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Présidentielle française : pour qui voteront les musulmans ?

Présidentielle française : pour qui voteront les musulmans ?

CFCM
Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman

ENTRETIEN. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a rencontré plusieurs des principaux candidats à l’élection présidentielle pour leur faire part des questionnements et inquiétudes de la communauté musulmane. Il nous livre son point de vue sur le vote des citoyens français de confession musulmane.

L’électorat musulman a voté à 86% pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle en 2012. Mais cinq ans plus tard, l’institut de sondage Ifop indique, dans une récente enquête, que cet électorat déçu par la gauche pourrait basculer dans l’abstention. Plusieurs observateurs avancent que l’adoption d’une loi sur le mariage pour tous pendant le quinquennat peut expliquer cette déception. Est-ce exact ?

Il faut considérer les citoyens de confession musulmane comme des citoyens normaux affectés par les mêmes préoccupations. Les électeurs musulmans sont aussi frappés par le chômage, certains ont des difficultés financières, comme d’autres électeurs non-musulmans. S’il y a une déception, elle touche tous les citoyens. Il ne faut pas forcément y voir des considérations religieuses. La question du « mariage pour tous » a interpellé tous les croyants. L’ensemble des responsables des cultes (juifs, musulmans et catholiques) s’est exprimé sur le sujet devant le Sénat. Mais chaque partie a ensuite respecté la loi.

Êtes-vous étonné lorsqu’on vous parle d’un « vote musulman » ? On peut être très croyant ou au contraire être de culture musulmane et avoir une pratique religieuse inexistante.

Je ne pense pas qu’on puisse parler d’« un vote musulman » unique. Tous ne votent évidemment pas de la même façon pour untel ou untel. Ce que j’observe, c’est que les électeurs musulmans sont très attentifs aux enjeux politiques. Il y a un grand intérêt sur le choix que va faire le pays.

Ceci s’explique par le fait que nous ne sommes plus à l’époque de la première génération d’immigrés arrivés en France uniquement pour travailler. Aujourd’hui, on trouve chez les électeurs musulmans de France des acteurs sociaux, des cadres, des chefs d’entreprises. Et ils ont un œil critique sur tous les programmes des candidats.

Il y a une prise de conscience par rapport aux positions des politiques sur l’islam. Quand un candidat (François Fillon, NDLR) parle de mise sous tutelle du culte musulman, cela les interpelle. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que les musulmans de France sont considérés comme des citoyens de seconde zone ?

A contrario, les candidats Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Emmanuel Macron (En Marche !) multiplient les tentatives pour essayer de capter ce vote. Le premier assure qu’il n’y a aucun problème avec l’islam, le second argue que la colonisation est un crime contre l’humanité. Est-ce suffisant pour convaincre les électeurs musulmans ?

Je disais que les musulmans sont très attentifs aux programmes. Il y a un grand intérêt et une grande capacité d’analyse. Donc, ces électeurs ne sont pas dupes. Ils savent analyser telle ou telle posture.

En 2012, les électeurs de confession musulmane ont pourtant plébiscité Jean-Luc Mélenchon (20% de ces électeurs ont voté pour lui, contre 11% pour les autres électeurs). Le candidat était « parvenu, par son opposition très nette au FN et par la reconnaissance des bienfaits de la présence d’une immigration arabo-musulmane en France (lors du discours du Prado à Marseille notamment), à capter une part significative de ce vote », observait l’Ifop en 2013. Et aujourd’hui ?

À mon avis, ce vote en faveur de ce candidat en 2012 s’explique simplement par des raisons  économiques et sociales. Car, dans le discours de Jean-Luc Mélenchon, il n’y aucune trace de la religion. On sent d’ailleurs qu’il y a une sorte de mépris de la chose religieuse par ce candidat.

C’est-à-dire ?

Le CFCM a demandé à rencontrer les principaux candidats de l’élection présidentielle afin de les sensibiliser aux thématiques qui interrogent notre communauté en France. À l’exception néanmoins de Marine Le Pen car nous avons considéré que les conditions n’étaient pas réunies avec le FN.

Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Le fait de reléguer au second plan la diversité religieuse, et de ne pas participer à un dialogue citoyen avec les représentants des différentes confessions est quelque chose qui nous interpelle. Pour un candidat qui aspire aux plus hautes fonctions de la nation, c’est problématique.

Le CFCM donne-t-il une consigne de vote pour le premier tour ?

Il n’y a aucune consigne de vote. La seule consigne que nous donnons est un appel à la citoyenneté. Le CFCM appelle évidemment à participer à ce moment fort de la nation.

Et si le Front national se qualifie au second tour ?

Si ce scénario se présente, nous organiserons une rencontre entre les représentants des grandes mosquées et le CFCM.

En 2012, 4% des Français de confession musulmane ont voté pour le FN. Comment l’expliquer ?

Derrière ce vote, il y a peut-être ce même scepticisme qui frappe n’importe quel électeur vis-à-vis de la politique française. Et on peut supposer que ce rejet touche aussi certains Français musulmans. Mais de là à ce qu’il s’agisse d’un vote d’adhésion, je ne pense pas. Nous appelons les musulmans à ne pas être dupes.

La semaine dernière, vous avez rencontré François Fillon dont le discours est particulièrement critique à l’égard de l’islam. Dans un ouvrage publié il y a quelques mois (Vaincre le totalitarisme islamique), le candidat de la droite et du centre explique qu’il y a un problème avec l’islam en France. Il demande également un strict contrôle du culte musulman. Quel bilan tirez-vous de cet échange ?

Ces deux prises de position nous interpellent bien entendu. Il a essayé de les clarifier lors de cet échange. Selon lui, le contrôle strict du culte musulman permettrait de renforcer le dialogue entre l’État et la communauté musulmane. Mais nous n’avons pas senti d’inflexion de sa part sur ses positions. Pourtant, s’il apportait de la nuance, cela permettrait d’atténuer ces propos.

Vous avez également pu vous entretenir avec le candidat du PS, Benoît Hamon, et le candidat sans étiquette, Emmanuel Macron. Que retenez-vous de ces échanges ?

Le premier a indiqué qu’il était pour une application juste de la loi de 1905, garante de la liberté religieuse. Il se dit également contre toute approche paternaliste vis-à-vis du culte musulman en France. Il a aussi tenu à rappeler que personne ne peut tolérer des appels à la haine revendiqués au nom de la religion, mais veut éviter toute confusion entre les extrêmes et l’islam.

Emmanuel Macron a également une conception de la laïcité apaisée. Il a réaffirmé son attachement à une laïcité qui garantit la liberté de croire ou ne pas croire, et qui protège le libre exercice du culte dans le respect des lois de la République. Il a aussi précisé qu’il était hostile à une extension de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’espace public ou à l’université.

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