le PT, Ali Benflis…

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Mais on s’attardera sur la sortie la plus récente, celle de Mouloud Hamrouche qui, ce dimanche 13 janvier dans les colonnes d’El Watan, s’est fendu d’une longue plaidoirie académique pour la refondation de l’État. L’ancien chef du gouvernement plonge dans l’histoire du pays pour rappeler un épisode lointain : « L’État algérien du XVIe siècle, dépourvu de leadership, faiblement structuré, pauvrement armé et défendu, a été phagocyté puis détruit ».

Hamrouche parle de « diverses menaces, peurs, désespoirs et résignations » qui sont donc présentes aujourd’hui et face auxquelles l’Algérie a besoin « plus que jamais de discernement ». Certains passages de sa contribution peuvent être lus comme un véritable réquisitoire contre le mode de gouvernance actuelle, donc un appel à la rupture.

« (…) c’est l’État national qui bénéficie, non les hommes et les gouvernements, de la soumission et la fidélité de l’ensemble des citoyens, tandis que le gouvernement obtient des adhésions et des soutiens de moments et de conjonctures ». Ou encore lorsqu’il plaide pour « l’instauration d’une gouvernance fondée sur un exercice institutionnalisé des pouvoirs séparés, la garantie de l’exercice des contre-pouvoirs, des contrôles et des voies de recours ». Mouloud Hamrouche n’a à aucun moment évoqué la prochaine présidentielle, mais c’est comme si…


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